« Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la Nature qui se défend ». Le mouvement de la justice climatique aurait-il puisé une partie de son inspiration du côté des bouddhistes ? Devenu un mantra fédérateur des manifestations contre le changement climatique, aux quatre coins du globe, ce slogan reprend en effet à son compte un principe essentiel du bouddhisme : l’unité de toute chose, et plus particulièrement la non-dualité de la vie et de l’environnement.
« Cette interdépendance, c’est le fondement même des enseignements bouddhistes, décrypte Amy Hollowell, Maître Zen et fondatrice du centre Wild Flower à Paris. Cela permet de lutter contre cette idée d’être un Soi spécial, figé et solide, séparé des autres. C’est de cette illusion que naît l’origine de la plupart de nos maux et de nos désastres environnementaux ». Preuve est largement faite, aujourd’hui, de cette interdépendance dans le cas du réchauffement climatique, pour lequel les premières victimes sont rarement les premiers responsables… Autrement dit, considérer son regard sur son prochain, c’est aussi considérer son regard sur son environnement.
De fait, le bouddhisme se révèle être une source riche de réflexion sur les grands enjeux de la crise écologique. Notamment parce l’idée de nature y est omniprésente, dans son enseignement : « En défendant le respect de toute vie, humaine comme animale ou végétale, avec l’intention de n’y causer aucun tort, le bouddhisme peut très facilement être associé à l’écologie, explique ainsi Martine Batchelor, coauteure d’un livre en anglais sur le sujet, intitulé Buddhism and Ecology. D’ailleurs, il y avait déjà des textes de nature très écologiste au temps de Bouddha ».
Le bouddhisme et ses gestes protégeant l’environnement
2500 ans plus tard, celui qui était alors président de l’Union Bouddhiste de France, Olivier Wang Genh, le rappelait à sa façon, lors d’un discours prononcé au Sénat en mai 2015, à l’occasion d’un colloque préparant l’événement de la COP 21 : « La première observation qu’a faite le Bouddha, c’est que tout, absolument tout dans l’univers et au-delà, a une nature impermanente. C’est-à-dire que rien n’est stable, rien n’est figé, rien ne dure indéfiniment. […] Prendre pleinement conscience de cette impermanence, c’est arrêter d’agir comme si les ressources naturelles étaient éternelles ».
Au quotidien, la pratique bouddhique va de pair avec une critique de la société de consommation. « Faire la différence entre son désir et son besoin est au cœur de la démarche bouddhiste. Le bouddhisme moderne questionne donc beaucoup ce modèle de société qui épuise nos ressources et suscite des convoitises inutiles ». Concrètement, cette pratique bouddhique est souvent associée à un ensemble de gestes protégeant l’environnement : végétarisme, permaculture, autosuffisance ou réduction des consommations et des déchets, la plupart des grands lieux bouddhistes respectent des règles environnementalement responsables et cohérentes, à l’image du centre des Pruniers, fondé dans le Périgord par le Moine Thich Nhat Hanh.
« La première observation qu’a faite le Bouddha, c’est que tout, absolument tout dans l’univers et au-delà, a une nature impermanente. Prendre pleinement conscience de cette impermanence, c’est arrêter d’agir comme si les ressources naturelles étaient éternelles ». Olivier Wang Genh, président de l’Union Bouddhiste de France
Plusieurs autres mouvements militent par ailleurs, à travers le monde, pour défendre les causes de la nature. Que ce soit les célèbres moines de la forêt en Thaïlande, autour de la figure de Phra Prachak, Joanna Macy avec son travail autour du nucléaire ou le 17e Karmapa, Ogyen Trinley Dorje, toutes et tous illustrent la diversité des implications bouddhistes dans les préoccupations environnementales. En France, les Éclaireurs de la Nature, un mouvement de scoutisme bouddhiste lancé en 2007 à la suite d’une rencontre avec Pierre Rabhi et qui réunit aujourd’hui plus de 750 jeunes, témoigne d’un réel intérêt des nouvelles générations pour ces questions. Le centre bouddhique Lungta, basé dans le Val de Marne, organise d’ailleurs un séminaire sur le sujet, intitulé « Environnement et bouddhisme », sur la journée du samedi 2 mars prochain.
Et pour ceux qui vivraient tous ces enjeux avec le sentiment d’angoisse qu’ils peuvent légitimement susciter, la méditation est là pour aider à y faire face. « Aux États-Unis ou en Thaïlande, il y a des retraites spéciales pour les activistes, qui s’épuisent parfois dans leur combat. La méditation peut les aider à retrouver stabilité et lucidité », raconte Martine Batchelor, qui enseigne elle-même la méditation, « qui nous aide à développer sagesse et compassion pour que cela soit bénéfique à nous-mêmes et aux autres ». Plus encore, la méditation reste aussi un formidable outil d’éveil spirituel : « la méditation est une expérience directe, sans médiation, d’une autre perception des choses », résume Amy Hollowell. En cela, elle s’avère donc précieuse pour réhabiliter cette quête d’harmonie entre les humains et le reste du monde vivant. Mais également pour porter le message d’espoir et d’optimisme qui doit accompagner cet engagement en faveur d’un monde plus juste et plus durable