« Selon les deux religions officielles du Japon, le shintoïsme et le bouddhisme, la forêt est le royaume du divin, » écrit le Docteur Qing Li dans Shinrin Yoku. L’art et la science du bain de forêt (1). Ce professeur agrégé au Département d’hygiène et de santé publique à l’université de médecine de Tokyo et président de l’association de sylvothérapie au Japon précise : « Pour les bouddhistes zen, les textes sacrés sont écrits dans le paysage. Le monde naturel est le livre de Dieu. » Le fait d’être restée assise devant mon bureau à lire ces phrases inspirantes me donne l’envie de me dégourdir les jambes : impossible de résister à l’appel de la forêt !
C’est ainsi que je me retrouve à régler mes pas sur ceux de Jean-Marie Defossez, au plus profond de la forêt de Fontainebleau, et de moi-même. Le temps d’un stage de Shinrin Yoku, auquel se sont inscrits plusieurs participants lors d’une journée d’automne ensoleillé. « Rentrer dans la forêt, c’est facile, explique ce formateur en sylvothérapie. Ce que je voudrais, pendant ces deux heures, c’est que vous laissiez les arbres rentrer à l’intérieur de vous. » Ma respiration rythme ma marche, à l’image des arbres : « Ce sont de véritables invitations à inspirer et expirer. Ces êtres au cœur ardent absorbent le gaz carbonique et respirent avec leurs pores et leurs stomates, dans un état d’ouverture perpétuelle », s’enthousiasme l’auteur de Sylvothérapie. Le pouvoir bienfaisant des arbres (2). Avant d’ajouter : « Plus notre respiration s’allongera, plus intenses seront nos sensations. »
Après une trentaine de minutes cadencées, notre accompagnateur nous invite à nous arrêter pendant une heure. Le temps de choisir un arbre et de faire connaissance avec lui. Mon regard est happé par un frêle pin sylvestre, dont la cime s’étire haut vers le ciel en quête de lumière. Guidée par la voix de Jean-Marie Defossez, je ferme mes paupières et pause mes mains sur le tronc de l’arbre pour continuer de me relier à lui par le toucher, jusqu’à l’enlacer. Puis, mon ouïe se met en éveil : j’écoute le bruit du vent dans ses feuillages et le chant des oiseaux posés sur ses branches. Enfin, je sens les fragrances qui s’en émanent et goûte un petit morceau de son écorce. Nous partageons ensuite, à tour de rôle, notre ressenti avec le sylvothérapeute qui nous propose de « synthoniser avec l’arbre, c’est-à-dire de nous mettre à la même fréquence que lui. » Je ferme de nouveau les yeux en me concentrant sur « cet être différent. » Puis les déssille, pour porter un autre regard : celui de l’acceptation de l’arbre en tant qu’individu à part entière. « Il s’agit de libérer notre intuition pour être davantage perméable à la bienveillance et à l’empathie que vous transmet l’arbre, conseille Jean-Marie Defossez. Comme si vous alliez cueillir un kilo de paix en forêt pour la rapporter chez vous ! Essayez de ne pas faire intervenir le mental, au contraire, éveillez-vous à l’invisible. »
« Est-il si étonnant que Bouddha ait connu l’illumination assis sous un arbre ? »
Ses paroles font écho aux phrases du Docteur Qing Li. Dans son ouvrage, il écrit ainsi : « Dans le shintoïsme, les esprits ne sont pas séparés de la nature, mais en font totalement partie. Ils sont dans les arbres, les rochers, la brise, les ruisseaux, les cascades. Ces esprits sont des kamis. Il existe des millions de kamis. Ils peuvent être partout dans la nature. Et les endroits où vivent les dieux peuvent devenir des lieux de culte. Au Japon, il n’est pas rare de trouver des gens en train de prier dans la forêt. » Le Docteur Qing Li note également que, « dans la culture japonaise, la nature n’est pas distincte de l’humanité. Elle en fait partie (…) Le « shizen », qui se traduit par « nature », ou « naturel », renvoie à l’idée que nous sommes tous connectés à la nature émotionnellement, spirituellement et physiquement et que, plus une chose est proche de la nature, plus elle est agréable. » Et de poser cette question : « Est-il si étonnant que Bouddha ait connu l’illumination assis sous un arbre ? »
Dans les années 80, face au taux élevé de suicides des Japonais, le gouvernement avait lancé une campagne de santé publique les invitant à prendre des bains de soleil, de mer et aussi de forêt.
