Dans quelle culture avez-vous grandi ?
Mes parents étaient d’origine musulmane avec une grande ouverture d’esprit et ne nous ont jamais imposé quoi que ce soit. Mon père est venu en France en 1946 et a fait carrière chez Renault. Il adorait ce pays et ses valeurs républicaines. Ma mère, arrivée en 1953 après avoir divorcé, était une « rebelle dans l’âme ». Je suis le 5e d’une fratrie de onze enfants, né avec un frère jumeau. Nous avons tous grandi à Belleville. Je ne suis allé en Kabylie qu’une seule fois.
Comment êtes-vous arrivé au bouddhisme ?
Bac en poche, après avoir passé un diplôme d’études comptable, à 21 ans, je ne trouvais pas de sens à mon existence. J’en avais assez et suis allé vivre chez des amis dans le sud de la France. Dans leur bibliothèque, je suis tombé sur Le bouddhisme du Bouddha d’Alexandra David-Néel, La Vie de Milarépa et Siddhartha de Herman Hesse. Ce fut le déclic. En juin 1982, à 24 ans, et sans aucune expérience de la méditation, porté par une immense motivation, j’ai fait ma première retraite de Vipassana.
Aviez-vous conscience de la difficulté ?
Pas du tout ! Je n’avais pas lu le règlement. Je ne savais pas que ce serait le « noble silence » et avec ma nature si bavarde, ce fut très difficile ! J’ai été le premier surpris par ma capacité à me plier aux règles. J’avais une telle soif d’avancer que j’ai joué le jeu, et petit à petit, j’ai réalisé que le bouddhisme allait devenir ma voie. Ce fut la plus grande épreuve de ma vie. J’en suis ressorti grandi et heureux.
En 1982, vous allez en Inde sur les terres de Bouddha : que vous apporte ce premier voyage ?
Parti avec des amis, j’ai quitté le groupe pour aller vivre seul dans ce haut lieu du bouddhisme à Bodh Gaya. En m’imprégnant de cette énergie si particulière et en poursuivant mes lectures, au fil des jours, tout ce que j’apprenais devenait de plus en plus clair dans mon esprit. La voie du bouddhisme me donnait les clés pour me libérer de mes souffrances. De retour en France, j’ai approfondi mon étude et ma pratique. J’ai aussi rejoint le père Guy Gilbert, un voisin de quartier rencontré en 1971, avec qui j’ai travaillé pendant un an auprès de jeunes en difficulté.
Que retenez-vous de votre expérience avec le père Gilbert ?
En le voyant mettre l’amour et la compassion au cœur de toutes ses actions, et en voyant certains jeunes sortir de leurs problèmes, j’ai réalisé combien la mise en pratique de ces valeurs pouvait changer les choses et contribuer au bonheur des êtres. Je me suis pleinement senti à ma place dans ce lieu de partage et de bienveillance.
« Beaucoup de mes amis, chrétiens, juifs ou musulmans, me voyaient si heureux qu’ils voulaient connaître mon secret ! Ils me posaient des questions, j’échangeais avec eux et cela les a aidés à comprendre que le bouddhisme est avant tout une philosophie, une façon de voir l’existence, non une religion. »
Votre pratique bouddhiste vous a-t-elle incité à rencontrer un maître ?
Pendant six ans je suivais la tradition Hinayana, mais j’allais parfois au temple tibétain de Vincennes pour des méditations collectives. Dans un premier temps, par curiosité. Mais un jour, une méditation guidée par Kalu Rinpoché m’a ouvert les yeux. J’ai compris que dans le bouddhisme, on ne peut se réaliser sans un maître et j’ai voulu en trouver un. Je suis donc allé en Inde du Sud, à Mysore, où vit une importante communauté tibétaine. Là, j’ai rencontré un Italien qui m’a présenté son maître Gheshe La Tachi-Bum, qui est devenu le mien. Je suis resté trois mois au monastère.
Qu’est-ce que cette rencontre a changé ?
Le Mahayana enseigne l’importance d’être bénéfique pour les autres êtres à travers l’action. Cela a donc pris pour moi tout son sens. Je me suis senti plus en phase avec moi-même dans cette voie, à laquelle m’avait préparé le Hinayana. C’était un cheminement naturel.
Par ailleurs, le monastère n’était pas très bien tenu et je me disais que si Bouddha voyait ce lieu, il ne serait pas content ! J’ai alors investi mes indemnités de licenciement pour aider à le remettre au propre, organiser un service de poubelles et de ramassage, améliorer l’hygiène…
Dans la foulée, vous créez à Mysore un centre dédié à l’enseignement bouddhiste et à la méditation…
J’ai commencé par organiser des conférences avec mon maître ; ça a si bien marché auprès des Indiens et des Occidentaux qu’en 1989, avec mon ami italien, nous avons monté un centre dédié à l’enseignement bouddhiste et à la méditation, sous l’autorité de Gheshe La Tachi-Bum.
J’ai également été reçu en 1993 par le Dalaï-Lama, ce fut un moment marquant pour moi.
Dans le Sud de la France où vous vivez, comment s’intègre le bouddhisme dans votre quotidien ?
La pleine conscience m’habite en permanence, que ce soit dans ma vie quotidienne ou dans ma pratique. Aimant partager autour de moi ce que le bouddhisme m’a apporté, j’ai sensibilisé bien des gens de façon informelle, sans jamais chercher à les convaincre. Beaucoup de mes amis, chrétiens, juifs ou musulmans, me voyaient si heureux qu’ils voulaient connaître mon secret ! Ils me posaient des questions, j’échangeais avec eux et cela les a aidés à comprendre que le bouddhisme est avant tout une philosophie, une façon de voir l’existence, non une religion.
Bouddhiste depuis quarante ans, avez-vous « changé » ?
Le bouddhisme a apporté des réponses à mon questionnement sur le sens de l’existence. La pratique des six vertus (les paramitas : générosité, éthique, patience, enthousiasme, concentration, sagesse) m’a libéré de certaines souffrances intérieures en me permettant de développer plus de confiance, d’estime, d’attention, d’altruisme et de compassion. Je mesure aussi maintenant combien la vie est précieuse ! Et avec près de 23 séjours en Inde, les retraites spirituelles et rencontres de maîtres m’ont permis d’intégrer des valeurs que je partage avec ma femme (disciple d’Arnaud Desjardins) et nous essayons de les transmettre à nos enfants.
Quel regard portez-vous sur l’islam ?
Mes parents m’ont inculqué le respect des anciens, la générosité, le don… Mon père allait à la mosquée tous les vendredis et observait le ramadan chaque année. Son courage, sa rigueur, sa dévotion, sa discipline, sont autant de valeurs qui m’ont inspiré et font écho à ma propre pratique spirituelle.