Guélongma Palmo, ou la guérison spirituelle

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Mythique fondatrice de la fameuse pratique de Nyoung-né, unissant le jeûne à la prière et recommandée en temps d’épidémie, Guélongma Palmo est une importante figure féminine du bouddhisme himalayen.

Passée à la postérité sous son nom religieux tibétain de Guélongma Palmo, soit la « moniale Palmo », la mythique princesse indienne Shrimati appartient au club très fermé des figures féminines cardinales du bouddhisme himalayen. Aux côtés de Yéshé Tsogyal, Matchik Labdroeun, Nigouma et Soukhasiddhi, cette antique renonçante est en effet célébrée comme la vénérable fondatrice de Nyoung-né (« demeurer dans la restriction, l’ascèse », en tibétain), une pratique dévotionnelle intense, très populaire au sein de cette tradition.

Un jour sur deux, jeûner et prier pour le bien de tous

Appartenant à la première classe de tantras nommée Kriya-tantra (« tantra de l’action »), Nyoung-né rassemble de fait les trois Véhicules bouddhiques (Hinayana, Mahayana et Vajrayana) et les trois types de vœux qui leur correspondent en une seule méthode intégrée, réputée pour son efficacité purificatrice (« nettoyer » les négativités accumulées) et méritoire (« accumuler » le karma positif et progresser en sagesse). Par paire, Nyoung-né articule vingt-quatre heures de jeûne total à vingt-quatre autres de jeûne partiel, durant lesquelles se succèdent méditations, offrandes, prières et grandes prosternations. Ces dernières sont dédiées au grand bodhisattva Avalokiteshvara (sanskrit) ou Chenrézi (tibétain), dont les mille bras et onze visages symbolisent l’amour et la compassion éveillés, dépourvus de limites. Pendant la durée choisie (deux journées au minimum, quatre, six, huit et jusqu’à mille et plus pour les plus motivés), le fidèle renonce ainsi un jour sur deux à parler, boire et manger, et s’abstient totalement de tuer, voler, consommer des intoxicants, d’avoir des rapports sexuels ou encore de bavarder, mentir, chanter, danser, faire preuve de vanité (s’asseoir sur des sièges élevés, par exemple).

Il est dit que faire huit Nyoung-né consécutifs « ferme définitivement la porte des renaissances dans les enfers », et que de s’y adonner deux jours seulement à la même efficience que de suivre trois mois durant une autre méthode de purification.

Individuelle ou collective – puisqu’on s’y adonne souvent en groupe, généralement juste après le Nouvel An tibétain, ou juste avant la grande fête de Saga Dawa (anniversaire de la naissance, de la mort et de l’Illumination du Bouddha) -, cette ascèse est censée des plus bénéfiques. Ne permet-elle pas en effet d’épurer, en profondeur, à la fois « le corps, la parole et l’esprit » ? Ainsi, il est dit que faire huit Nyoung-né consécutifs « ferme définitivement la porte des renaissances dans les enfers », et que de s’y adonner deux jours seulement à la même efficience que de suivre trois mois durant une autre méthode de purification. On rapporte en outre que de nombreux adeptes du passé se sont guéris de diverses maladies en s’y appliquant assidûment. Sachant que la véritable finalité de cette voie, particulièrement adaptée en temps d’épidémie, est d’atteindre le parfait Éveil au bénéfice de tous les vivants, comme le souligne les vers répétés encore et encore dans son cadre  : « (…) Moi aussi, à partir de maintenant jusqu’au lever au soleil demain matin, pour le bien de tous les êtres, afin d’être bénéfique,  afin de libérer, afin d’éliminer la famine, afin de faire cesser les guerres et les catastrophes naturelles, afin de supprimer les maladies, afin de  parfaire les trente-sept facteurs de l’Éveil et de réaliser vraiment l’insurpassable fruit de l’Éveil parfaitement accompli, je m’engage à observer parfaitement les préceptes qui restaurent et purifient. » Une puissance bienfaisante illustrée – avec quelques variations de détails – par les récits traditionnels sur la vie de Guélongma Palmo, la célèbre initiatrice de Nyoung-né.

De la lèpre à l’Éveil

Relevant de l’hagiographie, l’histoire de Guélongma Palmo n’est fondée sur aucun document historique (au sens moderne du terme), sa fonction étant avant tout pédagogique, symbolique et spirituelle. En témoigne l’incertitude même de ses dates, puisqu’elle elle est censée avoir vécu – selon les sources – soit au début du IIe siècle de notre ère, soit au VIIIe, voire au Xe-XIe siècles ! Faute de données objectives pour mieux situer la fondatrice de cette pratique austère, il nous reste la tradition, en particulier un fameux commentaire du Nyoung-Né par le IXe Sitou Rimpoché (1774-1853), un hiérarque érudit de la lignée tibétaine Karma Kagyu. D’après ces récits semi-légendaires, une jolie princesse du nord-ouest de l’Inde, nommée Shrimati, Lakshmi ou encore Lakshminkara, avait choisi le célibat dès son plus jeune âge, notamment pour ne blesser aucun de ces nombreux prétendants. Devenue nonne bouddhiste, elle fut bientôt atteinte par une terrible forme de lèpre, en raison de la venue « à maturité karmique » de graves actes négatifs perpétrés dans ses vies passées. Le corps couvert de plaies purulentes et malodorantes, elle fut alors reléguée loin de son monastère, dans un lieu désolé, selon les mœurs du temps. Abandonnée de tous et désespérée, la royale moniale avait déjà perdu doigts et orteils quand un songe vint lui indiquer une issue… Le roi Indrabuthi, célèbre accompli tantrique, lui dit en effet dans son sommeil : « Médite assidûment le bodhisattva Avalokiteshvara, et tu pourras obtenir l’Éveil, la réalisation de la nature de l’Esprit. » Malgré ses souffrances, Bikshuni Shrimati (soit en tibétain « Guélongma Palmo ») s’adonna donc nuit et jour, pendant des années, à ces exercices spirituels solitaires. Le fruit annoncé tardant à mûrir, elle connut des moments de découragement… Mais différentes visions divines successives lui renouvelèrent la promesse « d’une réalisation égale à celle de Tara » (l’archétype du Bouddha féminin, dont les grandes figures citées plus haut sont censées être autant d’« émanations »).

Poursuivant la récitation des mantras d’Avalokiteshvara (dont le fameux « Om Mani Padmé Houng »), l’ermite prit en outre le vœu de jeûner totalement un jour sur deux et partiellement l’autre jour. Si bien qu’à force d’ardeur et de persévérance, son corps, sa parole et son esprit finirent par être lavés de toute souillure et imperfection. Immense, cette accumulation de mérite éthique et de sagesse lui rendit non seulement son intégrité physique, mais la conduisit aussi, à terme, à la parfaite Libération. Après douze années de retraite intense, Guelongma Palmo devint ainsi semblable – dit-on – à Avalokiteshvara, le Grand Compatissant lui-même. Du point de vue traditionnel, cette personnification de l’Éveil s’avère donc la véritable fondatrice du Nyoung-né, qui se transmet depuis par une lignée ininterrompue de maîtres et de disciples, ayant la moniale Palmo pour première et plus illustre détentrice. Pour tous les bouddhistes de tradition tibétaine, cette dernière reste un symbole remarquable de dévotion, de foi et de détermination sur le chemin spirituel, ce qui fait d’elle une source permanente d’inspiration, surtout pour ceux qui souffrent de maladie ou de handicaps divers.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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