Quel fut le tout premier contact avec le bouddhisme ?
Un livre, Le bouddhisme d’Edward Conze. Je l’ai lu parce qu’on me l’avait recommandé. De toute façon, c’était « oriental » et, pour moi, tout ce qui est oriental est béni !
Pourquoi ce livre vous a-t-il autant touché ?
J’ai lu ce livre vers l’âge de quinze ans, alors que j’étais en pension près de Paris. Comme j’habitais Lille, où je rentrais tous les week-ends, je lisais beaucoup dans le train. Aujourd’hui, j’ai l’impression de n’avoir jamais aussi bien lu que dans le train… Un an après, j’ai perdu mon père. Quand j’ai appris l’insupportable nouvelle, je suis tombé dans les pommes, un état dans lequel je suis resté pendant un bon moment. En me réveillant, la première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est l’idée que rien n’était vrai, que tout se précipitait vers son anéantissement, et que cela était infernal. J’étais chez des cousins, je retournais quelques crucifix face au mur en tant que symboles « hors sujet ». Des choses du bouddhisme que j’avais lues me sont alors revenues, essentiellement l’idée que tout est souffrance et qu’il y a un remède à la souffrance. Cependant, je ne suis pas devenu bouddhiste pour autant.
Qu’y avait-il avant le bouddhisme ?
Un rejet très fort du catholicisme, dans la mesure où j’avais été élevé en pension religieuse par des individus qui ne pratiquaient pas ce qu’ils prêchaient.
Quand votre premier véritable contact avec le bouddhisme s’est-il produit ?
Quelques années plus tard. À l’âge de vingt et un ans, je me suis trouvé libre de travailler ou non, puisque je pouvais disposer de l’héritage de mon père. J’avais dans la poche un contrat de la librairie l’Asiathèque pour traduire directement du tibétain au français Le livre des morts. À Katmandou, j’ai dit au premier Tibétain rencontré au temple Swayambhunath (1) : « Je cherche Le livre des morts tibétain ». Il m’a répondu : « Je peux vous le fournir, mais venez donc d’abord chez moi ». C’était un peintre qui voulait me montrer ses peintures et celles de son frère, qui était moine. Ce dernier était beau, tranquille, inspirant. Il était assis près d’une fenêtre et peignait une déité. Madeleine, mon épouse à l’époque, est immédiatement tombée amoureuse de lui. Elle a dit : « Je veux devenir bouddhiste tout de suite » ! Et moi : « Je veux bien te suivre ». Cette anecdote est à peine romancée ! Nous sommes donc allés « prendre refuge » à Bauddha, où nous avons chacun reçu un nom tibétain donné par Thrangou Rinpoché. Bien que rebaptisé « Karma Samdroup » (littéralement « celui dont les vœux sont accomplis »), je ne me sentais pas encore bouddhiste.
« Quand mon esprit s’échappe, je le ramène sur la visualisation, le plus difficile étant de me rendre compte que mon esprit m’a une fois encore échappé. Ce sont là les premiers obstacles à la méditation, et j’ai l’impression d’en être encore là, à mon âge. Mais j’ai eu des moments de vision qui m’ont bouleversé et m’incitent à continuer. »
Il m’a fallu un an et un retour à Katmandou pour avoir les idées plus claires à ce sujet. Le peintre me demanda alors : « Comment va la méditation ? » « Moi, rien, mais Madeleine aimerait vraiment apprendre à méditer ! » Un matin, le moine-peintre débarque chez moi, chargé de trois livres et d’un petit rouleau : « Tiens, voici le petit rouleau ». Je lui avais dit que j’aimais Manjushri sans savoir pourquoi. « Je voudrais que Madeleine le pratique et que tu le traduises, tu demanderas à Manjushri de te bénir pour ce faire. » Un peu suffoqué, je réponds : « Certainement, mais il faudrait que l’on m’explique. » – « Je pense qu’une personne conviendrait : Takloung Tsétrul Rinpoché. » J’ai donc cherché Takloung Tsétrul Rinpoché dans les grands camps de réfugiés tibétains du nord de l’Inde, puis je suis rentré en France sans l’avoir trouvé. On m’a dit alors : « Dudjom Rinpoché est à Paris et le Rinpoché que tu cherches fait partie de sa suite ». Comme j’avais une réputation de traducteur, je me suis retrouvé à traduire les enseignements de Dudjom Rinpoché. Je me suis faufilé dans les coulisses avant le tout premier enseignement et je suis tombé comme par magie sur le Rinpoché que je cherchais ! Je lui ai déclaré tout de go que je voulais qu’il soit mon maître. « Il faut voir », répond-il. C’est alors qu’a commencé une grande histoire d’amour avec celui que j’ai l’audace – mauvais pratiquant que je suis – de considérer comme mon « maître de sagesse ». En ce moment, je me sens un peu « mis de côté », cela doit être pour me faire comprendre que j’ai encore pas mal de choses à changer dans ma petite personne.
Pratiquez-vous quotidiennement ?
Tant bien que mal, mais quotidiennement.
Les traductions font-elles partie de la pratique ?
Oui, je crois. À force de me voir peiner à pratiquer, Rinpoché a fini par me rassurer : « Ta pratique, c’est la traduction ». À cette pratique de la traduction, j’essaie donc d’ajouter des pratiques de dévotion, des exercices de concentration, que j’essaie de faire selon la méthode des tantras. Quand mon esprit s’échappe, je le ramène sur la visualisation, le plus difficile étant de me rendre compte que mon esprit m’a une fois encore échappé. Ce sont là les premiers obstacles à la méditation, et j’ai l’impression d’en être encore là, à mon âge. Mais j’ai eu des moments de vision qui m’ont bouleversé et m’incitent à continuer.
À quelle école vous rattachez-vous ?
Je suis tombé sur un maître nyingmapa, et tout naturellement, je suis nyingmapa.
Le bouddhisme a-t-il changé votre rapport aux autres ?
J’avais tendance à mépriser le monde entier ; aujourd’hui, ça a franchement changé. Mon orgueil intellectuel me semble risible. Tout cela est en train de passer. Désormais, par principe, j’écoute le plus possible et ne juge que si cela s’avère indispensable