Un jour, j’ai reçu un coup de téléphone d’une personne qui me proposait de rencontrer un moine de la forêt. Mon métier étant de développer des projets de reforestation et de conservation forestière, j’ai tout de suite accepté. J’étais très étonné et curieux d’en apprendre plus. Il existait donc des moines de la forêt ?
Quand j’ai rencontré ce Maître, j’ai été frappé par la clarté de son propos, il n’y avait rien à rajouter ou à enlever à son discours. Il ne proposait rien d’ésotérique, pas de gri-gri, pas de catéchisme ni de principes sacrés, pas d’images devant lesquelles il faille se prosterner. Il recommandait simplement d’observer les lois de la nature, et de s’y conformer pour être heureux. « Tout est dans la nature, pourquoi vouloir rajouter quelque chose de superflu ? », m’a-t-il dit en substance… Un enseignement sans enseignement en quelque sorte, le cœur du bouddhisme. Je retrouvais là la sagesse du Bouddha, qui, après avoir réalisé l’éveil dans la forêt, ne souhaita pas enseigner dans un premier temps. Il pensait que c’était à chacun de faire son chemin en allant contempler la nature et ses lois, et que l’illumination ne s’apprenait pas.
Voir au-delà de la canopée
Je suis amené à voyager partout dans le monde et à travailler avec des populations dont certaines sont animistes et d’autres à la spiritualité directement inspirée de la nature. Que ce soit les Shintos du Japon, les Indiens de la forêt Amazonienne ou la tribu des Fore en Papouasie Nouvelle-Guinée, j’ai pu observer un lien très fort entre elles, reposant sur leur manière sacrée et universelle de vivre en relation avec la nature au quotidien. J’ai également observé une convergence avec les principes du bouddhisme des moines de la forêt : l’impermanence, le non-soi, la souffrance, le caractère cyclique de la vie. Les formes que prennent ces spiritualités diffèrent parfois, mais leur vision converge. En prendre conscience m’a encouragé à m’engager encore plus pour la forêt et à remettre en cause un grand nombre de croyances.
Parler de la nature, c’est parler de spiritualité et inversement.
À ce stade de ma vie, il m’apparaît que tout discours sur la nature et la spiritualité est réducteur. Pour moi, parler de la nature, c’est parler de spiritualité et inversement. Dans ce contexte, formaliser des rites conduit à s’éloigner de la réalité. Prendre conscience que nous souffrons, connaître l’origine de cette souffrance et la voie qui mène à sa cessation, tout cela n’est-il pas suffisant ? J’aime ce caractère très épuré du bouddhisme, qui se rapproche de l’exigence forte de penseurs comme Jidu Krishnamurti par exemple, qui invite à une déconstruction du moi et à se libérer de toutes les formes d’attachement, y compris spirituel. Et, si c’était cela aussi le bouddhisme ?