Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec le bouddhisme ? Quel bouddhisme ?
J’ai découvert le bouddhisme à l’âge de seize ans, à travers la lecture du livre Le Troisième œil de T. Lobsang Rampa. Se présentant comme une autobiographie, cet ouvrage captivant raconte l’initiation d’un jeune lama tibétain auprès du XIIIe Dalaï-Lama. Il fait rêver parce qu’il nous conte le Tibet magique. J’ai découvert assez vite qu’il s’agissait d’un canular, écrit par un plombier anglais féru d’ésotérisme. À son sujet, le Dalaï-Lama m’a dit un jour : « Vous ne pouvez pas savoir combien de personnes ont découvert le bouddhisme tibétain grâce à la lecture ce livre ! » Heureusement, très rapidement, j’ai découvert d’autres livres de Chogyam Trungpa Rinpoché et du Dalaï-Lama. C’est principalement à travers le bouddhisme tibétain que s’est faite ma découverte du bouddhisme.
Parmi les grands enseignements du Bouddha, quel est celui qui vous touche le plus dans votre vie d’écrivain philosophe ?
Après avoir découvert le bouddhisme tibétain, j’ai eu envie de revenir aux sources de l’enseignement du Bouddha, notamment à travers le livre de Walpola Rahula (1), moine theravadin. J’ai été frappé par la simplicité et la profondeur de trois grandes notions : impermanence, interdépendance et relativité. Aussi, j’ai été très touché par l’éthique développée par le Bouddha qui incite à avoir une pensée, une parole et une conduite justes. Le bouddhisme est une quête vers l’Éveil, il invite à quitter le monde de l’illusion, en prenant conscience du mécanisme de l’ego. Cette quête d’aller vers une plus grande compréhension de moi-même et de la vraie nature des phénomènes m’a toujours passionnée.
Vous avez soutenu une thèse de doctorat sur le bouddhisme et l’Occident à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Pourquoi ?
À travers une thèse à la fois sociologique, historique et philosophique, j’ai voulu expliquer l’histoire de la rencontre du bouddhisme et de l’Occident, qui se passe par étape. Elle commence dans l’Antiquité, se poursuit à la Renaissance avec les missionnaires, puis au XIXe siècle avec les philosophes (Schopenhauer et Nietzche) et surtout les Orientalistes (études savantes sur le bouddhisme). Puis le bouddhisme renaît dans la seconde moitié du XXe siècle avec les maîtres japonais et tibétains qui arrivent en Occident. En avançant dans ma thèse, j’ai compris que le bouddhisme est, dans la pensée orientale, ce qu’il y a de plus proche de la pensée occidentale, car il repose sur une rationalité universelle. Il comprend peu de mythes et de croyances, au contraire de l’hindouisme. Aussi, le bouddhisme offre aux Occidentaux une pensée plus ouverte que celle de la rationalité cartésienne, et une compréhension de la vie spirituelle extrêmement forte avec des pratiques, telles que la méditation.
« Le bouddhisme est une quête vers l’Éveil, il invite à quitter le monde de l’illusion, en prenant conscience du mécanisme de l’ego. Cette quête d’aller vers une plus grande compréhension de moi-même et de la vraie nature des phénomènes m’a toujours passionnée. »
Je crois que le bouddhisme a énormément à apporter à l’Occident et inversement. Prenons l’exemple de la compassion. Dans le bouddhisme, elle permet d’aider les êtres à s’éveiller spirituellement, mais en délaissant la vie matérielle, ce qui l’a privé d’œuvres de charité. Grâce à la rencontre avec l’Occident et l’héritage judéo-chrétien de l’incarnation de la compassion dans le soutien à autrui, les monastères des pays bouddhistes s’occupent maintenant des pauvres. Il y a une interpénétration de l’Orient et de l’Occident.
À l’heure où nous vivons une profonde crise écologique, comment le bouddhisme pourrait nous aider à trouver la sagesse nécessaire pour éviter les excès de l’humain sur son environnement ?
