Le Bouddha en images

- par Henry Oudin

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Les premières images du Bouddha ou de la nécessité des hommes de se représenter leurs modèles.

La littérature bouddhique laisse penser que la question de la représentation anthropomorphe du Bouddha s’était déjà posée de son vivant. Un passage du Divyâvadana (1) explique ainsi qu’à la demande du roi du Maghada, le Bouddha projeta son ombre sur une étoffe pour faciliter la réalisation d’un portrait de lui-même. Un autre texte évoque une effigie de santal doré, réalisée avec l’assentiment du Bienheureux et destinée à suppléer à son absence, le cas échéant.

Rien dans les écrits ne permet toutefois d’affirmer que le Bouddha ait spécifiquement interdit ou autorisé la reproduction de son image. Mais la question est à nouveau soulevée lorsque les communautés monastiques commencent à se sédentariser ; quelques décennies après le Parinirvâna, des résidences durables se construisent et les parties ouvertes aux laïcs doivent être décorées. Les thèmes s’imposent d’eux-mêmes : épisodes de la vie du Bouddha Shakyamuni et de ses vies antérieures. Par le fait même d’avoir atteint l’Éveil puis par l’extinction parfaite du Mahaparinirvana – la « dispersion » des composantes, dont parlent certains textes –, le Bouddha est définitivement sorti du monde des phénomènes conditionnés. Pouvait-on dès lors envisager de lui donner une forme, fut-elle sculptée ou peinte, dans ce monde dont il s’est libéré ? Dans un premier temps, la réponse est négative.

Le premier art bouddhique est donc qualifié d’aniconique, car l’Éveillé n’y est jamais représenté sous forme humaine. Jusqu’au début de l’ère chrétienne, les artistes contournent la difficulté en évoquant indirectement sa présence par un espace vide et par un choix judicieux de symboles adaptés au moment représenté : le parasol, insigne de sa dignité, l’arbre de l’Éveil, des empreintes de pied, un trône vide pour sa simple présence, une roue encadrée de gazelles pour le premier sermon, un petit stûpa pour le Nirvana.

Le costume monastique du religieux renonçant

Les choses changent dans les premières années de l’ère chrétienne. Des évolutions propres au bouddhisme, les aspirations plus dévotionnelles de la religiosité indienne se combinent à des influences artistiques étrangères venues de la sphère irano-grecque pour donner naissance aux premières images. L’iconographie du Bouddha se met progressivement en place, fondée sur deux points essentiels : la tenue vestimentaire et la mise en évidence des lakshana, les signes majeurs du Grand Homme.
Le Bouddha est un religieux renonçant. Il est donc hors de question de vêtir et de parer son effigie de manière somptueuse comme on commence à le faire à l’époque pour les dieux de l’hindouisme. Il porte le costume monastique tripartite – vêtement de dessous, robe et manteau –, drapé de manière à dégager l’épaule droite, comme le portent toujours les moines du Sri Lanka et de l’Asie du sud-est.

D’autres signes du Bouddha se rapprochent de certains critères de beauté classiques de la tradition indienne : le torse de lion, la cuisse de l’antilope ou encore le bras souple comme « la trompe du jeune éléphant ».

Dès la naissance du futur Bouddha, les sages convoqués au palais avaient noté sur son corps la présence des lakshana, marques physiques identifiant, selon la tradition indienne, un être promis à un destin exceptionnel. Certains de ces signes sont immédiatement identifiables et chargés d’un symbolisme souvent associé à la grande sagesse et au savoir du Bouddha. C’est le cas de la protubérance crânienne, l’ushnisha, qu’il est aisé de confondre avec un chignon, ou de l’urna, la marque frontale que les textes décrivent très précisément comme « un poil blanc soyeux enroulé dans le sens favorable entre les sourcils ». D’autres signes, d’aspect moins spectaculaire, se rapprochent de certains critères de beauté classiques de la tradition indienne : le torse de lion, la cuisse de l’antilope ou encore le bras souple comme « la trompe du jeune éléphant ». Le drapé très moulant du vêtement monastique laisse toutefois entrevoir ces traits pour qui connaît la liste des lakshana. La dorure et la polychromie qui recouvraient autrefois les œuvres sculptées permettaient également d’évoquer certaines autres caractéristiques physiques comme la carnation or et l’éclat émanant du corps du Bouddha.

Les lakshana étant au nombre de 32 principaux et 80 secondaires, il était impossible d’en représenter la totalité, a fortiori lorsqu’ils se rapportent à l’intérieur du corps, la bouche par exemple (forme de la langue, la puissance de la voix, le nombre de dents). Certains encore sont ambigus et leur description se prête à des interprétations diverses. En revanche, la déformation des lobes d’oreille, spectaculaire aux yeux des Occidentaux, s’explique logiquement par le port de bijoux pesants qu’imposait son statut au prince Siddhartha, futur Bouddha. Elle n’apparaît pas dans les listes traditionnelles.

Une représentation du Bouddha teintée de spiritualité

Dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, trois grandes écoles d’art bouddhique dit « primitif » contribuent ainsi à la mise en place de l’image du Bouddha. Deux d’entre elles sont localisées dans le nord et le nord-ouest de l’Inde, respectivement l’école de Mathura, à environ 150 km au sud de Delhi, et l’école du Gandhara, sur le territoire actuel du Pakistan et de l’Afghanistan. Cette dernière, marquée par des influences venues du monde irano-grec, est également qualifiée d’art gréco-bouddhique. La troisième école s’épanouit plus au sud, dans l’Andhra Pradesh, là où se trouve le site d’Amaravati qui lui a donné son nom.

Elles s’accordent sur le respect des règles iconographiques, mais divergent dans le détail : traitement de la coiffure, de l’urna ou du drapé, ainsi que dans le matériau employé dans la sculpture.

Un peu plus tard, aux IVe et Ve siècles de l’ère chrétienne, alors qu’une bonne partie du sous-continent se trouve sous l’autorité de la dynastie Gupta, une synthèse s’opère pour aboutir à une représentation classique du Bouddha, plus teintée de spiritualité. Cette image allait influencer l’art bouddhique à travers l’ensemble de l’Asie

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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