En franchissant les frontières de l’Himalaya, le bodhisattva Avalokiteshvara a changé de sexe. La raison ? La statuaire grecque a revisité sa beauté autrement.
À ses débuts, le bouddhisme est une révélation sans image. Durant les deux cents ans qui suivent la mort du Bouddha, les Ve et IVe siècles avant l’ère chrétienne, personne ne fait de statue ou de peinture représentant le Bouddha. Cela change à partir de -320, quand les Grecs, sous la conduite d’Alexandre le Grand, conquièrent la Perse et arrivent jusqu’en Inde, entrant ainsi en contact avec le bouddhisme.
C’est suite au règne d’Ashoka (vers -270/-232), le grand empereur indien qui diffuse le bouddhisme au-delà de son royaume, qu’apparaissent les premières représentations graphiques du Bouddha. Certaines empruntent les canons esthétiques de la statuaire indienne, d’autres le style grec classique. Ce dernier se traduit par des statues superbement proportionnées, vêtues de toges aux plis parfaitement restitués.
Il est probable que c’est la finesse de la statuaire grecque qui fait penser aux croyants que ce bodhisattva est une femme. Ou le fait qu’il s’occupe d’assister les gens en détresse.
On retrouve ensuite ces statues dans des royaumes dirigés par des dynasties grecques, situés en actuel Afghanistan. Le plus connu de ces royaumes, le Gandhâra, converti au bouddhisme, nous a légué de superbes statues de bouddhas, ciselées voici dix-huit siècles, que l’on croirait sorties des ateliers d’Athènes tant elles sont réalistes. La plupart représentent des bodhisattvas. Le royaume du Gandhâra a adopté le Mahayana, bouddhisme du Grand Véhicule, qui se distingue de la doctrine des Anciens, le Theravada. Une des différences entre les deux courants repose sur les bodhisattvas. Ces êtres sont des Bouddhas en devenir qui choisissent, par altruisme, de rester en ce monde pour aider les autres à accéder plus vite à l’Éveil, étape ultime de la voie bouddhiste.
Avalokiteshvara, onze têtes et mille bras
Un des plus connus de ces bodhisattvas est Avalokiteshvara (Guanyin en chinois, Kannon en japonais), bodhisattva de la Compassion. À l’origine, en Inde, il est de sexe masculin, et il le restera au Tibet, où il est appelé Chenrézik. Mais une fois franchi l’Himalaya, les bouddhistes d’Extrême-Orient vont souvent lui donner une représentation féminine. Il est probable que c’est la finesse de la statuaire grecque qui fait penser aux croyants que ce bodhisattva est une femme. Ou le fait qu’il s’occupe d’assister les gens en détresse. De toute façon, peu importe le genre d’un bodhisattva. Peu importe également que les si belles statues d’Avalokiteshvara, en Chine, au Japon ou au Vietnam, représentent une femme pour ceux qui les implorent. Ni encore que celle-ci soit parfois dotée de onze têtes et mille bras, des attributs lui permettant de mieux lutter contre la détresse en ce monde. L’essentiel n’est pas là, mais dans le rôle que le bouddha de la Compassion joue pour eux.