Comment êtes-vous venu au bouddhisme ?
Je le suis de naissance ! Ma famille comprend des moines et nonnes depuis des générations. C’est souvent le cas au Sri Lanka, où le bouddhisme Theravada est très ancré. Dès la maternelle, j’allais chaque dimanche à l’École du Dhamma, rattachée au monastère, et qui enseignait le bouddhisme aux enfants. À dix ans, je savais que je voulais devenir moine. J’ai intégré le temple de mon village, où mon maître Mahagma Somarathana Thero m’a enseigné le bouddhisme en langue pali, la langue originelle de Bouddha.
Vous avez la responsabilité de la Maha Body Society of India de Bodhgaya. Cette institution très importante du Theravada est aussi la plus grande société bouddhiste du pays. Comment en êtes-vous arrivé là ?
J’ai visité l’Inde pour la première fois en 2005 lors d’un congrès de la MBSI à Sarnath, où j’ai enseigné jusqu’en 2015, année au cours de laquelle la Société m’a confié la branche de Delhi. J’étais alors secrétaire général, responsable de la logistique, de l’accueil des moines, des programmes, de l’organisation, des activités externes et de notre hôpital… Puis, en 2019, j’ai été nommé au même poste ici à Bodh-Gaya, où affluent des bouddhistes du monde entier pour méditer sus l’arbre où Siddhartha Gautama a atteint l’Éveil.
Quel est l’objet de la Maha Bodi ?
D’abord, enseigner le bouddhisme en pali, fédérer le sangha indien des bouddhistes Theravada et préserver l’important patrimoine bouddhiste du pays. Mais, à Bodh-Gaya, avec l’afflux de centaines de milliers de pèlerins, nous faisons beaucoup d’autres choses : du tourisme sur les lieux où vécut le Bouddha, des enseignements avec différents grands maîtres, des spectacles culturels lors des festivités bouddhistes et de l’hébergement avec 25 chambres. Nous avons aussi une école et un hôpital pour les plus démunis.
La Maha Bodi défend la tradition Theravada : quels sont les principes clés de ce courant bouddhiste dit le plus « originel » ? Qu’est-ce qui le distingue par exemple du Mahayana ?
Le Theravada est considéré comme étant le bouddhisme ancien et originel. Cette école privilégie la sagesse ou la compréhension profonde, alors que le Mahayana met davantage l’accent sur l’amour bienveillant, la compassion et la vacuité avec sa fameuse phrase « La forme est la vacuité, la vacuité est la forme ». Dans le Theravada, chacun ne compte que sur lui-même pour progresser sur la voie. L’essentiel est de contrôler son mental et cela passe essentiellement par le développement de la sagesse via la pratique méditative, en partie basée sur l’observation de soi, de ses pensées, de sa respiration. Dans le Mahayana, on peut s’aider de moyens comme les sons (cloche, tambour, instruments de musique divers), les prières, les mantras, les mandalas. C’est un bouddhisme plus engagé dans la société et tourné vers les autres, plus dans l’action.
La Sagesse est reliée à la notion de l’Arhat dans le Theravada et à celle du Bodhisattva dans le Mahayana : qu’est-ce qui les différencie ?
Pour le Theravada, la Sagesse, l’Être éveillé est celui qui s’est libéré de toutes ses souillures et a atteint le nirvana. Pour le Mahayana, c’est celui qui a fait le vœu de rester dans le monde pour aider tous les êtres vivants à se délivrer de la souffrance. Dans le Theravada, nous avons aussi cette notion de Bodhisattva, mais elle est plutôt vue comme un état d’être « en éveil » avant de réaliser un éveil parfait.
Pourquoi la pratique méditative est-elle si essentielle dans le Theravada ?
Nous considérons que seule la pratique assidue de la méditation peut nous permettre d’accéder à la compréhension et à l’Éveil. Le Theravada est très exigeant et nécessiterait presque un engagement monacal pour être pleinement pratiqué. Car, dans cette tradition, c’est seulement en suivant les règles strictes dictées par le Bouddha (277 pour les moines, 311 pour les nonnes) que l’homme peut espérer atteindre la libération. Dans le Mahayana, seules 10 règles sont strictes. Cette place centrale de la méditation nous vaut parfois d’être vus par les autres courants bouddhistes comme trop tournés vers nous-mêmes, vers un monde intérieur et contemplatif.
« Pour le Theravada, la Sagesse, l’Être éveillé est celui qui s’est libéré de toutes ses souillures et a atteint le nirvana. Pour le Mahayana, c’est celui qui a fait le vœu de rester dans le monde pour aider tous les êtres vivants à se délivrer de la souffrance. »
La Maha Bodhi Society of India a été créée en 1891 dans le but de faire revivre le bouddhisme, en berne sur sa terre natale qu’est l’Inde : qu’en est-il aujourd’hui ?
Quand le Vénérable Anagarika Dhamapala, sri lankais, a fondé la MBSI en 1891, cela faisait huit siècles que le bouddhisme avait quasiment disparu d’Inde. Grâce à son action, il a commencé à se développer à nouveau : 1% des Indiens à ce jour. La MBSI a été à l’origine avec Ambedkar, le père de la constitution indienne, de la conversion au bouddhisme des dalits hindous (les intouchables dans le système des castes) et des musulmans, ce qui leur a permis d’échapper à la discrimination de l’Inde hindouiste nouvellement indépendante en 1947. La MBSI a beaucoup propagé la pratique de la méditation et les enseignements en ouvrant plusieurs centres en Inde, en proposant des conférences, la venue de grands maîtres et bien d’autres activités.
Les Indiens sont-ils plus nombreux à pratiquer le bouddhisme ?
Aujourd’hui, même s’ils sont hindous, de plus en plus pratiquent le bouddhisme et une majorité choisit le Theravada. Leur religion reconnaît le Bouddha comme le 9e avatar de leur dieu Vishnou. Il est pour eux un grand maître spirituel. Le symbole bouddhiste de la Roue de la Loi figure d’ailleurs au centre du drapeau indien. Depuis que j’ai en charge des centres de la MBSI, je vois chaque année un nombre croissant d’Indiens de toutes générations venir aux enseignements et aux sessions de méditation. C’est très encourageant. Nous allons intensifier nos actions, car sensibiliser les Indiens au bouddhisme, c’est les reconnecter à leurs racines culturelles et spirituelles.