Malgré la grisaille automnale qui recouvre les Monts d’Arrée, une douce lumière éclaire la maison en bois à travers la baie vitrée. Le lierre grimpe sur les murs du salon, au-dessus des ficus religiosa qui rappellent le temps du Bouddha. Marie-Noëlle Galliou a posé sur une petite table basse des tasses de thé et des palets bretons, clin d’œil à sa terre d’adoption. Derrière elle, une peinture de sa fille aînée représente le Mont Kailash, au Tibet.
Son mari, Christian, l’écoute avec attention. Marie-Noëlle est née, il y a 68 ans, en région parisienne, dans une famille ouvrière catholique pratiquante. « Je suivais le catéchisme, j’allais à la messe tous les dimanches. Il ne fallait pas rigoler avec la religion », se souvient-elle, songeuse, derrière ses lunettes. Néanmoins, certaines manifestations l’interpellent dès l’enfance, comme la vision d’une statue de Bouddha, à la télévision. À l’adolescence, une amie lui prête La vie de Gandhi : « J’ai été vraiment touchée par la non-violence et l’amour du prochain ». Comme beaucoup de jeunes de l’époque, elle lit ensuite les romans Lobsang Rampa, avant de s’intéresser à Taisen Deshimaru en découvrant son livre, Vrai Zen.
Du grenier à la forêt
C’est à 22 ans que tout s’accélère pour elle. Marie-Noëlle, alors secrétaire médicale, déménage en Isère avec son premier mari. Elle commence alors à se poser des questions sur la vie, découvre différentes voies comme les Rosicruciens ou Ramakrishna, puis le bouddhisme avec une voisine qui l’entraîne à Grenoble pratiquer avec Jean-Pierre Schneitzer, qui dirige un groupe de zazen, une fois par semaine. Passionnée, elle poursuit l’exploration de cette tradition, se rend à une conférence du maître Vajrayana Kalou Rinpoché : « Il était petit, maigre, ridé, dégageait une grande sagesse. En le rencontrant, j’ai été comme saisie, j’ai tout de suite senti que c’était mon chemin », assène-t-elle avec certitude. Mais, ce jour-là, un autre maître, de tradition Theravada, est assis dans le fond de la salle : le Vénérable Nyanadharo. Curieuse, Marie-Noëlle Galliou apprend que ce moine de la forêt laotien, qui a vécu cinq ans dans la jungle, réside à Karma Migyur Ling, à Montchardon, dans le Vercors. « Il fallait que je le rencontre » dit-elle, encore émue en se souvenant de ce moment. Elle passe une semaine à son monastère, en septembre 1976. « En le voyant méditer, j’ai eu l’impression d’être face à quelqu’un qui ne fonctionne pas comme nous ». Touchée au plus profond d’elle-même, Marie-Noëlle s’engage plus avant dans le bouddhisme, prend refuge, puis se rend à Tournon-sur-Rhône où l’une des disciples du Vénérable, Jeanine Boitel vient d’acheter une ancienne maison de chasseurs à retaper dans la forêt ardéchoise. Le centre achevé, le maître thaïlandais Ajahan Chah, accompagné de moines, vient consacrer le monastère Bodhinyanarama, le 7 juillet 1977. Elle se souvient de ces jours de cérémonies avec émerveillement.
Coup de foudre sur le coussin
Les premiers temps à Tournon, les méditants ne sont que trois. « Nous nous occupions du jardin et de la restauration du monastère. À tel point que, au moment d’aller sur le coussin, on tombait de sommeil », se souvient-elle. Pendant quinze ans, Marie-Noëlle assurera également la fonction de trésorière. Le quotidien est rythmé par la pratique et les travaux, ainsi que par des moments exceptionnels comme la venue, en juin 1979, du maître birman Mahasi Sayadaw.
« Maître Kalou Rinpoché dégageait une grande sagesse. En le rencontrant, j’ai été comme saisie, j’ai tout de suite senti que la voie qu’il enseignait était aussi la mienne. »
Un rayon de soleil éclaire les statues de Bouddha dans un coin de la pièce. Pour rafraîchir l’atmosphère, Christian ouvre la baie vitrée. En observant son mari se réinstaller sur sa chaise, Marie-Noëlle se rappelle : « Un jour, les Bretons sont arrivés ». Elle se souvient encore de sa première apparition, en 1987. « Assise sur mon coussin, j’ai fortement ressenti, sans le voir, sa présence lorsqu’il est arrivé à la porte. Ça m’a scotchée ». Pour le Finistérien, la sensation est réciproque : « On sentait bien qu’il se passait quelque chose entre nous, mais on s’évitait soigneusement », s’amuse sa femme. Malgré la famille – elle donne naissance à une deuxième fille – et le travail, Marie-Noëlle se lance dans de longues sessions de pratique chez elle, jusqu’à une heure et demie par jour. « Des barrières ont lâché », mais, revers de la médaille, cette recherche spirituelle intense perturbe sa famille, jusqu’à la séparation.
L’appel des landes bretonnes
Marie-Noëlle finit par se rapprocher de Christian, qui a divorcé entre-temps. En 1994, ils emménagent à Lampaul-Plouarzel, sur le littoral finistérien, et se marient, cinq ans plus tard. Pour gagner sa vie, Marie-Noëlle se reconvertit dans la vente de produits de soin pour le visage et le corps. À 48 ans, elle est licenciée. « Christian étant en préretraite, nous avons décidé d’arrêter de travailler pour apporter notre aide au monastère, à Tournon, entre 2002 et 2005 ». Sur une étagère, un Bouddha Theravada, offert par le Vénérable Nyanadharo, lui remémore cette période.
De retour en Bretagne, ils poursuivent des activités bénévoles. Cours de breton et conseil municipal pour Christian, ateliers d’origami pour Marie-Noëlle… Depuis 2016, elle assiste son mari lors des ateliers hebdomadaires de méditation Vipassana qu’il dirige à Morlaix. Le reste du temps, ils pratiquent chez eux et font régulièrement des retraites silencieuses qui durent plusieurs semaines.
Marie-Noëlle Galliou se réfère en cela à une tradition existante dans le Sud-est asiatique. « Des personnes d’un certain âge, vêtus de blanc, se retirent du monde pour vivre dans de petites cabanes et méditer, réciter les pujas (des rituels d’offrande exprimant de la gratitude envers le Bouddha, le Dhamma et la Sangha). C’est presque une vie d’ermite ». Elle rassure : « Nous prenons les messages de nos familles si besoin ».
Sur cette terre de Bretagne, « aussi chargée spirituellement », cette vie silencieuse lui permet de développer une plus grande clarté d’esprit, car les landes du Massif armoricain sont propices à la concentration.