« Faire des offrandes au temple et accumuler du bon karma permet de ne pas être réincarné en animal », dit-on en Thaïlande. J’ai du mal à accepter la manière dont cette idée de la réincarnation est présentée ici.
Depuis longtemps, j’essaye de comprendre le sens de ce principe et la différence des approches hindoues et bouddhistes. Les hindous parlent de réincarnation pour exprimer le fait qu’une âme, immortelle, transmigre de vie en vie, d’un corps à l’autre, humain ou animal par exemple, jusqu’à la libération finale. Les bouddhistes utilisent le terme de renaissance pour signifier qu’à la mort, un continuum de la conscience passe d’une existence à une autre, pour expérimenter de nouvelles composantes de la réalité, à travers différents supports corporels ou non (il existe six mondes de renaissance dans cette tradition), jusqu’à la réalisation de l’éveil. Pour eux, le monde étant cyclique, sans début ni fin, aucune entité immuable ne peut exister en soi, et donc se réincarner. De plus, ce sujet est dérisoire pour le pratiquant qui souhaite consacrer son temps et son énergie à accomplir sa nature de Bouddha. Il suit en cela, l’attitude du Bouddha qui ne s’est jamais prononcé sur ce qu’il y avait avant la naissance et après la mort. C’est donc à chacun de découvrir, par lui-même, la réponse à cette question.
Karma, renaissance, l’au-delà, et après ?
Habité par cette liberté intérieure que laisse la quête bouddhique, j’ai souvent questionné des Maîtres sur cette question. L’un m’a répondu par une autre question : « Comment penses-tu que la réincarnation telle qu’elle est présentée soit réellement bouddhiste ? ». La logique montre que cela n’est pas cohérent. Le bouddhisme ne croit pas en effet en l’existence d’une âme pérenne, c’est pourquoi il aide ceux qui le suivent à prendre conscience qu’aucune entité, qu’aucun « je » n’a de réalité. Le chemin conduit à s’affranchir des conditionnements du « moi » pour s’émanciper du cycle de la souffrance et du « je ».
« Pour expliquer l’univers, tu as besoin de toutes les feuilles de la forêt, mais pour bien vivre ta vie, tu n’as besoin que d’une poignée de feuilles. »
Des méthodes comme la méditation apprennent à devenir le témoin extérieur neutre, non identifié, de l’ego. Et offre ainsi à tous la possibilité de réaliser le « nirvana » chaque fois que l’on s’extrait du « moi » et du « je ». On y goûte dès que nous parvenons à arrêter le flux de nos propres pensées ou quand on les observe avec bienveillance, sans jugement. L’enseignement bouddhiste se concentre sur le fait de nous aider à mieux vivre notre vie ici et dans l’instant présent. Pourquoi songer à l’avenir et s’en préoccuper puisqu’il n’est pas encore là ? Pourquoi demeurer dans le passé qui n’est plus ? « Pour expliquer l’univers, tu as besoin de toutes les feuilles de la forêt, mais pour bien vivre ta vie, tu n’as besoin que d’une poignée de feuilles », disait le Bouddha. Pourquoi se projeter dans des conjectures sur l’au-delà, que l’on ne peut connaître, du fait de nos limitations.
À chacun de choisir sa vision de la vie. C’est cette ouverture que j’apprécie dans le bouddhisme, cet apprentissage de l’existence fait de questionnements, le fait qu’il n’y a pas qu’une vérité, que les choses sont plus complexes qu’on l’imagine et que d’autres nous dépassent. Et vous, qu’est-ce que la réincarnation pour vous ?