Lorsqu’on décida de représenter le Bouddha Gautama Shakyamuni sous forme humaine, au début de l’ère chrétienne, on associa des gestes symboliques aux principaux épisodes de sa vie. De cette manière, malgré l’uniformité apparente des représentations, on pouvait clairement identifier l’événement qui était ainsi évoqué. Certaines de ces mudras sont bien connues, comme la mudra de « la prise de la terre à témoin » ou celle de la méditation, qui symbolisent les différents épisodes de la nuit de l’Éveil, la mise en mouvement de la « Roue de la Loi », associée au premier enseignement du Bouddha à Sarnath, ou encore la mudra de « l’absence de crainte » ainsi que celle du don.
Par la suite, de très nombreux autres gestes viendront s’ajouter à l’iconographie bouddhique portant à plus de cinquante ceux que l’on peut observer dans les différentes figures du panthéon, et jusqu’à cent-huit pour les gestes spécifiques aux rituels tantriques : par exemple les gestes de « menace », associés aux divinités « courroucées », ou le « poing de sagesse », caractéristique de certaines formes du Bouddha « primordial » Mahavairocana.
De nos jours, les mudras rituelles, associées aux attitudes, aux sièges, aux couleurs et aux signes corporels, permettent d’identifier les différents bouddhas, bodhisattvas et grands personnages du panthéon bouddhique.
Les gestes de mains appelés mudras ne sont pas spécifiques du seul bouddhisme : ils appartiennent au fonds culturel indien. Certaines sont déjà décrites dans l’un des plus anciens textes connus sur les arts du spectacle, le Naṭyasastra, probablement antérieur au début de notre ère. Ce traité cite vingt-quatre gestes effectués avec une seule main (chap. IX, & 4-7), treize réalisés avec deux mains (chap. IX, & 8-10) et vingt-neuf gestes liés à la danse (chap. IX, & 10-17) ; les gestes spécifiques à l’art du spectacle sont appelés abhinaya, alors que le terme mudra est réservé aux gestes rituels, du bouddhisme ou de l’hindouisme.
On les classe généralement en quatre catégories : les gestes associés aux déités, aux démons et aux grands personnages, hindous et bouddhistes ; ceux liés aux pratiques tantriques – indiennes, chinoises, japonaises et tibétaines ; les gestes de méditation du yoga ; et enfin ceux relevant des arts de la scène.
L’utilisation des mudras se retrouve dès les plus anciennes représentations de l’iconographie bouddhique du début de l’ère chrétienne, dans les statues réalisées au Gandhara (sur le territoire actuel de l’Afghanistan et du Pakistan) et à Mathurā (dans l’état actuel de l’Uttar Pradesh, en Inde). Elles seront ensuite « exportées » en Asie centrale et en Extrême-Orient, puis au Tibet, au fur et à mesure de la diffusion du bouddhisme. On a ainsi retrouvé une feuille de croquis détaillant des mudras, datée du IXe siècle, dans la grotte 17 du site chinois de Dunhuang – elle est actuellement conservée au British Museum de Londres. L’usage des mudras contribuera ainsi à unifier l’iconographie bouddhique dans toute l’Asie.
Geste de prise à témoin de la terre : bhumisparsa-mudra
La main droite est pendante, la paume tournée vers le Bouddha, les doigts allongés touchent le sol.
Juste avant son Éveil, Shakyamuni, assis sous l’arbre de la bodhi, subit les assauts du « régent » du saṃsara, Mara (aussi appelé Papiyan, le « pire »). Craignant de perdre son ascendant sur les êtres dominés par les passions, celui-ci envoie d’abord ses armées, dont les flèches se transforment en fleurs dès que le futur Bouddha les regarde ! Dépité, Mara déclare alors avec orgueil qu’il doit sa position insigne aux très nombreux mérites qu’il a accumulés au cours de ses vies antérieures et dénie au futur Bouddha d’en avoir autant que lui…
Le maître touche alors la terre pour prouver sa détermination inébranlable à rester sur les lieux et pour prendre à témoin la déesse-terre Sthavara (ou Prithvi). Celle-ci apparaît, lui rend hommage et, tordant sa chevelure, en extrait toute l’eau accumulée au fil des ères cosmiques, chaque fois qu’une libation a été effectuée lors d’un don du bodhisattva. Cette eau est si abondante qu’elle emporte les armées de Mara !
Le Bouddha du passé Vipasyin effectue le geste de toucher la terre.