La crise écologique actuelle apparaît comme un événement unique dans l’histoire de l’humanité, car elle induit la possibilité de la disparition de la vie humaine sur Terre, à cause notamment du réchauffement climatique. Face à ce défi majeur auquel nous sommes tous confrontés, la philosophie bouddhiste a beaucoup à nous apporter, d’une part, par son éthique de la modération, qui permettrait de quitter la logique du « toujours plus » et de l’avoir, et d’autre part, par la notion d’interdépendance. Profondément juste philosophiquement et scientifiquement, cette dernière permet de comprendre que tous les écosystèmes sont liés les uns aux autres et que les bouleverser pourrait engendrer leur effondrement, par un simple jeu de domino. Ce qui peut nous aider à penser et à agir différemment.
De quelle manière votre dernier roman, La Consolation de l’ange, s’inspire-t-il de la philosophie bouddhiste ?
Il est l’histoire de la rencontre quasi improbable d’un jeune homme, Hugo, désespéré, qui a fait une tentative de suicide dont il échappe, et d’une femme âgée, Blanche, qui a adoré la vie et qui va essayer de lui en redonner le goût. Une des qualités principales de cette dernière est d’avoir accepté l’impermanence de la vie. Elle a compris qu’il ne fallait pas s’accrocher aux biens matériels, à son métier, à son image sociale et aux êtres. Elle accepte la vie dans toutes ses mutations et transformations.
« Être zen, c’est une façon de vivre au quotidien, dans la simplicité, l’authenticité et le non-attachement aux choses, sans vouloir s’agripper à elles. »
Cette philosophie d’acceptation de l’impermanence, du détachement et du lâcher-prise l’a aidée à vivre et à traverser bien des épreuves. Chez elle, il y a, à la fois, un attachement, car elle aime profondément la vie, mais aussi un détachement, car elle ne se cramponne à rien. Aussi, elle transmet à Hugo, une autre notion chère aux bouddhistes : « Tout le chemin, c’est de passer de l’inconscience à la conscience ». Essentiellement mus par notre inconscient, nous sommes esclaves de nos affects, passions, désirs et attachements. Or, la vraie liberté est intérieure et se conquiert par la lucidité, la connaissance et la compréhension de soi.
Vous avez rencontré le Dalaï-Lama à douze reprises. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez lui ?
Dans le cadre d’ouvrages sur le bouddhisme, j’ai rencontré le Dalaï-Lama plusieurs fois à Dharamsala, pour le questionner sur l’histoire contemporaine du Tibet. Aussi, lors de ses conférences en France, j’ai eu la chance de l’interviewer pour plusieurs médias. En premier lieu, j’ai été frappé de voir à quel point il incarne la compassion. Je l’ai trouvé d’une grande ouverture du cœur, gentillesse et attention envers moi et les autres. Il est d’une qualité de présence exceptionnelle. Je l’ai également vu prendre du temps pour des personnes en situation de souffrance, hors des caméras, ce que j’ai raconté dans de nombreux livres. En deuxième lieu, à chaque fois que je l’ai rencontré, son rire m’a interpellé. Cet homme, qui est porteur de toute la souffrance du peuple tibétain, a cette joie des êtres éveillés et libérés de tout attachement.
Vous revenez d’un voyage au Japon pour une série documentaire pour Arte, « Les Chemins du sacré », où vous avez rencontré des maîtres zen. Qu’en est-il de la spécificité japonaise dans la grande famille des bouddhismes d’Asie ?
J’ai été étonné de constater à quel point le Japon est syncrétique, car même dans les courants zen que j’ai pu rencontrer, il y a très souvent une influence du shintoïsme qui est la religion traditionnelle animiste du Japon. Les croyants pensent que la nature est habitée par des esprits. Aussi, la pureté du Zen, que ce soit à travers l’art des jardins ou de la cérémonie du thé, m’a touché. Rien que leur image donne envie de contempler, de méditer et de s’intérioriser. Il y a une qualité de silence, une force de présence. Tout est fait dans une grande simplicité, lenteur, beauté et poésie. Enfin, j’ai été frappé de voir qu’il n’y avait pas tant d’intellectuels bouddhistes au Japon, mais plutôt des moines qui vivent une vie simple et dépouillée, dans laquelle ils cherchent à mettre en pratique le bouddhisme à travers leurs gestes du quotidien. Le Zen a un caractère très pratique et concret et non théorique.
Être zen, c’est quoi pour vous ?
C’est une façon de vivre au quotidien, dans la simplicité, l’authenticité et le non-attachement aux choses, sans vouloir s’agripper à elles.