L’abbé se leva un matin très tôt, ce qui n’avait rien d’anormal. Mais il avait été réveillé par des bruits de pas dans la salle de cérémonie, ce qui, en revanche, était inhabituel, car à cette heure, les moines effectuaient en principe leur « psalmodie » matinale (« Zzzzz… »). Il alla voir ce qu’il en était.
Dans l’obscurité, il aperçut une silhouette encapuchonnée. Un cambrioleur.
— Que veux-tu, mon ami ? lui demanda-t-il d’une voix affable.
— Ferme-la et file-moi la clé de la boîte de dons ! répliqua le voleur en brandissant un long couteau effilé.
La vue de l’arme n’effraya pas l’abbé, qui ressentit seulement de la compassion pour le jeune homme.
— Bien sûr, dit-il en lui tendant calmement la clé.
Tandis que le malfaiteur vidait la boîte de l’argent qu’elle contenait, l’abbé remarqua que sa veste était déchirée, qu’il avait le visage pâle et les traits tirés.
— À quand remonte ton dernier repas, mon petit ?
— Ta gueule !
— Tu trouveras de quoi manger dans le placard, à côté de la boîte de dons. Sers-toi.
Le voleur, surpris, s’interrompit brièvement puis, pointant toujours son couteau vers le moine par prudence, se hâta de remplir ses poches.
— T’avise pas d’appeler les flics, sinon… cria-t-il.
— Pourquoi veux-tu que je prévienne la police ? répondit tranquillement l’abbé. Les dons sont destinés à secourir les pauvres comme toi et je t’ai offert la nourriture de mon plein gré. Tu n’as rien dérobé. Va en paix.
Le lendemain, il raconta cet épisode aux moines et à l’assemblée de fidèles, qui le félicitèrent. Quelques jours après, il lut dans la presse que le cambrioleur s’était fait appréhender alors qu’il dévalisait une autre maison. Il avait été jugé et condamné à dix ans de prison.
« Aujourd’hui, je viens prendre le secret de votre bonté et de votre paix intérieure. »
Un peu plus d’une décennie plus tard, l’abbé fut tiré de son sommeil par des allées et venues dans la salle de l’autel. Il se leva pour voir ce qui se passait et, comme vous l’aurez deviné, il découvrit devant la boîte de dons le voleur, avec des rides en plus, un poignard à la main.
— Vous vous souvenez de moi ? cria-t-il.
— Oui, grommela l’abbé en mettant la main dans sa poche. Tiens, voilà la clé.
Le voleur sourit, posa son couteau et reprit d’une voix plus douce :
— Gardez-la, monsieur. Durant mes longues années de prison, je n’ai cessé de penser à vous. Dans toute ma vie, une seule personne a été bonne avec moi et s’est intéressée à mon sort : c’est vous. Oui, je suis revenu vous dérober quelque chose, mais j’ai compris que la première fois je n’avais pas emporté ce qu’il fallait. Aujourd’hui, je viens prendre le secret de votre bonté et de votre paix intérieure. C’est ce que je voulais vraiment au départ. S’il vous plaît, donnez-moi la clé de la compassion. Faites de moi votre disciple.
Peu après, il devint moine et s’enrichit bien plus que dans ses rêves les plus fous, d’une opulence de bonté et de sérénité. C’est ce que nous voulons tous, au fond. Quel beau butin !