Le décalage horaire avec la France ne les décourage pas. En pleine nuit, derrière leur ordinateur, bloc-notes en mains, des membres actifs du Centre de méditation Naropa suivent en ligne un programme d’études bouddhiques initié par la Fondation pour la préservation de la tradition du Mahayana (FPMT). Retransmis en direct, les enseignements de Géshé Tenzin Lodèn (2) se déroulent dans le Tarn, à l’institut Vajra Yogini, à près de 16 000 km de Papeete. Soit en cette saison, douze heures plus tôt, qu’en Polynésie française. En ce moment, quand il est 10 heures du matin à Toulouse, il est 23 heures à Papetee. Les nuits sont donc particulièrement courtes pour le groupe concerné, mais ils savent que cette formation leur permettra de transmettre ensuite les enseignements reçus. À Tahiti, les disciples ne bénéficient pas de la présence d’un maître au quotidien. Ainsi, depuis près de trente ans, ils organisent chaque semaine des pratiques et animent des séances de méditation et des lectures de sutras.
En Polynésie française, l’union fait la force
Le centre est né suite à la première visite en 1993 de Lama Thubten Zopa Rinpoché (3), directeur spirituel de la FMPT. En 1993, Brenda Chin Foo, spécialiste de l’art océanien et ancienne directrice du musée Paul Gauguin, avait organisé le séjour de Lama Zopa Rinpoché et des moines qui l’accompagnaient. L’un des moments forts de ce voyage fut leur accueil traditionnel sur un marae, un site sacré. « Placé sous le signe de la paix, ce moment partagé avec des personnalités de la culture tahitienne fut riche en émotions », se rappelle Annie Green, membre du centre dès son origine.
Suite à la rencontre avec Lama Zopa, Brenda avait installé un centre de pratique, chez elle, à Papara, au sud de Papeete. Pendant 26 ans, des moines et nonnes s’y succédèrent pour enseigner. Puis, en 2009, la communauté, dirigée par Frédéric Fabre, s’installa à Punaauia. Et, en 2011, à la demande de Lama Zopa, à Papeete, au sein du Quartier du commerce, au deuxième étage de l’Immeuble Rouleau. Il s’inscrit désormais dans le paysage religieux de la Polynésie française, au sein duquel la spiritualité tient une place déterminante. Protestants de l’Église Ma’ohi (anciennement Église évangélique de Polynésie française), catholiques, mormons, adventistes et témoins de Jéhovah se côtoient en bonne intelligence.
« Leur prochain grand projet ? La construction d’un moulin à prières pour le Pacifique, un vœu de Lama Zopa pour le bien de tous les habitants de l’océan et pour pacifier les perturbations des éléments terre, eau, feu, si mis à mal par le dérèglement climatique. »
Au fil des années, une organisation solide a été mise en place. Chaque semaine, quatre membres endossent le rôle d’animateur en s’adaptant aux demandes des participants, plus nombreux quand un maître est de passage. Sixte Vincotte, enseignant laïque résidant en Italie, effectue des séjours réguliers d’un mois et demi pour approfondir les connaissances et la pratique du groupe. Il est à l’initiative des retraites de cinq ou dix jours organisées à Teahupo’o (4), lieu célèbre pour le surf. « Dès les premiers instants, les enseignements de Sixte Vincotte ont fait écho en moi et m’ont permis d’acquérir la méthode qui m’a permis de mettre en pratique ce chemin vers l’Éveil », souligne Céline Lacarte, 48 ans, secrétaire du Centre Naropa. Selon elle, bien que loin de tout, la proximité entre les membres du groupe les motive et les aide à ne pas abandonner. « Lorsqu’on est submergé par les problèmes du quotidien et que l’agitation de son entourage devient forte, le sangha est très important, car il nous rappelle à l’ordre et nous fait comprendre que l’on peut agir autrement, sans jugement », note Angéla Taputuarai, l’une des membres, originaire de Tahiti.
Pour progresser, le centre met également à disposition des vidéos d’enseignements et des livres en français et en anglais
Le passage régulier d’enseignants et une structure solide
Aujourd’hui, le Centre Naropa réunit une trentaine de membres de tous âges, dont un grand nombre de femmes, natifs de Polynésie et de l’Hexagone. Parmi ceux présents depuis le début : Annie Green, conseillère principale d’éducation en lycée et collège à la retraite. Cette grand-mère épanouie, amatrice de hard rock et de heavy metal, parle de sa rencontre avec Lama Zopa Rinpoché comme d’une révélation : « Dès la première conférence, ses paroles m’ont touchées. J’ai eu le sentiment de trouver les réponses aux questions que je me posais depuis longtemps ». Elle prend donc refuge auprès de lui et s’investit dans la logistique du lieu en devenant tour à tour trésorière, secrétaire et responsable du programme spirituel. À ses côtés depuis 2006, se trouve André Mamet, 63 ans, prothésiste dentaire. À la mort de son père, ce fan de wind surf, de parapente et de voyages a pris conscience de la fragilité de la vie et a découvert le bouddhisme par le biais de sa sœur et du Bardo Thödol, Le livre tibétain des morts. « Le bouddhisme m’a apporté de stabilité et plus de compassion, et m’a permis d’ouvrir parfois les yeux sur la réalité, reconnaît-il aujourd’hui. Le message de Sa Sainteté le Dalaï–Lama « never give up » (« n’abandonnez jamais ») m’aide beaucoup. »
Leur prochain grand projet ? La construction d’un moulin à prières pour le Pacifique, un vœu de Lama Zopa pour le bien de tous les habitants de l’océan et pour pacifier les perturbations des éléments terre, eau, feu, si mis à mal par le dérèglement climatique. En 1983, à Tahiti, lors de l’ouragan Veena, les vents ont atteint 230 km/h en l’espace de deux jours.