Parti d’Inde il y a vingt-trois siècles, après avoir transité par l’Iran et les steppes d’Asie centrale, c’est en Chine que le bouddhisme a changé. Le bouddhisme postulait que la renaissance est dictée par les mérites accumulés dans les vies antérieures (karma). Que pour accéder au Salut, libération (moksha hindoue) ou extinction du désir (nirvana bouddhiste), il faut en passer par une infinité de renaissances et morts (samsâra). En avoir conscience permet de supporter les vicissitudes de l’existence.
Un tel état d’esprit était étranger à la zone de civilisation chinoise. On y adorait des esprits, des dieux qui reflétaient dans le Ciel les hiérarchies terrestres. On pouvait aller en d’autres mondes à la mort, et il importait de rendre un culte aux ancêtres, qui depuis l’au-delà veillaient sur leurs descendants. Le salut, pour une majorité de Chinois, c’était d’avoir des enfants qui auraient à cœur de vous aider dans l’au-delà par leurs offrandes. Pas d’attendre une extinction des souffrances, mettant un terme à un cycle d’existences incessant.
À nouveau contexte, nouveau concept
C’est comme ça que de gradualiste, le bouddhisme est aussi devenu, pour certains, subitiste. Les débats qui agitaient alors les écoles ont aidé à développer ces nouvelles conceptualisations. Il a fallu que le bouddhisme s’adapte à un nouveau contexte, qu’il trouve les mots qui permettraient de toucher l’esprit de gens ne partageant pas ses concepts d’origine. Pour remuer le cœur des pragmatiques Chinois, le bouddhisme a adapté son message, comme il le fera partout au cours des siècles à venir.
Pour remuer le cœur des pragmatiques Chinois, le bouddhisme a adapté son message. Et il le fera partout au cours des siècles à venir.
C’est ainsi que l’on trouve désormais, notamment, deux grands mouvements :
– Gradualiste : c’est l’adjectif qui qualifie le bouddhisme d’origine, perpétré par le Theravada. Vous accédez au nirvana au terme d’une infinité d’existences, dans lesquelles vous accumulerez du mérite, vie après vie.
– Subitiste : c’est l’adjectif qui qualifie le bouddhisme Mahayana (Grand Véhicule) et le Vajrayana (Véhicule du Diamant). L’idée est que vous pouvez accéder au salut de votre vivant. Des écoles du Mahayana, telles le zen ou l’amidisme, ont poussé cette logique très loin. Les Japonais le savent. Ils ont popularisé ces éveils impromptus, au milieu d’une méditation, ou quand l’esprit bute sur une énigme (kôan), ou quand on s’en remet au bodhisattva bienveillant qu’est Amida (Amithâba) au moment d’expirer.
C’est à cette version du bouddhisme, subitiste, que le monde sinisé s’est converti : Chine, puis Tibet et Mongolie, Corée et Japon et Viêtnam… Il existe deux mondes bouddhistes. Les gradualistes, autrefois partis vers l’Est ; et les subitistes, comme transfigurés par leur périple circulaire autour de l’Himalaya.
De quoi méditer lors de votre prochaine circonvolution autour d’un stûpa.