Une pluie fine tombe sur Évry-Courcouronnes encore assoupie. Au loin, dans le prolongement du parking de la pagode, les tours de la cité des Épinettes émergent d’un manteau de brume. Il est 5h30 ce vendredi 3 janvier. À l’intérieur de l’édifice religieux, enveloppés dans leur kesa jaune safran ou orange, des moines et des nonnes glissent en silence par petits groupes dans la vaste salle de prière de 550 m2. Sous le regard bienveillant d’un grand Bouddha – une statue de quatre mètres de haut tapissée de feuilles d’or – religieux et laïcs prennent place, peu à peu, sur leurs coussins de méditation. Devant eux, sur des petits tabourets orangés en plastique, sont posés des livres de prières. Un moine ouvre la cérémonie par des coups de gong puis de tambour. La salle commence à s’emplir des récitations de sûtras. Quelques cent moines et nonnes venus d’Europe principalement, mais aussi d’Amérique du Nord et d’Asie, presque tous d’origine vietnamienne à deux ou trois exceptions près, sont réunis pour ce séminaire d’hiver de dix jours. Ce matin, la session débute par une cérémonie de repentir. « Au cours de ce travail de purification, nous reconnaissons nos fautes de manière à nous purifier », explique Cédric Hue-Nghi, un jeune moine français officiant dans un monastère à Francfort (Allemagne). « Pendant les cinq premiers jours du séminaire, les moines et les nonnes ne peuvent sortir de la pagode. Cette contrainte spatiale nous oblige à nous recentrer. Le rassemblement vise aussi à souder les liens entre nous et à faire connaissance avec les nouveaux moines et nonnes. »
Hymne au bouddhisme et à l’Orient
La pagode Khanh-Anh a été érigée à Évry, le long de la nationale 7, sur une colline dominant la Seine, à quelques centaines de mètres de l’hôpital Sud Francilien et du Genopole dédié à la recherche en génomique, génétique et autres biotechnologies. Avec ses deux grands stûpas culminant à 18 et 19 mètres de hauteur, ses façades ocre et ses toitures et avant-toits aux angles relevés, recouverts de tuiles vernissées orangées, cet ensemble monumental, véritable hymne au bouddhisme et à l’Orient, fait figure d’ovni dans ce paysage urbain de banlieue. Installée sur un terrain de 4000 m2, la pagode est constituée de plusieurs corps de bâtiments. L’édifice central se compose de l’immense salle de prière et d’une salle d’activités culturelles de 600 m2 flanquée d’un stûpa culminant à 25 mètres. À sa droite, un bâtiment administratif héberge les locaux de la congrégation bouddhiste vietnamienne et des logements destinés à accueillir les moines et nonnes en formation. Les deux autres stûpas, de forme orthogonale et de couleur jaune safran, couverts d’avant-toits et d’une toiture débordante, sont percés d’une série de baies en plein cintre. L’un d’eux pourra renfermer jusqu’à 5000 urnes funéraires de manière à permettre aux fidèles de venir honorer les cendres de leurs défunts. « Les familles qui le désirent peuvent acheter une concession et y déposer les cendres de leurs ancêtres. Plusieurs étages demeurent encore inoccupés », glisse Kim Ong, un fidèle désormais à la retraite, qui joue le rôle de guide.
« Au début des années 1990, Jacques Guyard, député-maire d’Évry-Courcouronnes, voulait construire une ville multiculturelle, faire coexister plusieurs religions dans le respect des valeurs laïques républicaines. » Vénérable Thich Quang Dao
Sur la terrasse, aux pieds de la salle de prière, trône un Bouddha replet à l’air rigolard. Six bébés, dont cinq facétieux, s’agitent sur son ventre rebondi en tentant de grimper sur ses épaules. « Ils symbolisent les cinq sens. Le sixième, en train de méditer en position du lotus, représente la réflexion, l’introspection qui maîtrise tous les sens », poursuit Kim Ong. Mais la « star » du lieu est bien le grand Bouddha installé, dans le cœur, au fond de la salle de prière. Cette imposante statue de cinq tonnes a été fabriquée en Thaïlande, selon des procédés ancestraux, avant d’être acheminée en Europe, assemblée puis installée dans la pagode d’Évry en 2002. Elle a été consacrée en juillet 2006, puis bénie par le Dalaï-Lama en 2008. Adossé à la salle de prière se trouve un autel dédié aux défunts, constellé de centaines de photos de personnes disparues.
Pourquoi cette pagode a-t-elle été élevée, ici, dans l’Essonne ? « Au début des années 1990, Jacques Guyard, qui était alors député-maire d’Évry-Courcouronnes, souhaitait qu’une pagode y soit installée. Il voulait construire une ville multiculturelle, faire coexister plusieurs religions dans le respect des valeurs laïques républicaines. Il a présenté plusieurs terrains au Vénérable Thich Minh Tam qui a choisi celui-ci », explique, dans sa langue natale, le Vénérable Thich Quang Dao, le principal de la Pagode d’Évry. Originaire de Vung Tau (anciennement Cap Saint-Jacques), une ville située à une centaine de kilomètres de Saïgon, cet homme de 58 ans est arrivé en France en 1981, avant d’être ordonné dans la sangha bouddhiste en 1984. En 2009, il a été ordonné vénérable supérieur de la Shanga lors d’une cérémonie qui s’est tenue à la pagode Vien Giac d’Hanovre, en Allemagne.
Capitale spirituelle du Sud de l’Ile-de-France, Évry compte aussi une cathédrale, conçue par l’architecte Mario Botta et achevée en 1997, une grande mosquée, bâtie au début des années 1990 et pouvant accueillir 1500 personnes, deux synagogues dont une inaugurée en 1981, un centre protestant et un centre évangélique protestant… Une équipe de croyants de différentes religions édite, chaque année, un calendrier interreligieux de l’Essonne, listant mois après mois, les principales fêtes et manifestations bouddhistes, chrétiennes, juives et musulmanes.
La construction de la pagode d’Évry n’a pas été un long fleuve tranquille. Il a fallu plus de vingt ans pour achever les travaux lancés, en 1996, par le vénérable Thich Minh Tam (lire notre encadré). Le chantier a dû être interrompu à plusieurs reprises faute de rentrées financières suffisantes. L’édifice a été en grande partie financé par des dons et des prêts de fidèles, français pour la plupart, européens et parfois d’autres continents.
Le coût des travaux, évalué à sept millions d’euros dans les années 1990, a finalement plus que triplé pour atteindre vingt-quatre millions d’euros. « À l’époque, le maire d’Évry nous avait incités à construire un édifice capable de résister à l’épreuve du temps. Nous avons donc opté pour du béton armé, un matériau plus coûteux. Nous avons, en outre, ajouté deux étages par rapport au projet d’origine. Enfin, certains éléments ou matériaux, comme les tuiles vernissées, les sculptures de dragon ou de lotus et les balcons en bois précieux, ont dû être importés d’Asie générant des coûts de transport importants », énumère le Vénérable Thich Quang Dao pour éclaircir les raisons de ces surcoûts.
Il est 12h30. Moines, nonnes et laïcs sont désormais attablés, en sous-sol, dans la grande salle polyvalente. Au menu végétarien : des nouilles sautées aux légumes et tofu servis avec du riz. Le déjeuner, pris en silence, s’achève par une lente procession traditionnelle, accompagnée de récitations de sûtras. Le cortège se meut lentement en direction de la cour située devant la pagode avant de grimper les escaliers en direction de la salle de prière, où moines et nonnes regagnent, les uns après les autres, leurs coussins de méditation.