Marc de Smedt : En période de confinement, méditer aide à retrouver plus de liberté intérieure

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Éditeur reconnu dans le domaine de la spiritualité, Marc de Smedt est également l’auteur de nombreux ouvrages, dont un classique, Éloge du silence, bien adapté à notre temps. Après avoir découvert la méditation il y a un demi-siècle avec le maître zen Taïsen Deshimaru, il continue à la pratiquer de manière laïque. Son dernier ouvrage, Les racines de la méditation et des pratiques d’éveil, vient de paraître aux éditions Albin Michel.

Difficile de mettre des mots sur la période actuelle tant la crise du Coronavirus nous place dans une situation inédite, pour le moins trouble et anxiogène… Quel regard portez-vous dessus ?

On connaissait les côtés positifs de la mondialisation qui ont permis des avancées intéressantes, avec la libre circulation des idées et des personnes, la possibilité de découvrir d’autres cultures, pratiques, etc. Là, on prend de plein fouet sa face sombre : une pandémie internationale, qui intervient violemment sur tous les plans : personnel, sociétal, économique et la menace d’une crise majeure… Soudainement, le système se déchire avec, de plus, la remise en cause de nos habitudes et une menace potentiellement mortelle !

Essayons de vivre ce moment de manière sereine, car il a sûrement beaucoup à nous apprendre. Le confinement nous met aussi face à de grandes questions : cette situation va-t-elle me rendre à moitié fou ou, au contraire, plus sage ? Vais-je finir dépressif ou plutôt en tirer les leçons me permettant d’aller plus loin ? C’est un véritable challenge, loin d’être facile, mais il nous oblige à nous confronter à ces questions.

Le surgissement de cette crise ne symbolise-t-il pas la manifestation de l’idée d’impermanence, chère au bouddhisme ?

À l’évidence, cela illustre que tout reste incroyablement fragile, que rien n’est jamais figé, que tout se transforme, parfois avec brutalité… Il y a cette très belle phrase bouddhiste, qui dit : « Vous qui avez eu la chance de prendre forme humaine, ne perdez pas votre temps ». Cet adage m’a toujours fait un effet fulgurant : trop souvent, nous passons beaucoup de temps à nous préoccuper de petits détails futiles, au quotidien. Dans la vie, il y a beaucoup de choses qui tendent à nous restreindre, à nous étroitiser l’esprit. C’est à cela que sert la méditation, justement : à élargir notre champ de conscience. L’acte de se grandir est une autre définition du mot « méditation ». Alors oui, il faut apprendre à vivre et à gérer le changement perpétuel, quel qu’il soit…

La méditation peut-elle être un recours efficace dans cette période de confinement ?

Bien sûr, c’est le moment de développer l’introspection. Il s’agit d’apprendre à ne plus être l’acteur compulsif de son existence, pour accepter d’en devenir le spectateur. La méditation va aider à mieux appréhender cette période, à voir les choses sous un autre angle. C’est la fameuse métaphore orientale qui compare l’être humain à un verre d’eau boueuse : si vous laissez le verre posé, la boue se dépose au fond et l’eau claire apparaît. C’est exactement ce qui se passe en nous dans la méditation :  l’esprit se clarifie ! Certes, la boue ne disparaît pas, elle reste là, mais avant, elle était en dispersion, partout, dans la conscience. Et les sages nous disent que c’est parce qu’elle se dépose au fond de l’étang que la graine du lotus, qui représente la sagesse, peut s’enraciner dans la boue… Voilà un exemple absolument magnifique qui raconte parfaitement ce qui se passe dans le processus de la méditation.

À l’heure où le confinement impose des privations de nos libertés fortes, longues et inattendues, la méditation pourrait-elle être un moyen de reconsidérer et de renouer avec l’essence même du mot « liberté » ?

Le maître zen Deshimaru, lors de son enseignement que j’ai suivi pendant onze ans (1), insistait là-dessus, sans cesse : il répétait que la méditation aide à nous couper des illusions qui nous habitent en permanence. Nous vivons emprisonnés dans un univers de fantasmes dont la méditation aide à se libérer. Il y a comme un processus thérapeutique, qui consiste à nettoyer l’esprit et qui offre ensuite une tout autre connexion au réel, grâce à un autre regard sur ce qui nous entoure, sur la nature, sur les personnes… Selon les circonstances, le confinement peut donc nous aider à développer une forme de liberté intérieure en nous. C’est d’ailleurs la première mission que se donne la méditation ! Dans le Zen, il y a cette formule qui dit qu’il faut « être libre comme l’oiseau dans le ciel ou le poisson dans l’eau ». C’est bien le mot « libre » qui est employé : la méditation invite à se donner de l’air, mais vise in fine la liberté !