Le fait de se promener en forêt pour puiser dans l’énergie des arbres est une pratique ancestrale. Comme le fait remarquer Jean-Marie Defossez, « depuis la nuit des temps et dans toutes les civilisations, l’arbre occupe une place particulière. Regardez, par exemple, l’arbre de la connaissance dans la Bible jusqu’au Survivor Tree des attentats du 11 septembre, en passant par les chênes de la forêt de Brocéliande vénérés à l’époque des Druides. » Le Shinrin Yoku, tel qu’il a été codifié au pays du Soleil levant – soit le fait d’aller en forêt pour vivre une immersion sensorielle, de marcher en pleine conscience et d’enlacer un arbre pour s’apaiser et se ressourcer – remonte aux années 1980. Face au taux élevé de suicides des Japonais, le gouvernement avait en effet lancé une campagne de santé publique les invitant à prendre des bains de soleil, de mer et aussi de forêt. Des zones dédiées à cette pratique contemplative ont même spécifiquement été aménagées dans le pays. Et des scientifiques se sont intéressés aux bienfaits des arbres sur le cerveau humain, à l’instar de Yoshifumi Miyazaki, chercheur et directeur adjoint du Centre pour l’environnement, la santé et les sciences de terrain de l’Université de Chiba.
L’auteur de Shinrin Yoku. Les bains de forêt, le secret de santé naturelle des Japonais (3) n’hésite pas à évoquer « le pouvoir de guérison des arbres. » Comment ? Grâce aux huiles essentielles qui émanent d’eux et que le corps humain absorbe progressivement. L’une des études qu’il a menées avec des confrères, impliquant plus de 500 participants dans 28 forêts à travers le Japon, a montré une diminution de 12,7 % du taux de cortisol, qui n’est autre que l’hormone du stress. Et la liste est longue des autres vertus des baignades en forêt. Yoshifumi Miyazaki a ainsi pu observer une meilleure performance du système immunitaire et une augmentation du nombre de cellules tueuses naturelles (les lymphocytes NK) ; une diminution de la tension artérielle ; une amélioration de l’humeur et également de la concentration, même chez les enfants atteints de troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ; une récupération plus rapide après une intervention chirurgicale ou une maladie ; un gain d’énergie ; une qualité de sommeil embellie et un sentiment de bonheur accru. Alors qu’attendez-vous pour plonger dans le grand Bain… de Forêt ?
Un Bain de Forêt pour se reconnecter à la nature et à sa nature
Bonne nouvelle ! La forêt s’étend sur plus du quart de la superficie de la France métropolitaine. Selon l’Office national des forêts (ONF) près de 75% des Français habitent à moins de trente minutes d’une forêt. L’idéal est de pratiquer le Shinrin Yoku dans un espace boisé où l’empreinte humaine est la plus faible et la biodiversité la plus dense. À condition de s’équiper d’une bonne paire de chaussures de marche, le Bain de forêt est accessible à tous. Et ce, tout au long de l’année : au printemps quand la sève s’éveille, dans la luxuriance de l’été, à l’automne pour admirer les couleurs flamboyantes des arbres, et même, si les températures sont clémentes, en hiver.
Pour partir à la rencontre de la forêt et de sa forêt intérieure, commencez par vous libérer de votre téléphone (en le mettant par exemple en mode avion) et de tout appareil électronique (appareil photo, GPS, etc.). Marchez, en silence, lentement, sans aucun but. Laissez-vous guider par votre corps, votre intuition, sans objectif. Mais en pleine conscience. Peu importe si vous n’allez nulle part. Prenez votre temps. Écoutez les brindilles qui craquent sous vos pas, regardez le rayon de soleil qui fend la canopée, sentez l’odeur terreuse de l’humus, goûtez une mûre fraîchement cueillie et touchez la mousse qui recouvre les racines d’un arbre. Selon le Docteur Qing Li, « vos cinq sens sont la clé pour percevoir le pouvoir de la forêt. »
Depuis le succès du livre La vie secrète des arbres (4), signé de l’ingénieur forestier et écrivain allemand Peter Wohlleben, de plus en plus de guides proposent de séances de Shinrin Yoku en France. Jean-Marie Defossez, qui a fondé l’École buissonnière de sylvothérapie, a mis en ligne, sur son site créé en 2012, un répertoire des guides qu’il a formés partout en France. Pour aller à la rencontre des arbres, ces « êtres d’exception. »