Du Tibet à la Bretagne, trois réfugiés témoignent

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Surveillance de l’armée. Proches emprisonnés. Ils ne pouvaient plus rester au Tibet. Tenzindolma, Tenzinpelma et Choeden ont donc décidé de fuir. Un voyage périlleux vers le Népal puis une nouvelle vie en Inde, dans des conditions difficiles. Au fait du bon accueil réservé aux Tibétains en France, ils ont tenté leur chance et obtenu l’asile. Ils se reconstruisent aujourd’hui, à Rennes. Tâchant de cultiver la sagesse et la bienveillance, comme le préconise le Dalaï-Lama, ils conservent un infime espoir de retrouver, un jour, leur pays.

Nyandak, les cheveux attachés, vêtu d’un sweat à capuche noir, finit de nettoyer les tables où de nombreux convives ont dîné la veille. Le restaurant Dolma, fermé le dimanche, nous ouvre spécialement ses portes pour quelques heures. Le propriétaire, aidé par Tenzin, un ancien serveur, nous sert un chaï au lait accompagné de khabsé, de fins biscuits au blé, pour nous souhaiter la bienvenue. Sur le mur, côté droit, apparaissent les huit symboles de bon augure. La roue du Dharma et le nœud sans fin, jaune et rouge, sont facilement reconnaissables. L’atmosphère et paisible. Seuls les grondements du vent, à l’extérieur, signalent la tempête en approche.

La porte s’ouvre. Un homme et deux femmes prennent place autour de la table, sous un portrait du Dalaï-Lama. Les trois réfugiés tibétains ont accepté de nous raconter leur parcours. Nyandak et Tenzin nous servent d’interprète. Choeden, mince, les cheveux courts, a 33 ans. Il se souvient de sa fuite du Tibet central, en 2009. « La pression de l’armée chinoise était telle que j’ai décidé de fuir. Dix jours de marche jusqu’au Népal, avant un long trajet en camion jusqu’à New Delhi, en Inde. »

Cachée dans les marchandises

Assise à notre droite, Tenzindolma nous raconte les circonstances de son départ, alors qu’elle n’était qu’une enfant, en 1999. « Mon père avait été arrêté pour avoir manifesté. Il est mort aux travaux forcés, dans une explosion de dynamite. On n’a pas pu récupérer le corps. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de quitter le Tibet. » À l’aide d’un passeur, elle s’embarque dans un voyage dangereux depuis Lhassa, cachée dans un camion pendant une semaine, au milieu de marchandises. Arrivée à la frontière, elle rejoint le Népal à pied. L’un de ses compagnons d’exil trouve la mort en traversant une rivière. « Quand nous sommes arrivés, il faisait très chaud. Il y avait des problèmes d’hygiène, des maladies… » Puis, au bout de trois mois, les enfants ont été séparés des adultes. Envoyée à New Delhi, elle y poursuit sa scolarité avant de travailler comme femme de ménage. « Je devais me débrouiller toute seule. J’étais loin de ma tante, qui se trouvait alors à Dharamsala. »

Cette dernière, âgée de 34 ans, pourrait être sa sœur. Comme sa nièce, Tenzinpelma a le visage rond, le regard doux, tient ses cheveux attachés en une queue de cheval. Son débit de parole est soutenu, quand elle évoque l’histoire de son exil, en 1994. « Ma famille était strictement surveillée par l’armée. Je suis partie avec 25 autres jeunes. Après un mois et demi de marche, nous avons atteint la frontière népalaise. » Mais la police chinoise avait eu vent de leur départ. Des membres de sa famille sont arrêtés et renvoyés à Lhassa. Tenzinpelma réussit à passer. « Je n’avais que neuf ans, je voulais rentrer au Tibet retrouver ma famille », se souvient-elle, douloureusement. Son périple la conduit ensuite à Dharamsala. Après six années à l’école du gouvernement tibétain en exil, elle rencontre son mari et se lance dans la couture, produisant notamment des broderies de soie et des habits de moine.

