On ignore le lieu, la date de naissance et celle de la mort, ainsi que les origines familiales de cette femme bouddhiste. Elle est seulement connue sous son nom religieux de Zukui Xuanfu, comme disciple du maître Jiqi Hongchu (1605-1672), lui-même un disciple de Hanyue Fazang, maître Chan très controversé et prenant le contre-pied de Miyun Yuanwu. Elle entretint des relations très étroites avec son maître et lui rendit souvent visite, même une fois devenue abbesse. Dans ses écrits, elle mentionne leurs échanges, notamment sur deux thèmes qu’il affectionnait particulièrement : les « six types de réalisation » (liuzhong chengjiu) et les « huit accès » (bamen). Elle entretint également une amitié suivie avec une condisciple, Baochi Xuanzong. Toutes deux devinrent des maîtres inscrites officiellement dans la lignée de Linji (Rinzai).
Une femme de caractère…
Zukui Xuanfu devint abbesse de plusieurs temples : le temple de la Fleur d’Udambara, dont on ignore la localisation, mais que l’historienne Beata Grant situe près du lac Dongting, dans le nord-est du Hunan, et le temple de la Transparence merveilleuse, situé à Xiuzhou près de Jiaxing (Zhejiang). Elle mena une vie très active, donnant de nombreux sermons à l’occasion d’ordinations et instruisant ses disciples. Dans son enseignement, elle s’appuyait beaucoup sur les « cas publics » des anciens maîtres, dont elle connaissait parfaitement les œuvres, mais elle en inventait, elle aussi, prenant souvent des exemples de la vie quotidienne. Elle apparaît comme une femme de caractère, très indépendante, qui témoigna des rivalités entre factions du Chan de son époque. Elle n’hésita pas à critiquer l’ambition des disciples de Miyun Yuanwu, obsédés par l’idée de constituer un lignage et d’asseoir leur notoriété.
Ses écrits laissèrent transparaître des dons littéraires, une grande connaissance du bouddhisme Chan et une profonde expérience intérieure.
La vie contemplative n’en joua pas moins un rôle important dans sa vie ; elle aimait se promener dans les collines et parmi les beaux paysages qui lui donnaient l’occasion de versifier et de traduire les divers états intérieurs qu’elle franchit, de s’interroger sur les questions typiques du bouddhisme et du Chan, telles que la non-différenciation entre soi et l’autre, la non-dualité homme/femme, la reconnaissance de la grandeur et de l’indépendance de l’esprit véritable, la compréhension de la vacuité qui fait que l’esprit ne se fixe nulle part, comme elle l’exprime dans un poème intitulé Revenant des collines, je ris de moi : « Aucun chemin vers le sommet solitaire de ce magnifique pic / Ceux qui l’atteignent doivent avoir réduit en cendres leur esprit / C’est drôle : les nuages blancs n’ont pas de destination précise / Ils vont de-ci de-là, au gré du vent. »
… Et de poésie
Cette éminente moniale de la lignée de Hanyue Fazang se distingua par la qualité de ses écrits qui laissèrent transparaître des dons littéraires, une grande connaissance du bouddhisme Chan et une profonde expérience intérieure. Ses disciples réunirent ses dialogues et ses écrits sous le titre d’Annales de Zukui Xuanfu (du monastère) de la Fleur d’Udumbara recueillies au monastère de la merveilleuse clarté (transparence). Auteur prolifique, elle composa elle-même un recueil intitulé Collection de fleurs de la falaise du maître Chan du monastère Fleur d’Udumbara (Lingrui chanshi Yanhuaji), indiquant dans sa préface les circonstances dans lesquelles elle avait commencé à écrire. Un jour, alors qu’elle était assise en méditation pendant une retraite d’été, n’ayant pas grand-chose à faire pendant ces longues journées, elle lut une collection d’expédients des grands maîtres du passé et les relut jusqu’à les avoir complètement intériorisés. Puis, soudain, l’inspiration lui vint et elle se mit à composer des vers. Un lettré en prit connaissance et souhaita les publier ; elle chercha un titre et, se souvenant des paroles du moine Xuedou (980-1052), qui dit un jour que la source originelle de tous les Bouddhas était comme la pluie qui arrosait les fleurs de la falaise, elle choisit d’intituler son recueil Fleurs de la falaise. Avec une de ses plus proches condisciples, Baochi Xuanzong, elle écrivit également le Recueil d’éloges résonant harmonieusement avec les anciens (Songgu hexiang ji), les éloges étant un genre littéraire typique des maîtres Chan qui écrivaient des vers en réponse à une énigme ou à un « cas public » (en chinois gong’an, en japonais kôan). On ignore la date de sa mort probablement survenue dans le dernier temple qu’elle eût en charge, celui de la Transparence merveilleuse.
Texte publié dans Les femmes mystiques. Histoire et dictionnaire, sous la direction d’Audrey Fella (Robert Laffont, 2013)