Swamini Amritajyoti Prana, représentante d’Amma en France : Être au service du monde

Publié le

De Ma Anandamayi aux maîtres tibétains en exil et Arnaud Desjardins, rencontre avec une femme au parcours de vie exceptionnel.

Vous avez passé plusieurs années auprès de la grande sainte indienne Ma Anandamayi. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de ces années d’enseignement ?

La rencontre avec Ma Anandamayi a été pour moi le grand tournant. Je suis allée vers elle en 1973, alors que j’avais vingt-trois ans. J’ai été pour la première fois en présence du grand mystère. Quand elle est arrivée, je suis immédiatement entrée dans une autre dimension. Ce fut une telle révélation que je n’ai cessé de revenir à elle alors que j’étais professeur de physique chimie en France. Dès que je le pouvais, je partais la voir en Inde jusqu’à ce qu’elle quitte son corps en 1982. Je sentais bien que c’était cet amour inconditionnel et cette liberté intérieure qui devaient guider ma vie. Être auprès de Ma Anandamayi a été la grande initiation à la spiritualité.

Vous avez vécu auprès de lamas tibétains en exil. Comment les avez-vous rencontrés ?

C’est par Arnaud Desjardins que j’ai découvert les Tibétains. J’ai pu approcher grâce à lui le 16e Karmapa alors qu’il animait une cérémonie de la coiffe noire. J’ai été de nouveau transportée dans un autre monde, touchée au cœur au moment où le Karmapa mit la coiffe et s’immobilisa comme une statue alors que la salle était totalement silencieuse. Ce moment d’une puissance extrême m’a fait entrer dans l’univers du bouddhisme tibétain. J’ai fini par quitter l’enseignement en 1978/1979 pour me mettre en disponibilité afin de pouvoir passer un an en Inde. J’alternais entre les séjours auprès de Ma Anandamayi et les rencontres avec différents maîtres tibétains en exil. Parmi eux, Tukshé Rinpoché, à Darjeeling, m’a particulièrement marquée. Quand je suis arrivée en juillet, il rentrait pour sa retraite d’été dans son monastère pendant plus d’un mois. C’était la mousson, période où il est déconseillé de voyager. J’ai demandé si je pouvais rester avec lui. Il a tout de suite accepté. Je me suis donc retrouvée, la seule femme, Occidentale de surcroît, avec des hommes de tous les âges à assister à tous les rituels, toutes les cérémonies et à avoir un accès libre à la pièce de Tukshé Rinpoché. C’était une grande bénédiction. J’ai été tellement fascinée par ce monde que j’ai décidé d’apprendre le tibétain. Je suis donc allée aux Langues O’ à Paris, où j’ai rencontré un professeur extraordinaire, Mr Jhampa. Quand il est arrivé pour la première fois, je l’ai vu entouré de lumière. Puis j’ai découvert qu’il était Dagpo Rinpoché. Un jour, il a invité un de ses maîtres mongols et j’ai servi de chauffeur. Dagpo Rinpoché s’est enfui du Tibet à cause de l’oppression chinoise. Le plus étonnant, c’est la joie de vivre qui se dégageait de ces maîtres tibétains alors qu’ils avaient tout perdu. Une simplicité, une disponibilité, une ouverture, une dévotion et un respect exemplaires.

Qu’avez-vous appris auprès d’Arnaud Desjardins ?

Pendant quinze ans, j’ai suivi la voie d’Arnaud Desjardins tracée par son maître Prajnanpad, qui pratiquait l’Advaita vedanta, très proche du bouddhisme. Il transmettait un enseignement spirituel à la fois du plus haut niveau et très pragmatique. J’avais beaucoup de peurs et de blocages dus à une enfance difficile. Mes raisonnements pouvaient être faux, car ils étaient réactionnels. Quand nous sommes dans l’émotion, il est difficile d’être dans une action juste. Tous les maîtres (Ma Andandamyi, Amma, Swami Prajnanpad) parlent de l’ego. On s’identifie à l’ego, on croit qu’on est cela, alors qu’en fait, nous avons en nous une autre dimension, beaucoup plus ouverte où réside l’amour inconditionnel. Ce que les bouddhistes appellent la nature de Bouddha. C’est le Soi qui n’est pas une personne, qui n’est pas limité. Mais si on est situé au niveau de l’ego, alors nos pensées et nos émotions sont subjectives, car elles sont teintées par notre propre histoire. J’ai pu faire, avec Arnaud Desjardins, ce nettoyage du cœur grâce à la pratique des lyings qui sont un outil, une béquille, pour nettoyer les nœuds du cœur, non pas pour que l’ego fonctionne mieux, mais pour s’en libérer. C’est une méditation active avec l’expression du corps, des mots, des larmes, des cris… Il s’agit de tout laisser venir pour chasser les nuages noirs qui masquent la lumière du Soi.