Si les principaux gestes sont, à l’origine, attribués à Shakyamuni, les autres grandes figures du bouddhisme adopteront aussi certains de ces gestes ; tel est le cas du jina de l’est, Aksobya, identifié, outre le geste de prise à témoin de la terre, par le vajra posé sur le socle de la statue.
Geste de méditation ou de concentration : dhyana-mudra ou samadhi-mudra
Les deux mains sont posées l’une sur l’autre, paumes vers le haut, doigts allongés, elles reposent sur les jambes des personnages assis.
Ce geste est caractéristique de deux périodes de méditation durant la vie de Shakyamuni : pendant sa période de jeûne extrême, et sous l’arbre de la bodhi avant son Éveil ; ce geste est également attribué au Bouddha Amitabha et, occasionnellement, au bodhisattva Manjusri ainsi qu’au Bouddha de médecine Bhaisajyaguru.
Geste d’enseignement, de mise en route de la roue de la loi : dharmacakra-mudra
La main droite est verticale, paume dirigée vers l’avant, le pouce et l’index se touchent ; la main gauche est inclinée et de biais, la paume est tournée vers l’intérieur, le pouce et l’index se touchent ; les doigts de la main gauche touchent la main droite.
Après son Éveil à Bodh-Gaya, Shakyamuni se dirige vers Sarnath, près de Bénarès (Varaṇasi), et prononce son premier enseignement public devant ses cinq anciens compagnons d’ascèse qu’il rencontre dans le parc aux daims (Mṛgadava) de Sarnath. Ce geste, appelé « mise en mouvement de la Roue de la Loi (dharmacakra) » symbolise ce premier sermon. Ce geste est également attribué au Bouddha du passé Visvabhu, au Bouddha Vairocana et au Bouddha du futur, Maitreya.
Geste de l’argumentation, de l’explication de la Loi : vitarka-mudra
La main droite est levée, paume en avant, doigts tournés vers l’extérieur, les extrémités du pouce et de l’index se touchent. La main gauche peut également être représentée en symétrique selon l’illustration de droite.
Cette position est complémentaire à la dharmacakra-mudra, elle symbolise l’explication, l’argumentation de la doctrine ; outre le Bouddha Shakyamuni, on la trouve chez le Bouddha du passé Sikhin, chez le « buddhadu » futur Maitreya et chez les bodhisattva Ksitigarbha et Akasagarbha.
Geste d’absence de crainte, de protection : abhaya-mudra
La main droite est levée, paume tournée vers l’extérieur, les doigts sont tendus vers le haut. Geste symbole de protection et d’absence de crainte, cette mudra évoque l’épisode où le Bouddha fut attaqué par un éléphant furieux dans les rues de Rajagrha. L’animal, réputé pour son mauvais caractère, venait des écuries d’Ajatasatru, roi du Magadha ; il avait été enivré à l’instigation de Devadatta, le « mauvais cousin » du Bouddha, qui voulait ainsi l’assassiner… Mais l’éléphant, arrivé devant le Maître, fut subjugué par sa sérénité, s’arrêta net et s’agenouilla devant lui pour lui rendre hommage. Ce geste est également attribué au Bouddha du passé Dipamkara et au Bouddha jina Amoghasiddhi.
Geste du don : varada-mudra
La main droite est ouverte et tombante, paume tournée vers le spectateur, doigts tendus ; une variante montre l’annulaire et le pouce joints selon le schéma de droite.
Ce geste caractérise le don, l’accueil, l’offrande ; l’ouverture vers le bas montre que le Bouddha ne garde rien enfermé dans sa main et que tout ce qui s’y trouve peut se répandre sur le monde.
Outre le Bouddha Shakyamuni, on le trouve aussi chez le Bouddha du passé Krakuccandra, chez le Jina Ratnasambhava, chez le bodhisattva Manjusri ainsi que chez les Tara et le Bouddha de médecine Bhaisajyaguru.
Geste d’offrande ou d’hommage : anjali-mudra ou namaskara-mudra
Il existe plusieurs formes de geste d’offrande ; la plus habituelle, celle représentée à gauche (anjali), montre les deux mains jointes et dirigées vers le haut, les paumes et les doigts se touchant ; une autre forme présente les deux mains ouvertes conformément au schéma de droite. Les deux mains sont jointes et dirigées vers le haut, les paumes et les doigts se touchent.
Ce geste est attribué aux bodhisattvas qui rendent hommage aux bouddhas, il concerne notamment deux des quatre mains d’Avalokitesvara (Saḍaksari-Lokesvara) et, d’une manière générale, il est effectué par les disciples en dévotion.
