Caroline Lesire : méditer, un acte révolutionnaire

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La méditation est pour elle un « acte profondément subversif et révolutionnaire qui peut être un premier pas vers d’autres formes d’engagement. » Entretien avec Caroline Lesire, coordinatrice de l’association Emergences. Cette jeune femme belge anime aussi des cycles de préparation à la naissance basée sur la pleine conscience, tout en s’investissant dans le mouvement « Mères au front », né en mars dernier.

Quand et comment avez-vous découvert la pleine conscience ?

Il y a quelques années, lorsque je travaillais encore dans l’aide au développement et que j’effectuais souvent des missions éprouvantes dans différents pays d’Afrique francophone, j’ai été proche de vivre une sorte de burn-out, alors que je n’avais pas encore trente ans. C’est à ce moment-là qu’une amie m’a parlé des bienfaits de la méditation. Quand on est révoltée et en colère, et que l’on n’écoute pas et n’honore pas ces sentiments de douleur que l’on éprouve, on devient plus fragile et moins disponible à l’égard de ceux que l’on côtoie. La méditation permet de prendre soin de son intériorité, mais aussi de se relier aux autres « Colibris ». Quand on se connecte à ces alternatives fécondes et positives, on sent l’énergie monter en soi.

Que vous a apporté la méditation ?

Cela a été une transformation radicale. J’ai pris conscience qu’en prenant soin de soi, on prenait soin du monde. Le fait de passer ne serait-ce que quinze minutes, chaque matin sur un coussin, n’est pas un acte égotiste. Ce n’est pas se couper du monde, c’est un moyen d’observer ce qui se passe en nous et de se libérer, peu à peu, de certains de ses conditionnements. Dans ce monde qui tend à nous séparer, à nous aliéner des autres et de nous-mêmes, le fait de marquer un temps d’arrêt et de ne rien faire permet de tourner le regard, de voir les choses autrement. C’est donc à mon sens un acte profondément subversif et révolutionnaire, qui ne suffit pas, mais qui peut être un premier pas vers d’autres formes d’engagement.

Quelles sont vos autres pratiques ?

J’ai parlé auparavant de pratique formelle, mais la pratique informelle, c’est-à-dire ce que nous faisons de nos actes en lien avec nos valeurs, me semble tout aussi importante. En la matière, mes deux « maîtres » de méditation sont ma fille, aujourd’hui âgée de six ans, et la vie de famille plus généralement. Les enfants peuvent être nos meilleurs enseignants. Quand ils arrivent au monde, ils vivent au diapason du vivant, sans fard ni préjugés. J’ai des valeurs, mais aussi beaucoup d’incohérences que ma fille est la première à pointer. Le défi est d’arriver à les observer et les appréhender avec amour et douceur pour pouvoir, ainsi, s’aimer davantage et faire plus de bien autour de soi. J’apprends aussi beaucoup du quotidien qui nous pousse sans cesse dans nos retranchements. Comment faire de celui-ci, parfois très répétitif, et des contractions que la vie vous impose, un tremplin vers le changement ? Vivre le quotidien avec le regard de la pleine conscience permet de le magnifier et d’y insuffler du sens. Mais n’oublions pas que la méditation reste un entraînement de l’esprit. S’y adonner de manière régulière est essentiel si l’on veut en retirer des bienfaits à court et long termes. Se poser sur le coussin quand plus rien ne va ne suffit pas et risque même d’être contre-productif.

Comment est née l’association Émergences que vous avez cofondée avec votre compagnon Ilios Kotsou ?

C’est dans l’esprit de mon amoureux, de retour d’une université d’été de l’association Mind & Life, que l’idée a germé en premier. Après avoir échangé, notamment avec le moine bouddhiste Matthieu Ricard, sur la nécessité de rendre les découvertes scientifiques en matière de méditation plus accessibles au grand public. Dès le début, nous avons eu à cœur de participer à un changement de conscience, si nécessaire à notre époque. L’idée était d’associer développement personnel, engagement sociétal et rigueur scientifique.

Quel est l’objectif des journées Émergences ?

Lors de cet événement annuel, nous cherchons tout d’abord à mettre en lien et à inspirer les personnes présentes avec l’espoir qu’elles se mettent en mouvement, qu’elles se sentent nourries, utiles… Mais aussi à sortir la recherche en sciences humaines des laboratoires. Ilios, qui est chercheur en psychologie des émotions, m’a souvent dit combien il regrettait le traitement réservé dans la presse à des recherches passionnantes. Ces rencontres sont à but non lucratif. Les sommes récoltées sont dédiées à des projets solidaires comme ceux de l’association comme Karuna Shechen, cofondée par Matthieu Ricard, qui met en œuvre des projets humanitaires en faveur des populations défavorisées d’Inde, du Népal et du Tibet. Nous soutenons aussi des associations implantées en Belgique comme le Samu social de Bruxelles ou la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés.

