Sur un petit sentier en terre battue à travers champs, à deux kilomètres de l’agitation du temple Maha Bodhi abritant l’arbre sous lequel le Bouddha a atteint l’Éveil, un portail discret indique le Root Institute. On y entre par une longue allée fleurie, on chemine en lisant des messages du Bouddha inscrits aux murs vantant les vertus de la compassion, puis on passe devant la clinique caritative du centre avant d’arriver au cœur de ce lieu aux allures de monastère, où trône une grande statue de Bouddha, un stupa et un moulin à prières.
Là, dans sa toge bordeaux, Thubten Dekyong, la nonne responsable du centre, nous reçoit. Comme elle le fait chaque jour pour les visiteurs désirant séjourner ici, des maîtres et des monastiques qui viennent enseigner le Dharma, et des pratiquants qui reçoivent leurs transmissions. « Ici, nous défendons la tradition Mahayana comme l’a souhaité son fondateur, le Lama Yeshe, et désormais Zopa Rinpoché qui lui succède. Il est le responsable spirituel du centre », précise-t-elle. « L’enseignement théorique est fondamental, mais plus encore la pratique de la compassion qui dans notre tradition est l’élément clé pour accéder à la sagesse. » D’ailleurs, le Root Institute a pour sous-titre « Pour la culture de la Sagesse ». S’affranchir de la souffrance et de ses causes passe par une motivation profonde d’agir pour le bien de tous les êtres vivants.
« Les prosternations, ça détoxe le mental ! »
Un peu plus loin, je rencontre Tom Kabel, un Hollandais retraité pratiquant le bouddhisme depuis 1985. « Je suis très satisfait de ce que j’apprends, ça me donne des ailes pour aller bien plus en profondeur dans l’étude et la pratique du Mahayana. Je sens que c’est ma voie » reconnaît-il. À Rotterdam, il aide en effet des réfugiés syriens et fréquente le centre Maîtreya (membre de la Fondation pour la Préservation de la Tradition Mahayana, FPMT, fondée par le Root Institute). Demain, avec Kim, 37 ans, une Écossaise qui restera ici un an, il démarrera un enseignement consacré à la compassion. « J’ai donné un congé à l’université où j’enseigne la psychologie. La compassion développe chez moi la patience et cela m’aide à mieux gérer mes étudiants. Je peux parfois perdre si facilement le contrôle ! », s’exclame la jeune femme, ajoutant que la pratique qui apaise le plus son esprit, ce sont les prosternations. « Ça détoxe le mental ! » Venue à la méditation en 2017, elle a fait un pèlerinage bouddhiste organisé par la FPMT dans le Bihar. « J’ai eu un déclic. Je voulais aller plus loin dans le bouddhisme et pratiquer réellement ». Ce qu’elle trouve ici. Les volontaires sont toujours les bienvenus pour participer à la vie et à l’entretien du centre. Certains Occidentaux aident en cuisine, d’autres donnent des cours de yoga. D’autres encore aident à la clinique ou à l’école.
La clinique Shakyamuni Bouddha
Aurélie Ravaud, Lyonnaise et acupunctrice, est bénévole à la clinique Shakyamunni Bouddha pour deux mois. Il est 8h du matin, elle se joint à l’équipe du jour pour participer à la prière qui rappelle l’importance de l’engagement et de la motivation pour agir pour le bien des êtres. Devant les portes, des vieillards et des mères avec leur nouveau-né dans les bras attendent déjà l’ouverture. « Parfois, ils viennent de très loin et ont fait une nuit de train pour bénéficier de bons traitements gratuits », pointe la jeune trentenaire, pleine d’entrain. Bouddhiste ? « Je ne me considère pas bouddhiste simplement parce que je suis humaine avec des valeurs », sourit-elle. « Pour moi, donner et faire du bien à mes patients est ma plus grande satisfaction. Quand je les vois aller mieux et me sourire, c’est un immense cadeau. » Elle travaille sous l’autorité de Sanju, l’un des trois médecins homéopathes responsables de la clinique. « Nous sommes dans la tradition de la médecine tibétaine et n’utilisons que l’homéopathie et les plantes. Les résultats sont si probants que nous attirons de plus en plus de monde. » Physiothérapie, maladies cérébrovasculaires, clinique dentaire, accompagnement du Sida… « Nous recevons 2200 personnes chaque mois et nous en soignons des centaines d’autres quotidiennement dans les villages reculés avec notre clinique mobile ».
Chaque action dans ce centre est un exemple de « compassion en action », « le fil rouge du Mahayana tel que le promeut le Root Institute. » Thubten Dekyong
Un autre volet tout aussi important est l’éducation. « Nous avons des programmes dédiés aux adolescentes tous les mercredis et nous formons des villageois aux fondamentaux de la santé et de l’hygiène pour que dans leurs villages, ils puissent informer et permettre aux gens d’accéder aux soins », poursuit Sanju, rédigeant une prescription sur son bureau installé à l’entrée de la clinique. Dans l’enceinte de l’établissement, des prières bouddhistes traduites en langue locale sont diffusées par haut-parleurs toute la journée. Clin d’œil au Dharma !
L’école de la bienveillance
Dans leur uniforme bordeaux et blanc, sagement assis en tailleur dans le hall couvert de l’école où est installé un grand autel bouddhiste, 306 enfants de la maternelle au lycée viennent dans cette école ouverte par le Root Institute en 2012 et baptisée Maitreya (bienveillance en sanskrit). « Nous leur enseignons le programme scolaire, mais plus important encore, des valeurs comme l’honnêteté, la compassion et la bonté, ainsi que les seize grands principes tels qu’ils sont présentés dans le Grand Véhicule du Mahayana. C’est là le cœur de la philosophie du bouddha Maitreya : donner aux enfants les outils pour que leur vie ait un sens », assène Pema Tsering, un jeune trentenaire népalais, directeur de l’école qui emploie seize professeurs, bouddhistes pour la plupart. Chaque journée commence de la même façon : du sport, de la méditation sur le souffle puis un enseignement bref sur une notion bouddhiste.
Ce matin, un des professeurs prend le micro : « Soyez bienveillants envers les autres et imaginez que vous diffusez votre amour et votre gentillesse tout autour de vous. Visualisez les gens heureux de recevoir votre gentillesse et ressentez la chaleur que cela procure dans votre cœur ». Montrant une photo de l’école avec le Dalaï-Lama qui y vient presque chaque année et oriente l’éducation spirituelle, Pema précise : « Ces enseignements ne sont en rien de la religion, mais simplement une éthique, une morale qui aidera ces enfants à construire leur vie ». D’autant que beaucoup sont issus de la caste hindoue la plus défavorisée, les dalits, dont certains ont dû se convertir au bouddhisme pour échapper à la discrimination.
Chaque action dans ce centre est un exemple de « compassion en action », « le fil rouge du Mahayana tel que le promeut le Root Institute », conclut Thubten Dekyong.