Depuis la Porte Dorée, nous déambulons au milieu des arbres du bois de Vincennes. Baskets aux pieds, cheveux blonds attachés en natte, Nathalie Eno porte une doudoune bleu marine sur les épaules pour ne pas se laisser refroidir par les températures automnales. Nous nous asseyons sur un banc, au bord de l’étang, où canards et oies bernaches s’exclament de concert. Le grand rocher du zoo de Vincennes, visible au loin, rougit à la lumière du crépuscule. « Très jeune, je cherchais déjà à comprendre la nature de l’esprit », se souvient la photographe, derrière ses lunettes teintes. « Être ou ne pas être ». C’est d’abord le théâtre et Shakespeare qui lui ont appris à se mettre au service d’une œuvre. La philosophie, ensuite. « Spinoza m’attirait beaucoup. Sa pensée, fondée sur l’amour et la joie, et sa perception intuitive du monde, lui permettent de saisir la nature des choses d’un seul regard. »
« J’ai découvert la spiritualité en Inde, à 17 ans », poursuit Nathalie Eno. Partie faire un reportage photo sur la foire aux chameaux de Pushkar, elle en profite pour visiter les temples de Dharamsala. « Malgré la grande misère que l’on constatait, les croyants y faisaient des offrandes en continu, j’ai été transportée. »
De retour avec dans ses bagages un reportage supplémentaire sur les femmes voilées, la jeune femme publie ses premiers clichés dans des magazines féminins comme Cosmopolitan et Marie-Claire. Elle travaille ensuite, pendant cinq ans, pour le magazine Première, tout en faisant ses premiers pas dans la mode, en tant qu’assistante de la photographe Dominique Isserman. Celle-ci lui présente sa sœur Aline, qui l’engage comme photographe de plateau sur son premier film, Le Destin de Juliette, en 1982. C’est le début d’une nouvelle et longue carrière.
Deuil et souffrance
En parallèle, elle poursuit sa quête de sens. Qi gong, yoga, danse, psychothérapie, Nathalie s’essaye à différentes méthodes. Frappée par un deuil à 38 ans, elle décide à travailler sur la souffrance, ce qui la mène au bouddhisme.
Nous reprenons notre marche et passons devant Kagyu Dzong. C’est ici, au cœur du bois de Vincennes, qu’elle rencontre Lama Gyourmé pour la première fois. Le lama bhoutanais lui conseille la lecture de L’alchimie de la souffrance de Jamgon Kongtrul. Très vite, elle commence à pratiquer quotidiennement chez elle les rituels de Tara, Mahakala, Chenrézi, Sangyé Menla. Les week-ends, elle part « tourner le moulin à prières » à Vajradhara Ling, dans l’Orne. Au bout de quelques mois, se rendant compte des changements qui s’opèrent en elle, Nathalie prend refuge.
« Mettre en lumière un personnage requiert des qualités humaines. Sur un plateau, chacun doit être en harmonie avec soi-même pour que le travail de groupe fonctionne, comme un équipage sur un bateau. »
En 1999, elle rencontre Son Éminence Jetsun Khandro Rinpoché à Kagyu Dzong, le temple Vajrayana situé au cœur du bois de Vincennes. « J’ai trouvé mon maître lama principal ce jour-là. Il n’y a pas vraiment de mots pour décrire ce que j’ai ressenti », concède Nathalie Eno. Depuis, elle suit ses enseignements sans interruption ainsi que ceux d’autres grands maîtres tels que Mingyour Rinpoché, Sangye Nyenpa Rinpoché, Sa Sainteté Le Karmapa et Bokar Rinpoché jusqu’à sa mort.
« Être en harmonie avec soi-même »
Un enfant, dans sa poussette, nous regarde avec un grand sourire. Sur l’autre rive, un cygne gambade sous un saule pleureur. Nathalie remarque les progrès accomplis en trente ans de pratique. « Je suis moins affectée par les émotions. La méditation est une méthode précieuse pour avancer sur le chemin de l’Éveil et devenir de meilleures personnes ». Elle se trouve également plus concentrée dans son travail. « Sur un tournage, il faut se faire oublier pour pouvoir saisir des moments qui n’existeront plus. » Zulawski, Miller, Dupontel, Dany Boon, Sophie Marceau, Yolande Moreau… Aucune de ces vedettes n’a échappé au regard affûté de Nathalie, qui a participé à plus de 90 films. « Mettre en lumière un personnage requiert des qualités humaines. Sur un plateau, chacun doit être en harmonie avec soi-même pour que le travail de groupe fonctionne, comme un équipage sur un bateau. » Sur ces mots, des tadornes avancent sur le lac, laissant un sillon sur l’eau.
« L’énergie suit la pensée »
Ce riche parcours de vie a mené Nathalie au reiki (voir encadré) il y a six ans. Elle est devenue « maître » dans cette pratique de soins énergétiques. « On devient un canal qui laisse passer l’énergie universelle de vie ». Les oiseaux chantent de concert au-dessus de nos têtes, Nathalie reste songeuse : « Si j’ai reçu une transmission familiale de mon arrière-grand-mère, guérisseuse, je suis convaincue que mes trente années de pratiques et d’études bouddhiques m’aident énormément à progresser dans la discipline ».
La lumière baisse, il est temps de rebrousser chemin. « À notre époque, nous avons besoin de faire des prières pour transformer la souffrance en sagesse », rapporte-t-elle. « Il y a deux lois universelles : les énergies similaires s’attirent et l’énergie suit la pensée. Il me semble que le Dalaï-Lama dit que, si la méditation était enseignée à tous les enfants âgés de huit ans, la violence disparaît du monde en une génération. » Sur cette formule, les sifflets sonnent la fermeture du bois. Nous sortons du parc, dans la foulée des joggeurs.