« Dans ce monde qui tend à nous séparer, à nous aliéner des autres et de nous-mêmes, le fait de marquer un temps d’arrêt et de ne rien faire permet de tourner le regard, de voir les choses autrement. C’est donc à mon sens un acte profondément subversif et révolutionnaire, qui ne suffit pas, mais qui peut être un premier pas vers d’autres formes d’engagement. »

Une autre forme d’engagement qui nous tient à cœur est de proposer des cours de méditation à d’autres publics, en milieu carcéral, par exemple, mais aussi aux personnes qui prennent soin des autres et qui ont aussi besoin de prendre soin d’elles-mêmes.

Vous vous définissez comme une citoyenne du monde et une activiste. Sur quels autres terrains agissez-vous ?

Depuis que je suis très jeune, je ressens de la tristesse et de la colère face aux injustices dont je suis témoin. Une mutation intérieure s’est opérée lors d’un voyage que j’ai eu la chance de faire au Brésil en classe de terminale. Dans les favelas, j’ai été frappée de voir, dans la rue, des filles-mères de quinze ou seize ans avec, à leurs côtés, des enfants en train de respirer de la colle pour tenter d’échapper à un quotidien inhumain. Voyant que ces détresses humaines m’émouvaient beaucoup, un des accompagnateurs m’a encouragée à tenir bon le temps du voyage pour m’impliquer sur le terrain comme nous l’avions prévu, et d’utiliser la force de ce que nous avions vécu pour pouvoir témoigner au retour, partager, sensibiliser. Cela a été ma première leçon de pleine conscience, et j’ai perçu les bienfaits de pouvoir être avec ces sentiments, de ne pas lutter contre eux, pour ensuite agir à mon niveau. Aujourd’hui, je m’implique et j’agis au sein de différents réseaux, tout en transmettant aussi des outils, comme la pleine conscience bienveillante (caring mindfulness) ou le travail qui relie, pour aider chacune et chacun à prendre soin du vivant et à se sentir actrice, acteur du changement.

Qu’est-ce que le mouvement « Mères au front » que vous avez introduit en Belgique ?

Ce mouvement est né au Québec au début du mois de mars 2020. Il a été initié par Laure Waridel, une amie écosociologue et auteure, qui est une figure de la transition dans la Belle Province. Ce mouvement initié par des mamans veut faire entendre la voix de toutes les citoyennes et tous les citoyens qui se sentent concernés par l’état du monde. Les enfants d’aujourd’hui seront les adultes de demain, il est important de les accompagner dans d’autres paradigmes. Aussi, en s’appuyant sur l’image archétypale de la mère qui est prête à tout pour sauvegarder la vie et la faire gagner, tout le monde peut se sentir inclus et contaminé par cette énergie au service de la vie. Les mères qui ont donné la vie ne veulent pas que leurs enfants et ceux des générations futures vivent dans un environnement complètement dénaturé. Nous n’entendons pas assez les voix des jeunes parents, qui jouent pourtant un rôle essentiel. La première action a eu lieu, en mai, le jour de la Fête des Mères qui coïncidait en Belgique et au Québec. L’idée est de mettre l’accent sur le fait que la Terre est notre mère à tous. Nous avons la responsabilité d’en prendre soin. C’est un mouvement très horizontal. Chacun peut initier des actions pour peu qu’il respecte les valeurs du mouvement. Il nous faut parvenir à atteindre une masse critique. Des chercheurs soulignent qu’il suffirait que 3,5% de la population œuvre en faveur du changement pour que la bascule se réalise. Mobilisons-nous, tous ensemble, pour y parvenir.

Quelle forme d’engagement vous semble aujourd’hui le plus l’urgent ?

Des centaines de milliers de personnes œuvrent à travers le monde en faveur de la transition. Pour parvenir à une bascule vers le changement de paradigme auquel nous sommes de plus en plus nombreux à aspirer, il faut un changement de regard, d’imaginaire. Il n’y a rien de plus dynamisant et d’inspirant que de se sentir partie d’un mouvement qui est en train de construire le monde de demain. Rob Hopkins, l’un des principaux initiateurs du mouvement des Villes en transition, vient d’écrire un livre (1) qui encourage à remettre l’imagination au pouvoir. Il faudrait que chacun dans son secteur d’activité ou d’engagement imagine de toutes ses forces le monde qu’il veut voir advenir. Il faut aussi que nous nous connections les uns les autres sur un plan plus élevé, celui de l’amour pour le vivant, comme le souligne Matthieu Ricard. C’est ainsi que l’on pourra faire la différence.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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