Vous vous êtes qualifié de « lama fainéant » (Lazy Lama), pourtant au vu de votre programme d’enseignements, vous semblez très actif pour un « lama fainéant »… Pouvez-vous nous expliquer ?
(Rires) Je me décris comme « fainéant », car j’ai parfaitement conscience que je tirerais le plus grand bénéfice à pratiquer la méditation, chose que je ne fais pas. À la place, je voyage et j’en profite pour avoir de jolies vacances (rires). (C’est évidemment faux, Ringu Tulku Rinpoché est au contraire pleinement accompli et ne compte pas ses heures. Mais en disant cela, il déculpabilise son interlocuteur qui, lui, est peut-être sujet à cette fainéantise… Il s’agit ici de ce que les maîtres spirituels utilisent souvent : des moyens habiles, ndlr).
Vous venez diriger le Kagyu meunlam pendant trois jours à la Pagode de Vincennes. En quoi est-il important et quels en sont les bénéfices ?
L’idée principale du Kagyu meulam est de permettre à des personnes de se réunir afin de tourner leur esprit vers quelque chose de vertueux, en l’occurrence, ici, de s’adonner à toutes sortes d’activités vertueuses, faire des prières visant à la transformation intérieure de soi-même, mais aussi à l’attention de tous les êtres, à court, moyen et long termes. À plusieurs, la pratique est beaucoup plus puissante. Mais il faut tout de même rappeler que le Kagyu meunlam ne relève pas exclusivement de l’école Kagyu : de nombreuses prières issues des autres écoles tibétaines sont utilisées. De fait, de nombreux maîtres d’autres écoles participent souvent aux cérémonies.
Par vos activités, vous êtes un témoin privilégié du développement du bouddhisme en Occident, particulièrement en France. Avez-vous constaté des changements ?
De par ma propre histoire, étant parmi les premiers lamas à fuir le Tibet et à entrer en contact avec des Occidentaux (Rinpoché a fui le Tibet en 1957, ndlr), j’ai en effet pu observer l’implémentation du bouddhisme en Occident. Au départ, il y avait deux types de personnes intéressées par le bouddhisme : les universitaires et les hippies (rires). Ces deux groupes ne se rencontraient jamais, et s’il arrivait qu’ils se croisent, ils s’ignoraient superbement…
Le bouddhisme, c’est surtout comment percevoir correctement les choses, de quelle manière percevoir la vie. Il ne s’agit pas de tout laisser tomber, devenir moine et se retirer dans une grotte ou un monastère, suivre un gourou et exécuter tout ce qu’il demande (rires).
Autrefois, il était également inconcevable pour un universitaire d’être pratiquant, car cela était interprété comme un manque de distance par rapport à son objet de recherche, et ça le décrédibilisait d’office. Je constate aujourd’hui que le fossé entre ces deux catégories de personnes tend à se combler. Tout le monde ne devient pas pour autant adepte de la méditation, mais le nombre de personnes intéressées grossit. De plus, les idées ou conceptions bouddhiques se diffusent de plus en plus facilement dans les cercles scientifiques, comme le prouvent les rencontres entre scientifiques et bouddhistes. C’est très positif, car le bouddhisme est là pour partager une certaine vision des choses, une certaine connaissance des phénomènes.
Proust a écrit le célèbre roman À la recherche du temps perdu. Nous semblons continuellement courir après le temps, que recommanderiez-vous à nos lecteurs pour le retrouver ?
Oui, être constamment en train de courir après quelque chose, pour fuir quelque chose, c’est là une des caractéristiques de l’être humain. C’est vrai que beaucoup de gens disent : « Oh, je ferai ceci ou cela une fois que je serai à la retraite ». Je suis moi-même à la retraite maintenant depuis vingt ans, et je ne cesse de me dire : « Oui, je vais faire ceci, mais demain ! » (rires) Plus sérieusement, l’étude et la méditation ne demandent pas que l’on puisse leur octroyer un temps spécifique ou d’attendre une situation particulière pour s’y adonner, ce sont des activités qui peuvent être faites n’importe quand. La méditation, c’est détendre son esprit, et ceci peut être fait à n’importe quel moment.
Que recommanderiez-vous à quelqu’un qui souhaite s’engager dans la pratique du bouddhisme, mais qui ne sait pas par quoi commencer ?
Au départ, il est crucial que la personne étudie, qu’elle lise des ouvrages dont le contenu soit authentique, car il y a malheureusement beaucoup de malentendus et de choses erronées qui circulent à propos du bouddhisme, et peut-être plus particulièrement sur le bouddhisme tibétain. Le bouddhisme, c’est surtout comment percevoir correctement les choses, de quelle manière percevoir la vie. Il ne s’agit pas de tout laisser tomber, devenir moine et se retirer dans une grotte ou un monastère, suivre un gourou et exécuter tout ce qu’il demande (rires). Le bouddhisme est très concret, très pratique, en allant étape par étape, on n’en saute aucune.
Selon vous, que peut apporter le bouddhisme aux Français du XXIe siècle ?
Je serais tenté de répondre dans un premier temps : un état d’esprit apaisé et un but dans la vie. Tout au long de ses enseignements, le Bouddha nous invite à réfléchir à ce qui serait le plus bénéfique pour nous, pour tous les êtres, et ensuite à essayer de mettre en pratique. Rien ne nous est imposé – cela ne fonctionnerait pas –, mais toutes les techniques nous sont données pour nous apprendre à déterminer ce qui nous serait bon ou pas. D’ailleurs, le Bouddha recommandait aux gens de ne mettre en pratique ses enseignements, non pas parce que c’était lui, le Bouddha, qui le disait, mais seulement après les avoir dûment étudiés et avoir déterminé qu’ils nous seraient positifs