Dans sa robe de nonne, Ani Yeshé Lamo est assise à l’ombre d’un parasol, dans le paisible jardin de Mahamoudra Ling, au cœur de la campagne du Perche. Derrière un tronc d’arbre, un Bouddha posé sur un rocher médite paisiblement. « Le catholicisme m’a appris la spiritualité. Sans cette base, je ne serais pas nonne aujourd’hui », révèle-t-elle, en roulant légèrement les « r ». Ani est née en Pologne en 1960. Enfant, elle va à l’église chaque semaine et suit le catéchisme jusqu’à l’université. « Sans être dans une dévotion extrême, j’ai commencé à entraîner mon esprit quand j’étais enfant. »
Après des études de littérature polonaise, elle quitte son pays. « Dans les années 80, on ne pouvait ni écrire ni publier d’ouvrage dans mon pays », rappelle-t-elle. Elle s’installe en France avec ses trois filles. Après une école de commerce de vins et spiritueux, à Bordeaux, elle étudie à la faculté d’œnologie. Son diplôme universitaire d’aptitude à la dégustation des vins en poche, elle travaille pour un grand négociant, qu’elle représente dans son pays natal.
Grâce à des amis, disciples de Tenga Rinpoché, elle rencontre alors le bouddhisme. « Ils me disaient tous que leur rencontre avec le maître tibétain avait complètement changé leur vie ».
En 2005, en Pologne, elle en profite pour suivre, pendant cinq jours, l’initiation de Kalachakra, et décide de prendre refuge. Elle reçoit le nom de Yeshé Lamo, « déesse de la sagesse primordiale ». « Le nom reçu indique nos prédispositions ». De retour à Paris, pendant deux ans, Yeshé Lamo suit le cursus d’étude de philosophie bouddhiste et lit quantité d’ouvrages pour comprendre les enseignements de son maître. « Une fois, j’ai acheté tellement de livres que je ne pouvais pas en porter davantage », se souvient-elle, en imitant deux gros sacs soulevés dans ses mains.
Une nonne sur les traces du Bouddha
C’est en étudiant le livre Bodhicaryvatra : Marche vers l’Éveil de Shantideva qu’émerge en elle l’idée de devenir nonne. Après avoir convaincu Tenga Rinpoché qu’il s’agissait d’une décision réfléchie, celui-ci lui donne les premiers vœux, en 2007. Débute alors son pèlerinage en Inde sur les traces du Bouddha. Ani – « nonne » en tibétain – Yeshé Lamo se rend à Bodhgaya, en décembre de la même année, avant de rejoindre le monastère népalais Benchen, à Katmandou, où, au cours d’une seconde cérémonie, elle prend de nouveaux vœux, en présence de cinq moines pleinement ordonnés comme témoins. Pendant six mois, elle vit au monastère auprès de son maître. « Être à la source, côtoyer des novices âgés de six ans comme des religieux de quatre-vingt-dix. C’était le plus beau moment de ma vie. Tout ce que j’avais pu lire avant y a pris sens ».
« Accueillir, c’est user de la compassion à chaque instant. À un moment, on n’a même plus besoin d’objet de compassion, car elle devient notre état d’esprit. »
Son séjour en Inde se termine, après avoir accompagné Tenga Tinpoché à Dharamsala, auprès du Karmapa. De retour en Europe. En septembre 2011, Lama Gyourmé lui propose de s’occuper de Mahamoudra Ling et elle rencontre la vénérable Khandro Rinpoché au temple parisien de Kagyu Dzong. « Depuis, je la vois désormais tous les ans », se réjouit la nonne.
« Je ressens la même joie que lorsque j’avais six ans. »
Quelques rayons de soleil, filtrant à travers les branches, caressent son visage. « Je considère la lumière comme une bénédiction. C’est une chance d’être ici », se réjouit la nonne, pour qui le contact avec la nature a toujours été essentiel. « Je ressens la même joie que lorsque j’avais six ans, quand le prêtre nous disait que le bon Dieu était partout, même dans les fleurs ». Un rouge-gorge se pavane au coin de la maison. « Regarde comme il est joli », lance-t-elle avec un grand sourire.
Une femme passe et salue Ani. Elle sort d’un stage d’une semaine au centre de retraite, en compagnie d’un groupe de Qi gong. « Au revoir, bonne santé », lui répond chaleureusement Ani.
« Des gens très différents viennent ici. Accueillir, c’est user de la compassion à chaque instant. À un moment, on n’a même plus besoin d’objet de compassion, car elle devient notre état d’esprit ».
Un souvenir refait surface. « À mes débuts de nonne, j’ai rencontré une dame qui pleurait beaucoup. Ressentant sa souffrance, je lui ai promis de prier pour elle. Elle m’a retourné un sourire plein d’espoir », raconte-t-elle, les larmes aux yeux. « Cela m’a persuadée de poursuivre dans la voie des prières ».
Le retour aux racines, de Varsovie aux steppes de Sibérie
Un chemin de vie qu’elle partage avec sa famille. Sa fille aînée, Michaela, et sa petite-fille, Ambre, sont venues l’aider pendant les vacances. « Elles ne sont pas bouddhistes, mais ce sont de bonnes personnes », assure Ani. Sa famille, ses racines. « C’est dans ce lieu que le puzzle de ma vie se recompose », révèle-t-elle. Car ce n’est que récemment qu’elle a découvert son histoire. Après le décès de son père, sa mère lui a annoncé qu’elle avait été adoptée. Suite à cette révélation, elle s’est rendue à Varsovie, où elle a retrouvé sa famille biologique. Ses parents, son frère aujourd’hui médecin, ses grands-parents, mais aussi la religieuse qui l’avait retrouvée devant une église, alors qu’elle n’avait que huit jours. « La rencontre avec cette femme a été bouleversante. Nous sommes restées deux ans en contact, jusqu’à son décès. »
Ce retour aux sources lui a permis de retracer ses origines jusqu’aux tribus nomades chamaniques de Sibérie. « Mon bien-être dans la nature viendrait-il de là ? », s’interroge-t-elle. En écho avec ce lointain passé, émue, elle raconte ses récentes découvertes archéologiques dans les bois, à proximité de Mahamoudra Ling. Des pierres taillées du Paléolithique au Néolithique, plus précisément de 550000 à 5000 avant notre ère : « Un cadeau de l’univers » dit-elle. Une petite brise souffle entre les feuilles. Le silence est à peine perturbé par le claquement léger du carillon en bois, chatouillé par le vent. Ici, la sérénité est palpable à chaque instant.