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui voudraient essayer la méditation pendant cette période ?

Même s’il y a du bruit, même si la situation est difficile, il y a plein de petits moments de tranquillité qui s’offrent à nous, chaque jour, pour méditer : au moment de se coucher, au réveil, entre deux tâches, la nuit… Et puis, on n’a pas besoin de méditer des heures ! Je suis adepte des micro méditations : dès que je me sens emporté dans des angoisses, des doutes ou une émotion trop intense, je respire profondément avec de longues expirations, je calme le jeu et je me mets en état de « spectateur ». Et ce phénomène d’eau boueuse qui devient claire se produit en moi. C’est ce qu’il faut appliquer aujourd’hui !

Comment faire avec les enfants pour qu’ils ressentent cela ?

Il y a par exemple la technique dite des « Voyelles », que j’affectionne particulièrement : vous chantez chaque voyelle, trois fois de suite, jusqu’au bout du souffle et en respectant un petit silence de quelques instants entre chaque. On en ressort complètement nettoyé, ça fait comme une petite douche intérieure ! Cela paraît très simple, mais ça marche très bien avec un effet immédiat. C’est typiquement le genre d’exercice qui me paraît approprié en ce moment : très accessible, petits et grands peuvent le pratiquer, au moins une fois par jour, et ça permet de regarder la réalité autrement tout en respirant à fond.

« La méditation, c’est la fameuse métaphore orientale qui compare l’être humain à un verre d’eau boueuse : si vous laissez le verre posé, la boue se dépose au fond et l’eau claire apparaît. C’est exactement ce qui se passe en nous dans la méditation :  l’esprit se clarifie ! »

De manière générale, il faut retrouver des plaisirs de lecture ou de création ludique, de musique, de peinture, de jardinage, si on peut… Cela peut aussi être le moment d’expérimenter des moments de jeûne médiatique, : il faut savoir couper notre fil à la patte et prendre de la distance avec toute cette masse de nouvelles qui a un côté addictif assez terrifiant : écouter en boucle les infos finit par générer une sorte d’angoisse qui nous confine encore plus !

La méditation peut-elle aussi aider à mieux gérer le confinement avec autrui ?

Si j’arrive dans une pièce en étant énervé ou anxieux, cela va être ressenti par tous ceux qui sont présents. Si, au contraire, j’arrive souriant et détendu, l’ambiance de la pièce va se transformer positivement. À partir du moment où notre perspective du monde change, où l’on n’est plus dans une perspective apeurée mais apaisée, alors forcément, on évolue différemment dans le monde. On ne ressort jamais d’une méditation le même qu’on y est entré et par conséquent, notre relation aux autres s’en ressent. Cela fonctionne par ondes concentriques, en somme.

À titre personnel, avez-vous modifié votre pratique de la méditation depuis l’arrivée du Coronavirus ?

Mes méditations en sont, en tout cas, toutes imbibées, c’est sûr. On ne peut pas faire abstraction d’un tel bouleversement ! C’est d’autant plus intéressant qu’il y a justement tout un travail à faire par rapport à ça : si on se met à méditer face à cette angoisse, celle-ci tombe. On se retrouve dans son corps et dans son être – dans son « ici et maintenant » – et au fur et à mesure que l’on respire, on retrouve un calme intérieur, et tout ceci se dilue… Au fond, c’est pareil pour chaque moment de notre vie : après une dispute, notre méditation est baignée par cette confrontation. L’enjeu, c’est justement de pouvoir changer son regard et clarifier ses angoisses en allant au plus profond en soi. C’est comme ça qu’on développe le meilleur de soi-même, ce qui est l’objectif ultime de toutes ces techniques. « Soyez votre propre flambeau, votre propre lumière », disait le Bouddha, dans l’une de ses dernières formules, sublime : cela veut bien dire que les solutions sont aussi en nous.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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