Depuis la véranda, en haut de la grande butte appelée « La montagne » par les habitants du pays de Redon, la vue est imprenable sur la Goule d’eau, confluent de la Vilaine et de l’Oust. Autour de nous, dans leurs pots, poussent une orchidée himalayenne et un ficus religiosa bonzaïsé surplombant un petit Bouddha. Yann nous confie méditer régulièrement dans cet espace lumineux, au lever du soleil. En entrant dans le salon du photographe, un riche décor s’offre à nous. Un vase Ming côtoie une Tara népalaise et un petit Jésus de Sofia. Sur la table, une obélisque miniature trône à côté d’un livre d’Alexandra David-Néel, Au cœur des Himalayas.
L’appel artistique
« Je me suis intéressé à l’Himalaya, et au Népal en particulier, quand j’avais 12 ans, par l’intermédiaire de la philatélie », nous confie Yann, assis confortablement dans un fauteuil. Chemise, gilet de smoking, bottines, le Breton, qui approche de ses 70 ans, est élégamment vêtu. En racontant ses souvenirs, il lève sa main gauche, dévoilant des chevalières aux doigts : « Pour enrichir ma collection de timbres, j’ai envoyé un mot à toutes les ambassades à Paris. J’ai eu peu de retours. Mais l’ambassade du Népal en France m’a envoyé un paquet de timbres. Je me suis alors dit que plus grand, c’est le pays que je visiterais en premier ».
Mais la vie en décide autrement. Yann perd son père très tôt. Pour pallier son absence et subvenir aux besoins familiaux, il commence une carrière dans la fonction publique, puis se marie. « J’ai eu beaucoup de vies », reconnaît-il. « Mais j’ai toujours été intéressé par l’art ». Dans le coin de la pièce lui faisant face, le Redonnais pointe du doigt un tableau de Marie-Suzanne Marotte, représentant la Vierge et l’enfant Jésus. « J’ai été modèle pour cette peintre qui m’a beaucoup appris. Plus tard, j’ai ouvert une galerie, avant de me mettre à l’art moi-même ». Peinture, sculpture, photographie, Yann s’essaye à différentes disciplines. La photo, qui lui permet de produire rapidement, a sa préférence. Après avoir participé à quelques ateliers, il continue sa pratique en solitaire : « Je suis quelqu’un d’assez sauvage », murmure-t-il avec le sourire. « En photo, on a besoin de patience pour pouvoir saisir une lumière, un instant. »
Dans l’intimité d’un tulku
En 2006, il peut exercer son œil aux couleurs de l’Asie, lors d’un séjour en Chine, sur les contreforts de l’Himalaya. Ravi, il décide de se rendre au Népal, en 2008. Deux ans plus tard, il rencontre Lama Jigmé Thrinlé Gyatso à Katmandou, où le Breton expose des portraits de femmes du monde. « Il m’a invité à le suivre dans les monastères fondés par son maître, Sengdrak Rinpoché, en pays sherpa. » Après un premier voyage, Yann et Thrinlé décident de faire un livre sur ces communautés. « En tout, je suis allé huit fois au Népal, dont quatre uniquement pour cet ouvrage », précise le photographe.
Avec un lama à ses côtés, Yann peut aisément approcher les familles. Notamment celle de Tenzin Dorjé, le neveu du Ve Sengdrak Rinpoché. Il suit aussi le tulku, réincarnation du grand maître dans son intimité. « On imagine la charge qui pèse sur ses épaules », témoigne le photographe, qui garde un merveilleux souvenir de la communauté sherpa. « Bakhang est pour moi le plus beau village du monde. Toutes les façades des maisons sont orientées vers la chaîne himalayenne. L’air y est pur. Il n’y a pas de bruit : on n’entend que des sons domestiques très doux, comme ceux des poules et des chèvres. »
Les Sherpas, ou la paix face à l’adversité
Le Breton ne tarit pas d’éloges sur les villageois. « D’origine tibétaine, les Sherpas sont présents au Népal depuis plusieurs siècles. Durs au travail, ils ont une forte capacité à rebondir. » Yann l’a constaté de ses propres yeux, après le séisme de 2015 : « Ils ont tout de suite trié les gravats pour récupérer les poutres, les tôles, les planches… Une semaine après, c’était déjà redevenu un village relativement confortable. Je n’ai vu personne se lamenter. Les habitants étaient souriants, dans une nouvelle vie. Ils ont intégré la notion d’impermanence ».
« Nous sommes effrayés par l’impermanence et avons perdu notre capacité à faire face à l’adversité. »
Une réalité saisissante que Yann a aussi côtoyée dans un hôpital de Katmandou, où il a vu des gens dormir dans les couloirs, d’autres mourir autour de lui. Tout cela le conduit à relativiser sur les mentalités occidentales : « Nous sommes effrayés par l’impermanence et avons perdu notre capacité à faire face à l’adversité ».
Élevé dans la tradition catholique et sensible aux valeurs bouddhistes, Yann ne se considère pas croyant pour autant. Mais il reste convaincu de l’interdépendance de toutes choses. Sensible à la question de l’environnement, il s’est rendu au Bhoutan, en 2008, pour un reportage sur ce petit royaume qui envisage de devenir le premier pays 100% bio au monde.
Dans la même logique, mais dans un tout autre style, il nous présente, dans son bureau à l’étage, son travail de nus masculins, qui lui a valu un prix international pour une série de photos sur l’homme et l’arbre. « Pour les deux, on utilise les mêmes termes de troncs, veines, racines. » Sur les images, membres humains et branches ne font qu’un. Il sourit : « C’est pour moi une manière originale de représenter l’interdépendance ».