André Comte-Sponville, qui le côtoie depuis vingt ans au centre Dürckheim, où il donne de temps à autre des leçons de philosophie, évoque dans la préface de La Sagesse exercée, « ses leçons toujours bienveillantes, son humanité si chaleureuse, si simple, si vraie » enracinée dans « quarante ans d’exercices spirituels et corporels, quarante ans de méditation silencieuse, d’attention et d’ouverture à ce qui est. »
Jacques Castermane est né sous l’étoile de l’exercice. Jeune adulte, il pratique l’aïkido avant de l’enseigner. Il se passionne pour cet art martial dans lequel il n’y a pas de confrontation, pas d’opposition. Un beau jour, alors qu’il fait une démonstration d’un exercice appelé « randori » avec un partenaire, il fait une expérience troublante. « Soudainement c’est arrivé ! J’étais « un avec ». Au risque d’être jugé sévèrement par quelques amis psychologues ou philosophes, il me faut dire que, au cœur de cette expérience, j’étais… mon partenaire, que mon partenaire était… moi ! Dans cette autre façon de voir, j’étais partie intégrante d’un événement. Au centre de cet événement et, en même temps, détaché de toutes les composantes de l’événement. Embrassant calmement la situation, sans le moindre désir de réussir, de gagner le combat et sans la moindre crainte d’échouer, de perdre le combat », écrit-il dans son livre La sagesse exercée.
Sa première rencontre avec Karlfried Graf Dürckheim (1896-1988) s’est faite en 1967, lors d’une conférence qu’il donnait à Bruxelles. « Dès qu’il a pris la parole, j’ai été très touché par le fait qu’il semblait être ce qu’il disait. À la différence des autres conférenciers qui parlaient de sagesse et de sérénité, il me donnait l’impression, par sa façon d’être là, d’être quelqu’un qui est calme, serein, confiant », insiste Jacques Castermane.
Deux ans plus tard, il quitte Bruxelles, abandonne son métier de kinésithérapeute, pour venir s’installer auprès de lui en Forêt-Noire, suivre ses enseignements et devenir son disciple. Il découvre que le cheminement que Dürckheim propose, qui a pour but la paix et l’équilibre intérieurs, passe avant tout par l’expérience et par le corps. Par l’exercice sans cesse répété qui est une voie de libération de l’être et de tout ce qui l’entrave. « De quoi étonner l’homme occidental qui pense que la seule approche de soi-même (« connais-toi toi-même ») et du monde passe par l’entendement », glisse-t-il dans un demi-sourire.
Un jour, Dürckheim lui dit : « Vous êtes tendu dans les épaules ! ». Ce à quoi Jacques Castermane lui répond : « Oui, mes épaules sont crispées ». Il l’interrompt aussitôt : « Non, en vous exprimant de cette manière, vous parlez du corps que vous avez. C’est l’homme qui est crispé dans ses épaules. Cela témoigne du fait que vous manquez de confiance ». Il ne s’agit donc pas de faire un massage des épaules, une thérapie tournée vers les épaules, mais, en tant que personne, de se libérer de cette « contre-action » installée dans les épaules. « Et cela change tout. Le travail au niveau des épaules devient une thérapie de l’homme tout entier, un geste de confiance », ajoute l’auteur du livre Comment peut-on être Zen ?
En 1981, Jacques Castermane a fondé le Centre Dürckheim dans la Drôme. Un lieu dédié à l’exercice, à l’expérience et à la vie spirituelle, dans lequel il transmet, depuis quarante ans, la Voie que son maître a tracée à son retour du Japon. Pour que chacun puisse s’éveiller à sa nature essentielle. Là, il propose des retraites en silence, pour se libérer du tumulte des pensées, s’exercer à la décélération et se familiariser avec une autre manière de vivre le quotidien. Et des sesshins de trois à six jours qui permettent une pratique intensive et régulière de la méditation. « Jacques est mon maître, mais c’est aussi un ami. Quelqu’un qui nous bouscule en permanence dans nos certitudes », pointe Jean-François Machet qui l’a rencontré pour la première fois en 1992, à une époque où il était, nous confie-t-il, mal dans sa peau. « C’est une montagne, un homme bouleversant de densité. Quelqu’un de très accessible, à la fois direct et attentif qui nous accompagne de façon personnalisée », souligne Nadine Van der Tol qui fréquente le Centre Dürckheim depuis quatre ans. Elle dit vivre désormais plus pleinement le moment présent et avoir renoué avec la joie, cette petite flamme que les enfants éprouvent (beaucoup) plus spontanément que les adultes et qui forme notre véritable substance.