Le geste de menace : tarjani-mudra
Il existe plusieurs représentations du geste de menace ; le plus fréquent, selon l’exemple de gauche, montre un poing fermé, une main à l’horizontale avec un index tendu ; la main peut également être verticale. L’exemple de droite, fréquent dans les bouddhismes tantriques, japonais et tibétain, présente une main verticale, le majeur, l’annulaire et le pouce repliés et les deux autres doigts levés.
De nos jours, les mudras rituelles, associées aux attitudes, aux sièges, aux couleurs et aux signes corporels, permettent d’identifier les différents bouddhas, bodhisattvas et grands personnages du panthéon bouddhique.
La tarjani-mudra est l’un des gestes caractéristiques des divinités irritées du bouddhisme tantrique du Tibet, du Japon et de Chine, les Vidyaraja. Il symbolise le combat contre les démons, il sert à effrayer les êtres qui persistent dans leurs fausses croyances. Les Vidyaraja sont des divinités irritées, aux multiples visages, bras et jambes ; ils tiennent des armes dans les mains, sont auréolés de flamme et l’un de leurs bras présente le geste de menace, souvent représenté, au Tibet, par Marici.
La vajrahumkara-mudra
Certaines mudras sont associées à des objets rituels, tel est le cas de la vajrahumkara-mudra. Les mains sont levées et croisées, la main droite passant devant la gauche, l’index et l’auriculaire sont levés, les trois autres doigts repliés (schéma de gauche) ; le pouce, le majeur et l’annulaire tiennent des objets rituels constitués d’une cloche (ghaṇṭa) dans la main gauche et d’un vajra double dans la main droite (schéma de droite). Cette représentation est surtout associée au Bouddha primordial Vajradhara, mais aussi à Samvara.
La bodyagri-mudra
Dans ce geste spécifique au Bouddha Mahavairocana assis, les deux mains sont devant la poitrine, le point gauche est fermé, à l’exception de l’index dressé et saisi par la main droite fermée. Mahavairocana peut également être représenté en dharmacakra-mudra.
La patra-mudra
Dans cette mudra, le Bouddha tient un bol à aumônes (patra), ses mains positionnées en dhyana-mudra supportent le patra ; une variation iconographique présente le bol enserré avec les deux mains, l’une au-dessus et l’autre en dessous.
La civarahasta-mudra
Cette attitude est fréquente dans les pays pratiquant le Theravada, notamment en Thaïlande et au Laos, comme dans l’exemple ci-contre ; le Bouddha Gautama tient la robe monastique légèrement relevée ou allonge ses mains tendues vers le sol, paumes tournées vers le corps.
La kesahasta-mudra
Cette posture de Shakyamuni, mains au-dessus de la tête, fait référence à un épisode de sa vie, détaillée notamment dans le chapitre XV du Lalitavistara-sutra. Cherchant une explication à l’origine et au mécanisme des souffrances endurées par les êtres humains, Shakyamuni décide de devenir un ascète errant ; mais son père, le roi Suddhodana, l’empêche de sortir du palais pour mener à bien ce projet. Aussi Siddhartha s’enfuit-il du palais royal de Kapilavastu en pleine nuit, sur son cheval Khantaka, accompagné de son écuyer Chantaka. Arrivé dans la ville d’Anoumaineya, il renvoie écuyer et cheval, puis coupe ses cheveux et prend l’habit d’ascète errant. La posture des mains levées évoque l’instant où il coupe ses cheveux, les représentations ci-dessous le représentent à cet instant.
La mudra des bras croisés-mains ouvertes sur la poitrine ou Jinacarita
Certains gestes adoptés dans l’iconographie du Bouddha historique font, encore aujourd’hui, débat dans la communauté des historiens : tel est le cas de la mudra des mains croisées sur la poitrine que l’on peut observer dès le Vie siècle.
Ce geste est représenté sur des statues de dévots situées dans plusieurs sites de l’Inde du Sud ; il est également affiché par le Bouddha Gautama dans les pays du Theravada comme le Laos, la Thaïlande, la Birmanie, et, comme dans les deux exemples ci-dessous, au Sri Lanka.
Ce geste fut successivement considéré comme une attitude de dévotion, de tristesse, de méditation, d’impassibilité, ce qui traduisait les hésitations des experts. De nos jours, l’interprétation couramment admise se base sur la légende de l’animisacetiya reprise dans le Jinacarita, texte sri-lankais tardif sur la biographie du Maître : au cours de la semaine suivant son illumination, il serait revenu voir l’arbre de la bodhi et l’aurait salué avec respect et reconnaissance, comportement qui se manifeste par les bras croisés et les mains ouvertes sur la poitrine.