Olivier Reigen Wang Genh : Comment les communautés bouddhistes vivent-elles le confinement ?

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Maître zen et président délégué du pôle cultuel de l’Union Bouddhiste de France, fédération regroupant la majorité des écoles, Olivier Reigen Wang Genh revient sur la façon dont les bouddhistes vivent le confinement.

Comment affrontez-vous cette urgence sanitaire dans votre monastère en Alsace, région très touchée du Grand Est ?

Nous respectons les règles imposées à toute communauté. Nous continuons les pratiques et cérémonies, avec les mêmes horaires et le même rythme, mais nous ne recevons plus personne. Nous sommes vingt-cinq à demeurer ici, il y a donc largement assez de place, que ce soit dans le temple ou dans le réfectoire, où nous prenons les repas de manière rituelle matin, midi et soir et où tout est organisé avec les distances minimum. Dans le dojo, on respecte deux mètres de distance entre chaque personne. Les personnes qui s’occupent du service et de la cuisine portent des masques et des gants. Il y a des bouteilles de gel partout et nos courses sont livrées par des producteurs locaux. Nous avons intégré ces nouvelles règles à la pratique dans l’esprit du Zen. Au début, et comme partout, il fallait sans cesse rappeler les gens à l’ordre :  le besoin de sociabilité et de proximité est prégnant chez l’être humain et les habitudes ont la vie dure !

Il y a ce mot du philosophe Gaston Bachelard : « une âme habituée est une âme morte ». Ce genre de crise devrait donc, dans l’idéal, permettre de renouveler les âmes en luttant contre les habitudes ? Mais, les dojos étant fermés, comment font tous ceux qui venaient vous voir de l’extérieur ?

Il y a une quinzaine de jours, j’ai écrit une lettre aux communautés membres de l’UBF, l’Union Bouddhiste de France, en leur demandant comment ils vivaient cette période particulière, leur organisation et les difficultés rencontrées. On a reçu des réponses de plus de 60% des membres. Nous avons donc une vision globale assez juste de la situation des communautés. Toutes ont fait des efforts de créativité pour garder le contact avec les participants extérieurs : visioconférences par Zoom, Skype, Facebook… La communication sur internet s’est développée par podcast ou autre.

« L’Éveil n’est en rien à atteindre, mais à vivre, c’est une pratique au quotidien. Il n’y a pas de Nirvana à trouver, mais il faut sans cesse s’éveiller, maintenant. »

Ici, au monastère, nous avions déjà mis au point depuis cinq ans un système de retransmission en live audio : tout ce qui se passe dans le dojo est retransmis sur le site meditation-zen.org. Si quelqu’un veut pratiquer la méditation zen on line avec nous, il peut écouter tous les sons du dojo : le bois, les cloches (avec la grande cloche, le Boncho), les chants de soutras, les enseignements, les bruits des oiseaux dans la nature ou la pluie, etc. Nos statistiques montrent que 3 à 400 personnes suivent ces séances en même temps que nous, le matin à 6h30 et le soir à 18h15. Nous faisons même des retraites d’un week-end qui sont retransmises. Celle de Pâques a été suivie par environ 250 personnes. Les retours s’avèrent excellents, les gens sont enchantés de pouvoir suivre ces méditations de chez eux. D’une manière ou d’une autre, toutes les communautés font ce genre de choses.

Vous faites aussi des cérémonies, à la demande des proches, pour les personnes décédées et aussi des rituels votifs, appelés Kito, pour les malades et les personnes en souffrance…

Dans le Soto Zen, le Kito est une cérémonie dite de « transfert de mérite », qui s’adresse à des personnes en graves difficultés physiques ou psychologiques. Cela peut aussi être collectif, le dernier Kito que l’on a fait s’adressait à une centaine de personnes. Les noms des personnes en détresse sont récités à la fin de la cérémonie, et l’énergie compassionnelle dégagée par ce genre de rituel leur est toute destinée. En ce moment, nous faisons des kitos tous les deux jours et des cérémonies pour les défunts presque tous les jours.

Ce sont donc de vrais rituels religieux, comme on en trouve dans toutes les religions…

Oui, absolument, on chante des soutras avec beaucoup d’énergie sonore et de bienveillance. On applique ainsi la simple loi d’interdépendance chère au bouddhisme : nous sommes tous reliés. Il y a une relation invisible qui se crée. Cela n’a rien de chamanique ou magique, cela correspond à la réalité qu’enseigne le Bouddha.

Les services de l’État ont demandé à être informés des difficultés éventuelles rencontrées par les communautés bouddhiques…

Nous sommes en contact quotidien avec le service des cultes au ministère de l’Intérieur. Nous abordons tous les sujets, y compris les difficultés financières, car il y en a : en particulier dans les pagodes asiatiques, qui sont des lieux très vivants et riches en passages constants et qui se trouvent fermées depuis le Nouvel An chinois. Toutes les grandes fêtes des mois de mars, avril et mai – dont le fameux Vesak, l’anniversaire de la naissance du Bouddha -, qui réunissent des milliers de personnes, ont été supprimées. D’où des manques à gagner considérables pour les communautés. Il ne faudrait pas que cette situation dure trop longtemps, car elle peut mettre en danger certains de ces groupes : nous avons tous des emprunts bancaires sur les constructions, des charges diverses… Nous espérons malgré tout que naîtront de cette pandémie des graines de sagesse, concernant notre fonctionnement global, sociétal, industriel et écologique.

Vous aimez cette très belle phrase de la poétesse Marianne Williamson : « C’est la lumière qui nous fait le plus peur, pas notre ombre ». Pouvez-vous la commenter ?

C’est un extrait du poème utilisé par Nelson Mandela lors des cérémonies d’investiture de sa présidence. Je pense que cela éclaire bien ce qu’a révélé cette crise : l’immense fragilité du système, ainsi que nos propres failles, le désarroi qui s’est emparé de tout le monde, les difficultés familiales de certains, le choc de la solitude et de l’inactivité… Cela crée heureusement chez certains un besoin puissant de retrouver de l’intériorité, de la profondeur, des rituels de concentration et de « reliaison » ainsi qu’un nouveau rythme d’être.

Juste quelques mots sur le livre que vous avez fait paraître avant ces événements, C’est encore loin l’Éveil ? Pourquoi avoir choisi ce titre ?

Je pense sincèrement que l’Éveil se forme dans une pratique de la méditation effectuée à la lumière de la bienveillance. L’Éveil n’est en rien à atteindre, mais à vivre, c’est une pratique au quotidien. Il n’y a pas de Nirvana à trouver, mais il faut sans cesse s’éveiller, maintenant.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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