Mais qui est ce personnage haut en couleur et inclassable ? Un simple moine franciscain diraient ceux qui ne le connaissaient pas bien. Certes, mais en réalité, il était bien plus que cela, « un intime, un homme de confiance du roi Saint Louis (Louis IX) », préciseraient les initiés. Cette proximité et le contexte géopolitique, particulièrement troublé de l’époque conduisent le souverain à en faire son ambassadeur officieux auprès du Grand Khan : l’empereur mongol qui succéda au célèbre Gengis Khan. Les armées mongoles, qui occupent Moscou depuis 1238 et Kiev, ont envahi la Pologne et menacent Zagreb ainsi que Vienne. C’est aussi l’époque des croisades contre les Sarrasins. Les souverains de la vieille Europe ont besoin des Mongols pour remporter une victoire en Palestine. En 1244 et 1249, des ambassades tentent de négocier un accord avec eux, mais échouent. C’est alors que Frère Guillaume intervient. Il se rend à Karakorum, au nord du désert de Gobi, à la cour de l’empereur Mongku, le petit-fils de Gengis Khan, où il demeure de 1253 à 1255 et est le témoin privilégié de la vie et des us et coutumes des hordes mongoles. De retour en France, il écrit le récit de son odyssée, intitulée Voyage dans l’Empire mongol, qui fourmille d’anecdotes et de précieux renseignements. Ce rapport resté confidentiel pendant des siècles sera publié pour la première fois en français en 1634 !
La découverte du bouddhisme tibétain
Ainsi, vingt ans avant l’Italien Marco Polo, c’est un Français, un moine franciscain du XIIIe siècle qui, le premier en Europe, découvrit le bouddhisme tibétain en séjournant à la cour mongole. On imagine aisément le ressenti de ce religieux catholique au contact de « ces païens barbares » ! Ses écrits foisonnent d’anecdotes toutes plus passionnantes les unes que les autres. On y découvre par exemple qu’en présence d’un enfant de trois ans, qui était capable « de lire et écrire », et « s’était réincarné déjà trois fois », il fut le premier Occidental à être confronté au phénomène de la réincarnation. « Une erreur », conclut-il. Un peu plus loin, il raconte dans un élan presque admiratif que parmi les « les prêtres de ces peuples idolâtres qui ont tous des larges cuculles jaunes se trouvent des ermites dans les forêts et les montagnes, d’une vie et d’une austérité admirables ». Enfin, il relate un événement qui mérite tout particulièrement notre attention : lors d’une réunion organisée à la veille de la Pentecôte par le Khan Mongku entre musulmans, bouddhistes, nestoriens et catholiques, l’empereur mongol demande aux participants de s’engager à ne pas utiliser de « paroles désagréables ou injurieuses pour leurs contradicteurs ni provoquer un tumulte qui puisse empêcher cette conférence, sous peine de mort ». Lors de ce débat, Frère Rubrouck confronté à un représentant bouddhiste très apprécié dans le pays emporta quant à lui très vite la dialectique… sans que ce succès d’éloquence n’entraîne pour autant la moindre conversion.
« Nous, Mongols, nous croyons qu’il n’y a qu’un seul Dieu par qui nous vivons et par qui nous mourons, et nous avons pour lui un cœur droit. De même que Dieu a donné à la main plusieurs doigts, de même Il a donné aux hommes plusieurs voies. » Le Khan Mongku
Le lendemain de la controverse, Guillaume fut reçu par Mongku en même temps que son adversaire bouddhiste. Les propos du Khan dénotent une grande tolérance vis-à-vis des religions : « Nous, Mongols, nous croyons qu’il n’y a qu’un seul Dieu par qui nous vivons et par qui nous mourons, et nous avons pour lui un cœur droit. De même que Dieu a donné à la main plusieurs doigts, de même Il a donné aux hommes plusieurs voies ». Sur ces mots, Mongku signifia aux deux religieux qu’il était temps désormais pour eux de regagner leurs contrées.
Il ne faut pas craindre la rencontre avec l’autre
Comme le dit l’adage : « nul n’est prophète en son pays ». Et c’est bien là la triste réalité que dut affronter Guillaume de Rubrouck à son retour en France. Son rapport dûment présenté au Roi de France, Guillaume aurait souhaité repartir pour Karakorum, où il était invité par le Khan. Mais, victime de sa réussite – sa notoriété avait suscité bien des jalousies -, il fut consigné dans une cellule par ses supérieurs et mourut quasiment en prison, oublié de tous.
Il nous reste son essai, très peu connu en France, alors qu’il est une référence depuis longtemps dans les pays anglo-saxons. Ce récit témoigne, entre autres, que le « vivre ensemble » était pratiqué très naturellement à la cour mongole du XIIIe siècle. Mettre en perspective cette réalité est l’une des priorités du musée Guillaume de Rubrouck car, comme le rappelle Chantal Gobillot, la présidente de l’association qui le gère, l’exemple de frère Guillaume est le témoignage « qu’il ne faut pas craindre la rencontre avec l’autre ». Un héritage à faire prospérer aujourd’hui.