Quel est pour vous l’essence même de l’enseignement d’Amma ?

L’amour.

Et votre pratique principale à ses côtés ?

Actuellement, c’est le Seva. L’action désintéressée, le service. Amma nous incite à être utile à la société et donc servir. Pour cela, elle indique trois clés principales : se connaître, le Seva et être heureux. Il faut connaître l’instrument -nous – sinon on risque de servir de travers, mais aussi connaître nos motivations et les besoins de l’autre, un peu d’intuition et de savoir-faire pour répondre à ses attentes. On doit donc faire un travail de nettoyage et de purification puisque c’est un service désintéressé, sans ego, sans quête de reconnaissance ni de merci. C’est un don d’ouverture du cœur, un don total, sans attente. Il n’y a que l’ego qui veut attendre. Or, dans cette perspective, ce n’est pas moi qui agis, je suis un instrument.

Être la représentante d’Amma en France et avoir la responsabilité de son centre près de Chartres à la ferme du Plessis, est-ce une façon pour vous de mettre en pratique cette phrase d’Amma : « L’occasion d’aimer et de servir les autres devrait être considérée comme un cadeau rare, une bénédiction de Dieu » ?

Dès que j’ai rencontré Amma en Inde, j’ai été inondée d’un tel amour que j’ai voulu rester auprès d’elle. Mais après quatorze ans dans son ashram d’Amritapuri, au Kerala, où je suis actuellement confinée, elle m’a demandé de m’occuper de son ashram en France. Des dévots avaient trouvé un lieu près de Chartres, la ferme du Plessis. Elle m’avait dit que ce n’était que pour lancer l’ashram, mais j’ai peu à peu compris que ma Sadhana, ma démarche spirituelle, passait par ce travail, loin d’elle. Comme la mère oiseau qui lance le bébé hors du nid.

« Le Sannyas est un engagement de non-retour, de renoncement à ce qu’on n’est pas, à l’ego pour être complètement au service. On ne s’appartient plus, on appartient au monde. On est au service du monde. »

Le 13 mars 2020, vous avez reçu l’initiation Sannyas Deeksha d’Amma, qu’est-ce que cela change pour vous ?

Deux cents personnes ont été initiées dans le Brahmacharya, c’est la deuxième étape, la première étant de venir s’engager à l’ashram. Il y a eu cinquante Sannyas. Le Sannyas est la dernière étape, même si tout n’est pas résolu… Néanmoins, c’est un engagement de non-retour, de renoncement à ce qu’on n’est pas, à l’ego pour être complètement au service. On ne s’appartient plus, on appartient au monde. On est au service du monde. Il n’y a plus de personnalité. Il s’agit donc de l’effacement de l’ego et de tout désir personnel. C’est idéal bien sûr, nous n’en sommes pas là du jour au lendemain, mais on cherche à limiter au maximum nos besoins, à faire passer l’intérêt de l’autre avant le sien. Le renoncement plus subtil est le renoncement à tout attachement dans ce monde par la compréhension que la vraie dimension de la vie, c’est la dimension spirituelle. On fait même nos propres funérailles l’avant-veille de l’initiation de Sannyas. C’est une plongée dans un autre temps. Trois mois après, je suis en train de digérer tout cela et d’intégrer cet engagement de Sannyas qui est très puissant.

Quel est le message qui semble résumer tout votre chemin de vie ?

Courage. Ne lâchez pas cette détermination, cette soif aussi forte que si vous aviez besoin d’air alors que vous êtes sous l’eau et que vous ne pouvez plus respirer. Pour nourrir cette soif, il faut lâcher tout le reste. Le Sannyas est un total lâcher-prise de tout ce qui est autre que cette soif.

Que recommandez-vous à ceux qui ne veulent pas s’engager dans une voie spirituelle ?

Soyez heureux. Amma nous dit que le bonheur est une décision. J’ai donc envie de dire à toute personne qui ne veut pas s’engager dans une voie spirituelle : « Ok, mais soyez heureux ». Quelqu’un de vraiment heureux va apporter aux autres.

Quelle est, selon vous, la meilleure façon d’aborder la crise que nous traversons ?

Courage et lâcher-prise sur ce qui va nous lâcher. Soyons disponibles pour ce qui est à faire. Courage et énergie pour mettre en place ce qui doit être changé. Et surtout amour et compassion, c’est le début et la fin de tout.

Photo of author

Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

Laisser un commentaire