Faux passeport et rêve français

Choeden l’écoute avec attention, avant de poursuivre : « Je vivais, quant à moi, dans le Karnataka, j’enchaînais les emplois dans la restauration tout en apprenant l’anglais. C’était difficile », raconte le jeune homme. Rêvant d’une vie meilleure, il apprend que la France réserve un bon accueil aux réfugiés tibétains. À l’aide de passeurs, il obtient un faux passeport et embarque avec des amis pour Paris, début 2018. Plusieurs sont arrêtés à l’immigration. « Par chance, j’ai réussi ». Arrivé en France, il se rend à Conflans-Sainte-Honorine où, sur la péniche de l’association La Pierre Blanche, il rencontre de nombreux Tibétains. « Nous dormions sur les quais. Les membres de l’association m’avaient assuré qu’à Rennes, il était plus facile d’obtenir des papiers. » Quelques jours plus tard, il débarque donc au restaurant Dolma, devenu le quartier général des Tibétains dans la capitale bretonne. « Le 17 septembre 2018, j’ai obtenu mon statut de réfugié », se souvient-il, avec le sourire.

« Mes parents m’ont décrit le sang qui coulait depuis le Palais du Potala, les corps empilés comme des briques au milieu des rues. Ils m’ont toujours rappelé de ne jamais oublier ». Tenzinpelm

Tenzindolma garde les bras croisés. Arrivée en 2015, dans des conditions similaires, elle est d’abord logée une semaine à Paris chez une amie, à La Porte de la Chapelle, avant de gagner Rennes. « Pendant un mois et demi, j’ai dormi au Samu social, qui recueille les personnes sans-abri. Ensuite, j’ai trouvé un logement social en colocation, avec deux migrants africains. » À Rennes, elle aussi travaille un temps au restaurant Dolma avant d’enchaîner des petits boulots. Puis elle rencontre un réfugié tibétain, avec qui elle a un enfant.

Développer la sagesse, loin des siens

Les trois réfugiés ont dû adapter leurs habitudes alimentaires. Ce sujet vaut un débat animé, ponctué d’éclats de rire. Tenzindolma cuisine la plupart du temps, chez elle, des plats typiquement tibétains : « Sur les hauts plateaux, nous mangeons des plats chauds avec de la viande et des légumes. J’ai donc du mal à apprécier les salades et les sandwiches. Mais j’aime le pot-au-feu », assure-t-elle. Tenzinpelma, déjà fidèle à sa terre d’accueil, admet son goût pour les galettes bretonnes.

Tous les trois continuent de pratiquer le bouddhisme Vajrayana, à leur manière. « Comme je dois m’occuper de mon enfant, je ne peux pas méditer tous les matins, reconnaît Tenzindolma. Mais tous les huitièmes et quinzièmes jours du mois lunaire (2), j’adresse mes prières au Bouddha, chez moi. » « Chez nous, ce sont surtout les moines qui méditent, poursuit Choeden. Nous, laïcs, devons avant tout développer la sagesse et la bienveillance, avec transparence. C’est le message du Dalaï-Lama ». La communauté tibétaine de Rennes, forte d’une trentaine de personnes, n’hésite pas à se retrouver régulièrement pour prier au parc du Thabor ou dans une salle louée pour l’occasion.

Le Dalaï-lama comme symbole d’espoir

Une pluie fine commence à tomber à l’extérieur. L’air se rafraîchit. Les deux femmes enfilent leur manteau. Loin de leur terre natale, les réfugiés restent au fait des nouvelles de leur pays grâce aux réseaux sociaux. Et tous perpétuent la mémoire du soulèvement tibétain de 1959, à Lhassa. « Le 10 mars, tout le peuple s’est révolté et le 12 mars, ce sont les femmes qui sont descendues dans la rue », précise Tenzinpelma. Un mouvement durement réprimé. « Mes parents m’ont décrit le sang qui coulait depuis le Palais du Potala, les corps empilés comme des briques au milieu des rues. Ils m’ont toujours rappelé de ne jamais oublier », ajoute-t-elle.

Choeden acquiesce : « Ce jour-là, le Dalaï-Lama avait été invité à dîner par l’armée chinoise. Mais il n’y est pas allé, puis s’est enfui, dissimulé dans la foule. Qui sait ce qu’il serait arrivé s’il avait répondu à l’invitation… »

Le XIVe Dalaï-Lama, Tenzin Gyatso, reste tout un symbole pour les Tibétains. « Il est notre lumière », assure Tenzinpelma. « C’est grâce à lui et à son message de non-violence que nous avons une bonne image à l’étranger », abonde sa nièce, qui espère pouvoir revenir un jour dans un Tibet autonome ou indépendant, « bien que cela s’annonce très compliqué », reconnaît-elle. « Tant que le Dalaï-Lama existe, on garde espoir », conclut Tenzinpelma.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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