Retour en terre bouddhiste

- par Henry Oudin

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Reportage au Zanskar, le « Petit Tibet », pays loin du reste du monde en hiver. Un chemin vers soi, le long des hauts cols enneigés.

« David, mon fils, je voudrais retourner au Zanskar en hiver avec toi. Nous avions fait ce voyage il y a vingt-cinq ans en empruntant la rivière gelée, j’avais à l’époque ton âge et j’ai maintenant 70 ans. Je voudrais revoir tous ces gens qui m’ont touché au plus haut point et emprunter à nouveau ce chemin de glace pour nous rendre dans les villages de cette vallée himalayenne isolée ».

Voici ce que j’entendis de la bouche de mon père un soir d’été. Nous avons connu le Zanskar il y a trente ans en famille. J’avais alors 16 ans. Nous y sommes retournés mon père (Jacques) et moi il y a vingt-cinq ans pour effectuer le trek de la rivière gelée et atteindre les villages reculés où se trouvent nos amis. Ce voyage fut l’un des plus marquants de notre vie et nous aida par la suite à affronter des moments difficiles de nos chemins de vie. Aussi, tout comme la première fois il y a un quart de siècle, je n’eus pas beaucoup d’hésitation. Je suis resté au gré des ans en contact avec Tashi notre ami et sa famille. Les bébés que nous avons vus ont aujourd’hui plus de 25 ans et chacun a fait son chemin, certains ont déjà des enfants.

Le Zanskar est situé dans le nord de l’Inde dans l’État du Cachemire. Avec le Ladakh, la vallée voisine, cette région à la frontière avec le Pakistan d’un côté et de la Chine (Tibet) de l’autre, est communément appelée « Petit Tibet ». Les nombreux monastères bouddhistes et la population de langue tibétaine ont beaucoup en commun avec le « Toit du monde » et très peu avec l’Inde à laquelle ils sont rattachés. En hiver, pendant huit mois, le Zanskar est totalement coupé du reste du monde, car l’unique route traversant les hauts cols enneigés est fermée. Le seul moyen d’accès pendant les mois les plus froids est de marcher sur la rivière gelée Zanskar.

Le chemin de glace

Un matin de janvier 2019, nous nous sommes retrouvés, avec Tashi et ses deux fils (Dawa le menuisier et Lundup le chauffeur), à arpenter à nouveau cette fameuse rivière gelée. Cette fois-ci, plus de nuits dans les grottes ni de Tsampa (farine d’orge grillée) à tous les repas. Lundup nous a organisé un voyage de « luxe » avec nuits sous tente et un cuisinier hors pair. Malgré cela les conditions restent difficiles pour nous. Sans l’aide précieuse de nos amis, jamais nous ne pourrions parcourir ce chemin. À plusieurs reprises, nous mettons les pieds dans l’eau gelée, car la glace sur laquelle nous marchons n’est pas assez solide. Nous escaladons aussi de nombreuses montagnes. Nous affrontons des températures dépassant les – 25°C, et parfois nos amis dorment dehors ou dans des abris de fortune s’ils ne trouvent pas de grottes. Lorsque leurs pulkas chargées de tout le matériel ne peuvent plus glisser sur la glace et qu’il faut escalader, ils se retrouvent alors avec 30 à 50 kg à porter sur le dos sur des chemins escarpés, mais ils ont toujours la force de nous aider.

Nous ressemblons à des handicapés dans la montagne, comparés à eux. Assurément, nous ne sommes pas du même monde. Et pourtant l’amitié qui nous lie nous pousse à revenir toujours, sans jamais imaginer ne plus pouvoir les revoir. Tashi est devenu Mémé Tashi (Grand-Père) et est traité de la sorte, avec un immense respect, par ses fils. Lundup a pris le rôle de fils aîné et tranche toutes les décisions en dirigeant son équipe avec un sourire et un regard malicieux. Il a les mêmes mimiques que lorsque du haut de ses 5 ans, il remontait un jerrican d’eau de vingt litres sur le dos, ou lorsqu’il tirait un yack par la longe pour le ramener à l’étable.

La tournée des villages

L’arrivée au village de Pishu après plusieurs jours de marche dans le froid est toujours un soulagement. Sonam Angmo, la femme de Tashi, guettait notre arrivée depuis l’aube : afin d’encenser et bénir la cour comme il se doit, elle a fait brûler du genévrier. Maintenant, elle nous sert du chang (bière d’orge) à la louche comme le veut la tradition. Un des souvenirs les plus marquants que nous avions gardés en mémoire concerne la nonnerie du village. Un peu à l’écart et en hauteur, treize religieuses y vivaient isolées, sans eau courante ni électricité. Pour cuisiner, elles allaient casser la glace à la rivière 500 mètres plus bas. Cette réserve de glace constituait leur apport en eau pour quelques jours. Aujourd’hui, elles ne sont plus que six, dont trois en déplacement. Certaines sont mortes très jeunes. Dans cette vallée isolée, face à l’hiver et sans grande infrastructure médicale, la moindre maladie qui s’aggrave peut rapidement être fatale. De plus, les conditions dans lesquelles sont donnés les enseignements n’encouragent guère les nouvelles recrues. Les jeunes filles qui ont la vocation préfèrent les monastères du sud de l’Inde ou Dharamsala (lieu du gouvernement tibétain en exil), car les enseignements y sont de qualité et le cadre de vie bien meilleur.

Dans notre monde d’abondance, je m’efforcerai de ne pas oublier que mes amis du Zanskar n’ont presque rien sauf leur bonne humeur et leur joie de vivre. À leurs côtés, j’ai compris qu’effectivement le non-attachement aux choses « mondaines » permet un recul sur soi et une joie de vivre plus spontanée.

Pendant quelques jours nous allons de village en village, de maison en maison, afin de voir les personnes avec qui nous avions fait un bout de chemin il y a vingt-cinq ou trente ans. Que de surprises, d’histoires, de rires et de larmes. Thé salé au beurre de yack, thé sucré, chang, Arak (orge distillée), rhum et pour éponger le tout, les momos (raviolis tibétains) à la farine d’orge. Nous sortons les vieilles photos, les livres que nous avions faits et que nos amis ont conservés, et nous montrons sur nos smartphones les photos de nos enfants et compagnes restés en France.

Malgré la présence de route en été et d’un peu d’électricité pour s’éclairer le soir, les conditions de vie en hiver restent très rudes. Pas de bois pour se chauffer, seul du crottin séché pour cuisiner sur un petit poêle. Dans les maisons, il n’est pas rare d’avoir du gel sur les murs de la pièce principale. Pas d’eau courante, il faut aller à la rivière et souvent casser la glace tous les jours. Il y a vingt-cinq ans, nous nous posions des questions sur les changements et l’arrivée du monde moderne. Nous constatons aujourd’hui que malgré le changement de vie et de conditions, ils restent comme nous les avons connus : leur joie de vivre, leur sagesse innée, leur sourire et leur bonne humeur sont contagieux.

Retour en France 

Dans ma maison entièrement chauffée, j’allume les lumières, je fais couler l’eau chaude du robinet et je pense à mes amis au Zanskar. Ils sont nés bouddhistes et pratiquent cette religion qui prône le détachement matériel. Je comprends qu’effectivement le non-attachement aux choses « mondaines » permet un recul sur soi et une joie de vivre plus spontanée. Dans notre monde d’abondance, je m’efforcerai de ne pas oublier que mes amis du Zanskar n’ont presque rien sauf leur bonne humeur et leur joie de vivre. Tous mes petits soucis d’avant le départ n’ont plus maintenant la même dimension

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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