Xuánzàng, pèlerin de l’impossible

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En 629, le moine Xuánzàng quitte clandestinement la Chine pour se rendre en Inde. Dix-sept ans plus tard, il revient triomphalement dans sa patrie afin d’y revivifier le bouddhisme. Portrait d’un voyageur transporté par la foi.

À cette époque, les spectres de la guerre et de la famine planent encore sur la Chine. Une dynastie nouvelle, celle des Tang, alors incarnée par le puissant empereur Taizong (au pouvoir de 626 à 649), fait régner un ordre nouveau après plusieurs siècles de chaos. Dans ce contexte incertain, un jeune moine envoie à la cour impériale une requête : il souhaite un laissez-passer pour partir vers l’ouest, vers l’Inde lointaine, terre d’origine du bouddhisme, afin de vérifier si les saintes écritures ont été bien traduites, et si d’aventure, des textes encore ignorés en Chine resteraient à découvrir là-bas.

Né peu après l’an 600 de notre ère dans le Henan, Xuánzàng (玄奘) a prononcé ses vœux de novice Mahayana à l’âge de treize ans. Ordonné moine à vingt ans, érudit déjà renommé, il voyage à travers la Chine, avide des textes du bouddhisme, souvent déçu, tant les traductions disponibles lui semblent déficientes. Il faut dire que les concepts bouddhiques, restitués par les sinogrammes, désorientent alors les Chinois. Xuánzàng devient alors maître en sanskrit afin de pénétrer le sens des écritures. Comme d’autres moines voyageurs avant lui, le plus célèbre étant Faxian (1), il se convainc qu’il faut partir en Inde, terre d’origine du bouddhisme, pour revivifier la foi de ses compatriotes.

La traversée de 110 pays

Faute d’accord impérial, il quitte clandestinement sa patrie et entame un voyage de dix-sept ans. Il traversera cent dix pays, ce qui témoigne autant de la fragmentation politique qui régnait alors que du courage qui le portait à travers ces immensités inconnues. Accompagnons ses pas, qui lui font traverser le désert de Gobi, où il manque périr de soif, avant d’entrer en terres turques puis perses, contournant l’Himalaya par le nord, Tachkent, Samarcande, les grandes cités des routes de la Soie, où il constate que le bouddhisme autrefois florissant a disparu. Il oblique vers le sud, passe à Bactres (aujourd’hui, Balkh), puis Bamiyan, villes situées dans l’actuel Afghanistan, alors riches en monastères… Il traverse le Pakistan et entre en Inde en 634.

Fasciné par l’école métaphysique du Yogâcâra (Conscience seule), il arpente dix ans durant l’immense sous-continent, débat fréquemment avec les moines de l’école theravadin comme avec les brahmanes et les érudits jaïns. Il visite les lieux où vécut le Bouddha, s’entretient avec les plus grands rois de l’époque, étudie dans les monastères les plus prestigieux, tel Nâlandâ, alors la plus grande université bouddhique du monde.

Il faudra un convoi et un éléphant pour ramener en sens inverse les 657 livres qu’il a collectés, traverser le fleuve Indus (qui emporte une partie de son travail), les cols de l’Hindu Kush et du Pamir (où périt l’éléphant), les grandes oasis pour contourner à nouveau l’Himalaya par le nord, Kashgar, Khotan, Dunhuang…

Comme d’autres moines voyageurs avant lui, Xuánzàng se convainc qu’il faut partir en Inde, terre d’origine du bouddhisme, pour revivifier la foi de ses compatriotes.

Sa renommée le précède. Sitôt passée la frontière chinoise, en 645, c’est vers la capitale Chang’an (aujourd’hui Xi’an) qu’il se dirige, soulevant les acclamations des foules. Il est reçu par l’empereur en personne, préoccupé de recueillir un maximum d’informations géopolitiques sur les pays de l’ouest. Tang Taizong est un politique inflexible, prompt à réprimer bouddhisme et taoïsme dès que des moines deviennent trop influents. Xuánzàng lui délivre ses informations, puis décline prudemment un poste de conseiller auprès du conquérant. L’empereur l’autorise à se retirer et lui adjoint les services d’une importante équipe de traduction.

Que Xuánzàng ait survécu au voyage vers l’ouest impressionne, et fait oublier sa tâche la plus méritoire : gérer une équipe qui traduisit en continu, plusieurs années durant, un rouleau d’écritures du sanskrit au chinois tous les deux jours, dont le Maha Prajnaramita sûtra, opus fondamental riche de 600 chapitres ! Ce trésor littéraire permit de sauvegarder certains ouvrages quand les originaux sankrits disparurent, lors de l’avancée de l’islam vers l’Inde. Il laissa aussi un récit circonstancié de son voyage, le Mémoire sur les contrées occidentales, incomparable source d’informations historiques – il avait mémorisé les distances avec précision, au rythme des prières qu’il psalmodiait en marchant. Les considérations théoriques qu’il acclimata en Chine, sur la perception, la conscience ou le karma, influencèrent de manière définitive les réflexions des penseurs chinois. Xuánzàng s’éteignit en 664, laissant à ses disciples le sentiment d’avoir côtoyé un bodhisattva.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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