Ariya Baumann : Le pardon est un acte d’autoguérison

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Après avoir été nonne pendant 21 ans en Birmanie, où elle a suivi la méditation Vipassana auprès du maître Sayadaw U Janaka, Ariya Baumann est revenue dans son pays natal, la Suisse, et enseigne dans le monde entier les valeurs clés de cette tradition, dont le pardon et la bienveillance, Metta.

Existe-t-il plusieurs formes de Vipassana en Birmanie ?

Il existe en effet différentes approches de la pratique Vipassana. Il y a celle du grand maître indien Goenka, qui vivait en Birmanie et a répandu sa méthode dans le monde. C’est celle qu’enseignait mon maître Sayadaw U Janaka. Mais la plus connue est celle de Mahasi Sayadaw. Quelle que soit l’approche, le grand principe est de voir les choses comme elles sont en étant attentif, et comprendre la nature des processus physiques et mentaux en les observant avec un esprit calme. Développer le calme et l’attention est un prérequis indispensable pour pratiquer Vipassana.

Dans vos enseignements, vous parlez souvent du « dynamisme du mental ». De quoi s’agit-il ?

Le dynamisme du mental sert de base pour percevoir ce que nous voyons, entendons et pensons. Avec la méditation Vipassana, c’est-à-dire avec l’attention et la concentration, nous réalisons et nous comprenons que nos états mentaux – les pensées et les émotions – sont impermanents et ne sont qu’un processus dynamique qui change tout le temps. Réaliser par l’observation qu’ils changent aide à ne pas s’identifier aux pensées et aux émotions. Mais notre ego pense que le mental est un processus permanent, il s’identifie à elles. D’où nos problèmes ! La méditation permet d’observer et différencier les émotions bénéfiques de celles qui ne le sont pas. Ce qui nous aide à diminuer notre souffrance. Si nous pouvons voir une émotion négative comme un état mental impermanent, elle diminue plus vite et nous impacte moins.

Comment définissez-vous le pardon ?

Pardonner – à soi-même comme aux autres – signifie lâcher prise, pour notre propre bien, avec la blessure que nous ressentons. Ce qui évite d’entretenir la souffrance. Quand nous offrons le pardon, c’est d’abord pour nous guérir. Pardonner est un acte d’autoguérison qui nous donne une grande force. C’est un moyen de lâcher prise et de faire la paix avec le passé.

Le pardon est-il aussi une façon d’abandonner notre rôle de « victime » ?

Souvent, il est plus facile de blâmer que de pardonner. Nous externalisons le problème en pensant que l’autre personne est coupable et que c’est nous la victime. Ce rôle plaît beaucoup à l’ego. Élisabeth Kubler Ross (seule rescapée de sa famille du camp d’Auschwitz) disait du pardon : « C’est l’abandon radical du rôle de victime ». Quand nous pardonnons, nous retrouvons notre pouvoir, notre liberté, car nous ne sommes plus en présence de la haine, de la frustration, de la colère. Sans lâcher-prise, sans nous pardonner de nos propres erreurs, nous restons sous l’emprise de nos émotions négatives, et le sentiment de remords et de culpabilité peut nous suivre pendant longtemps.

« Pardonner est un acte d’autoguérison qui nous donne une grande force. C’est un moyen de lâcher prise et de faire la paix avec le passé. »

Se pardonner, c’est reconnaître que l’on aurait pu agir autrement. Quand nous reconnaissons que nous aurions pu agir mieux ou différemment, si nous n’avions pas été pris dans le piège de nos réactions automatiques, cela apaise. Nous nous pardonnons, car nous reconnaissons la force de nos « pilotes automatiques ». En le réalisant, nous nous donnons la possibilité d’agir une autre fois, autrement, pour soi et pour l’autre.

La compassion et la bienveillance sont-elles indissociables du pardon ?

La compassion (karuna) et la bienveillance (metta) sont étroitement liées au pardon. Ce sont des qualités du cœur humain qui ont le pouvoir de transformer la colère en pardon. Si la haine disparaît, le pardon peut prendre place. Si nous pouvons pardonner aux autres et à nous-mêmes les blessures, la souffrance, alors il peut y avoir guérison.

Qu’est-ce qui peut faire obstacle au pardon ?

La haine et le désir de vengeance, hélas répandus dans nos sociétés occidentales, sont de sérieux obstacles au pardon ! Si nous agissons pour nous venger, cela procure à l’ego un soulagement temporaire. Mais rien de plus, car là encore, nous nous enfermons dans notre propre souffrance et cela finit par nous ronger.

Pour vous, Metta et Vipassana se complètent, c’est-à-dire ?

Metta, c’est cultiver et renforcer la bienveillance, la bonté du cœur. C’est le contraire de la colère, de l’aversion, de la frustration… Plus la bienveillance est forte et ancrée dans le mental et dans le cœur, plus l’aversion est faible.  C’est plus facile de faire face à une émotion douloureuse ou inconfortable si elle se présente pendant la pratique de Vipassana, car nous apprenons à être bienveillants avec toutes les expériences.

Vipassana est la vue intérieure basée sur l’attention ou la faculté d’être présent. L’attention aide à être vigilant dans la vie pour maintenir une attitude bienveillante (metta) et ne pas retomber dans nos mécanismes automatiques et négatifs. Tout cela se complète.

Comment intégrer ces notions et la pratique de Vipassana dans le quotidien ?

Nous pouvons pratiquer Vipassana et Metta en étant pleinement conscients de nos faits et gestes. Quand nous montons un escalier, nous pouvons être attentifs aux mouvements des jambes ou du corps entier. Et, nous pouvons pratiquer Metta par exemple pour quelqu’un qui est avec nous dans une file d’attente, être attentifs à notre respiration dans le bus… Le secret est d’intégrer ces pratiques au quotidien et ne pas attendre d’être assis en tailleur sur un coussin pour être dans la pleine conscience ! C’est avant tout un état d’esprit qui se cultive chaque jour dans les petits gestes.

Recommandez-vous autant la méditation en marche qu’assise ?

La méditation en marchant est aussi bénéfique que la méditation assise. Elle peut être même plus facile à pratiquer, surtout si le mental est agité. Le mental se concentre sur le mouvement et cela apaise le flot des pensées. Après, vous pouvez continuer par la méditation assise.

Qu’est-il important d’avoir en tête lors des pratiques quotidiennes ?

Il faut se souvenir d’être attentif, bienveillant, patient, tolérant, de pardonner…  Au début de notre pratique, nous sommes piégés par nos rythmes et habitudes automatiques qui, souvent, ne sont pas bénéfiques. La pratique est une forme de déconditionnement des réactions malsaines (aversion, avidité, jalousie, rage, impatience, attachement, etc.) et de reconditionnement c’est-à-dire cultiver et renforcer des réactions telles que la générosité, compassion, bienveillance, patience, honnêteté, etc.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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