Demeure Sans Limites : Un chemin de simplicité et de silence

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Séjourner à la Demeure sans Limites, un temple zen de l’école Sôtô situé dans l’Ardèche, c’est s’engager sur un chemin de simplicité et expérimenter « la joie de la légèreté et du non-avoir ». Reportage à Saint-Agrève.

On y accède par une petite route goudronnée qui zigzague entre des champs de moyenne montagne, où paissent vaches, chevaux et moutons, et des forêts de hêtres, de sapins et de pins sylvestres. En fin de parcours, la route se mue en un chemin gravillonneux ombragé qui plonge soudain en direction du temple zen. Au bout du chemin, une jolie petite ferme aux murs jaunis par le soleil. À gauche, dans un champ en contrebas du chemin, deux chevaux abrités sous un bosquet d’arbres nous accueillent en s’ébrouant et en agitant doucement leur crinière.

Pourquoi ce nom de La Demeure sans Limites ? « Le nom du temple, c’est hôkai-ji. « Ji » signifie temple, « hô » ouvert et « kai » les dix directions. Notre temple est ouvert dans les dix directions, donc sans Limites », explique Sensei Joshin Bachoux, la fondatrice du lieu qu’elle a ouvert en 1991.

Fin juillet, sur ce plateau granitique, planté aux confins de l’Ardèche et de la Haute-Loire, la chaleur n’est pas étouffante comme elle l’était, une heure plus tôt, dans la vallée de la Drôme, aux abords de Valence. Mais la température dépasse les 34 degrés, fait rare à Saint-Agrève, le village planté à mille mètres d’altitude.

Tout sourire, enveloppée dans son kimono noir, Jôkei-Ni Lambert, nous accueille, à côté de l’abreuvoir égayé par un massif de fleurs, en nous offrant un verre d’eau fraîche. Pendant que l’abbesse de la Demeure Sans Limites fait le tour du propriétaire, à l’intérieur du temple, dans une ancienne étable transformée en zendo, une demi-douzaine de personnes font zazen. Depuis les prairies qui moutonnent doucement autour du temple, on aperçoit à quelques centaines de mètres trois fermes posées à flanc de colline. Les champs sont coiffés par une forêt qui abrite chevreuils, renards et écureuils. Au-dessus du temple, un potager en permaculture lutte contre la chaleur. Sur une hauteur, à l’écart du temple, un ermitage dédié à des retraites solitaires et en silence. À l’intérieur du temple, dans cette ferme ardéchoise typique en pierres sèches, aménagée simplement, on découvre, à l’étage, deux chambres-dortoirs conçues chacune pour accueillir quatre personnes, une bibliothèque-salle de lecture qui accueille aussi les enseignements du Dharma et un autel flanqué d’un point librairie où sont vendus des livres et brochures bouddhistes. Au rez-de-chaussée : le Saint des Saints, le zendo, qui jouxte la cuisine.

Sur les zafus, matin, après-midi et soir

« Méditation, pratique de zazen, horaires stricts et attention portée aux tâches quotidiennes : Joshin Sensei a conservé les grands traits de la pratique du zen des temples japonais comme celui de Zuigakuin où elle s’est formée auprès de Maître Moriyama qui l’a ordonnée en 1986 », explique Jôkei-Ni.

« Le zen n’est pas fait pour obtenir quelque chose de particulier. C’est vivre respiration après respiration, pas à pas en suivant la loi de l’univers, en rejetant sans fin le moi individuel, en revenant au véritable moi universel de la vie. »  Aoyama Roshi

Ici, silence et simplicité sont deux des règles d’or. Le silence et la pleine conscience ne sont pas l’apanage du seul zendo. On pratique la pleine conscience au temple sur les zafus, matin, après-midi et soir, mais aussi dans la cuisine, dans le potager, en marchant, en se lavant, et en mangeant. Les repas sont pris en silence, dans la cuisine ou sur la terrasse, dans des bols traditionnels enveloppés dans des fichus et serviettes. De façon à cultiver l’attention et à donner du temps au temps, on les déplie soigneusement l’un après l’autre avant de les replier, en fin de repas, une fois les bols nettoyés par chacun des convives.

« Le zen n’est pas fait pour obtenir quelque chose de particulier », écrit Aoyama Roshi (l’abbesse du temple de formation pour nonnes de l’école Sôtô zen de Nagoya dont Jôkei-Ni a reçu le sceau de la transmission) dans Une vie de nonne zen (Le Prunier, Sully, 2017). C’est vivre respiration après respiration, pas à pas en suivant la loi de l’univers, en rejetant sans fin le moi individuel, en revenant au véritable moi universel de la vie », poursuit cette femme qui est l’un des maîtres zen les plus respectés en Asie et en Occident.

Il est 16 heures. L’heure d’une marche en silence. Dix personnes empruntent, l’une dernière l’autre, lentement, à petits pas, en conscience, un chemin caillouteux qui grimpe en direction du sommet d’une colline boisée. Toen-Ni, nonne d’origine madrilène, ordonnée en 2018, conduit le cortège qui progresse dans le recueillement. Le silence est percé, de temps à autre, par le crissement des cailloux sous les semelles, le murmure du vent dans les pins et le chant de quelques oiseaux. Danièle, une laïque venue de Genève, ferme la marche.

C’est comme entrer dans l’océan

« Ce qui me plaît à la Demeure sans limites ? Le rythme intense et quelquefois contraignant qui y est proposé (tant au niveau des activités quotidiennes que des assises longues et régulières, ainsi que l’exigence d’une attention quasi continue pour pouvoir suivre les règles et les pratiques) me demande un dépassement de moi-même. Il restreint les occasions de me fuir ou de tricher sur ma réalité, tout en m’invitant à l’intériorisation », se confie Danièle qui fréquente le lieu depuis douze ans. Elle vient y faire des retraites au moins deux fois par an et y séjourne, le plus souvent, entre trois et sept jours. « Ces séjours me permettent de me reconnecter à mon essence, à un aspect de moi-même que je ne contacte nulle part ailleurs. Si je devais définir ce lieu d’un seul mot, ce serait ‘pureté », poursuit-elle.

Il est 19 heures, l’heure de zazen suivi du grand silence. « Au moment où vous entrez dans la salle de méditation, c’est comme entrer dans l’océan. Vous êtes lavée, vous êtes portée, vous êtes aboutie », s’enthousiasme Joshin Bachoux Sensei. Extinction des feux à 21h30. Un horaire auquel on consent sans rechigner quand on est levé depuis 5h30.

À la Demeure sans Limites, on réapprend à vivre au contact de la nature (travaux dans le potager, préparation du petit bois, marches dans la campagne) et au rythme des saisons, conscient de son interdépendance avec tout ce qui vit. Dans ce temple où chaque journée est scandée par des horaires stricts, il n’y a pas de place ni de temps pour donner libre cours à ses habitudes les plus ancrées. Dans ce lieu où le visiteur n’a pas de chambre individuelle, et où il ne choisit ni les activités ni ce qu’il mange, celui-ci peut expérimenter « la joie de la légèreté et du non-avoir », selon les mots de la fondatrice du lieu. « Oui, on met des limites à beaucoup de choses, ici, ajoute Jôkei-Ni. Mais, c’est dans ces limitations que l’on trouve la liberté et que l’on peut se reconnecter. »

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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