Fête du Tiji au Mustang : danses sacrées et cérémonies royales

- par Henry Oudin

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Le Mustang fait partie de mon imaginaire et de mes lectures d’enfance. Il s’agit d’une petite région de l’Himalaya qui se situe actuellement au Népal, mais qui a longtemps fait partie du Tibet.

Michel Peissel, un ethnologue, écrivain et défricheur de régions tibétaines peu visitées, y séjourna dans les années 60 et fut l’un des premiers Français à y pénétrer. Dans son livre Mustang, royaume tibétain interdit, il relate la présence des guerriers tibétains khampa, qui, face à l’invasion chinoise, se sont refugiés dans la région afin d’y organiser une résistance qui fut un temps appuyée par les États-Unis.

Depuis, ce royaume interdit est devenu accessible moyennant un permis spécial. Après avoir passé vingt ans à arpenter l’Himalaya, j’ai enfin la chance de m’y rendre pour assister à une cérémonie monastique annuelle appelée « Tiji ».

Les journées de randonnée pour accéder à la petite cité fortifiée de « Lo Manthang » me font découvrir une culture tibétaine assez authentique et des paysages minéraux, désertiques, colorés, d’une rare beauté. Les nombreuses grottes toujours mystérieuses ainsi que les villages et leurs monastères ponctuent cette approche vers la capitale de l’ancien royaume tibétain fondé par Ame Pal au XVe siècle.

Une « thangka » géante de Guru Rinpoché

En arrivant à Lo Manthang un soir de mai, je me prends pour un pèlerin ou un marchand du Moyen Âge, qui, après des semaines, voire des mois de voyages, découvre une cité pleine de promesses. Les paysans rentrent leurs chèvres et moutons en passant par l’unique porte de la ville qui est encerclée d’un rempart. Le palais royal surplombe la place centrale en effervescence. Je m’y introduis, poussé par la curiosité et enthousiasmé à l’idée de faire de belles rencontres. Je passe devant les mastiffs tibétains aux crocs acérés, la bave à la gueule et le regard hagard, puis je parviens à une cour qui distribue plusieurs pièces. On m’invite gentiment à venir prendre un thé dans la cuisine en compagnie du roi en personne. Il n’est plus tout jeune. Il m’explique qu’il est venu en hélicoptère depuis Katmandou, où il réside l’hiver afin d’assister et surtout de participer à la cérémonie du Tiji. C’est l’occasion pour tous ses « ministres », disons les élus de chaque village, de lui rapporter leurs doléances.

« En y songeant, je me dis qu’il y a peut-être eu plus de changements dans la vallée ces cinquante dernières années que ces cinq derniers siècles. »

Le lendemain, sur la place principale, une « thangka » géante de Guru Rinpoché (1) est déroulée, alors que les moines dansent revêtus de robes de brocart et de masques pour la plupart au faciès courroucé.

Le roi et ses ministres assistent au premier rang. Les trompes et les tambours résonnent. Les étrangers ont les appareils photo au poing. Les moines ont le smartphone dans la main, ou pas très loin si cette dernière est occupée. « L’instant », qui prenait des années avant d’être relaté dans un livre d’ethnologie, est aujourd’hui relayé en direct par les protagonistes eux-mêmes. Le troisième jour des festivités est riche en surprises. Tout d’abord, le cortège de religieux et de nobles sort de la ville fortifiée afin de sacrifier rituellement les démons. Après les flèches tirées pas le maître de la danse, appelé « Tsowo », les arquebuses sont de sortie. Les participants ne sont pas fiers devant autant de bruit et de fumée à l’odeur de poudre. Une brume mystique se dégage. Tous montent ensuite sur la terrasse du palais royal afin de clore les festivités de manière intime et privée. Comment ai-je pu y pénétrer ? Je me le demande encore. À ce moment précis, alors que le roi, son fils le prince, ses ministres et les hauts dignitaires religieux officient, je me prends à nouveau pour ce pèlerin ou ce marchand, qui, il y a 500 ans, assistait au plus beau spectacle de sa vie.

Depuis ce voyage, une route permet désormais de rejoindre l’altiport de Jomosom à Lo Manthang en une journée, et le roi a quitté ce monde. En y songeant, je me dis qu’il y a peut-être eu plus de changements dans la vallée ces cinquante dernières années que ces cinq derniers siècles. L’impermanence, une fois de plus, pointe le bout de son nez, comme pour me rappeler que tout ce qui semble acquis (emploi, conjoint, famille, amitié…) ne l’est jamais vraiment

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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