Adam Yauch – Beastie Boys : Le rappeur qui aimait Milarépa

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Membre des Beastie Boys, le légendaire groupe de la scène hip hop new-yorkaise dans les années 80, Adam Yauch a également été un fervent bouddhiste, partisan de la cause tibétaine et fondateur du Milarepa Fund. À l’occasion d’un documentaire de Spike Jonze sur ces pionniers du rap, diffusé le 24 avril sur Apple TV+, portrait d’un rebelle bienveillant.

Rap et Bouddha… drôle de duo. Rares sont les adeptes du chanté-parlé à verser dans les mantras. On n’imagine mal ces apôtres de la culture urbaine faire le grand écart entre chroniques des bas-fonds de la société et Voie du Bouddha. Peu le savent, mais l’un de ces rois des « battles » (concours de joutes orales) a été un bouddhiste pratiquant, plus intéressé par le dénuement de Milarepa que les kilos de joaillerie de la scène gangsta rap. Adam Yauch, alias MCA, cofondateur du trio de hip hop Beastie Boys, a créé les premières passerelles entre ces deux mondes peu habitués à méditer ensemble, mariant flow frontal (la scansion dans le jargon rap) et couplets fraternels.

Flash-back : au tout début des années 80, MCA et ses acolytes Michael « Mike D » Diamond et Adam « Ad-Rock » Horowitz glandent royalement au pied de leurs blocs de Brooklyn. Pour passer le temps, ils taquinent les instruments et décident de monter leur propre groupe, au lieu de végéter sur les bancs du lycée. Les Beastie Boys voient le jour et vont bientôt révolutionner la scène hip hop new-yorkaise, avec leurs cocktails explosifs de punk rock et de hip hop. Les guitares cinglent et assomment via des riffs rentre-dedans, la basse tonne et le flow frappe plein fer, sans manière. La patte, ou plutôt la griffe, des trois kids ? Une plume caustique et espiègle plus que révoltée, des appels hédonistes, non nihilistes, une apologie du bazar. Vivre intensément, ici et maintenant, quitte à brûler la chandelle… Les trois Bestioles rêvent du grand soir, mais toutes les nuits et jusqu’au petit matin.

Les combats de B.B.

1980, les années freak. Tandis que la scène hip hop déroule la revanche des laissés-pour-compte du rêve américain, à grand renfort de voitures décapotables, chaînes et bagues en or et de « sisters » toujours plus dévêtues, les Beastie Boys appellent à la désobéissance parentale plus que civile. Ils ne rêvent pas de changer la société, ils veulent s’amuser. S’il est une chanson qui résume parfaitement leur discours, c’est bien leur tube « (You gotta) Fight for your Right (to Party !) », tiré de leur premier album Licensed to Ill, signé chez les prestigieux label Def Jam en 1986. Battez-vous pour votre droit à faire la fête, tout est dit dans le titre. Le clip met en scène une fête de teenagers qui dégénère en orgie, les invités mettant littéralement le feu à un petit appartement bourgeois. À mille lieues de la guerre du gangsta rap, qui oppose les clans des côtes Est et Ouest, se soldant dans un bain de sang, les Beatles Boys jouent les antihéros du hip hop, quelques décennies avant les Orelsan et Big Flo & Oli. Entre provocations récréatives et pastiches rap festives, les trublions de Brooklyn prennent leur distance avec les discours haineux et les partitions misogynes de leurs confrères du micro. Sages et sales gosses tout à la fois.

« Le Dalaï-Lama est un homme incroyable, un être irradiant de compassion, comme le peuple tibétain, lui aussi résolument tourné vers les choses du cœur. »

Se divertir n’empêche pas de s’indigner. En 1994, fervents défenseurs de la cause tibétaine, les Beastie Boys samplent des chants de moines bouddhistes sur les morceaux « Shambala » et « Bodhisattva Vow » de leur 4e album, III Communication. En 1998, deux mois après les attentats d’Al-Qaïda contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, MCA rappelle à ses compatriotes, lors des MTV Awards, que tous les musulmans ne sont pas des terroristes. L’année suivante, Ad-Rock s’insurge contre les nombreux cas d’agressions sexuelles qui se multiplient durant les festivals de musique, comme lors de l’édition 1999 de Woodstock. Enfin, un mois après les attentats du 11 septembre 2001, ils organisent le concert « Les New Yorkais contre la violence » pour en finir avec le cycle de la haine. À l’image de MCA qui parle régulièrement de compassion, le discours des Beastie Boys détonne parmi tous ces rappeurs qui fantasment être les ennemis publics n°1.

MCA dans les pas de Milarepa

De père catholique et de mère de confession juive, mais non pratiquant, Adam Yauch se tourne finalement vers le bouddhisme. En bon rappeur, c’est d’abord par un clash qu’il va prendre position : en mai 1994, il crée avec l’entrepreneuse Erin Potts le Milarepa Fund, une fondation à but non lucratif qui récolte de l’argent pour le mouvement d’indépendance tibétain. Le 15 juin 1986, avec ses deux compères des Beastie Boys, il lance à San Francisco le premier Tibetan Freedom Concert, les recettes étant reversées au fonds de soutien. Beaucoup d’autres fêtes mettront à l’honneur le Toit du Monde au pays des gratte-ciels.

Ayant épousé la cause tibétaine en partie via sa femme, Dechen Wangdu, une activiste américaine d’origine tibétaine (membre des mouvements Students for a Free Tibet, U.S. Tibet Committee et Tibetan Women’s Association), Adam l’anarchiste se transforme peu à peu en Yauch le yogi. En 1995, ils assistent au discours du Dalaï-Lama à Harvard, la seule idole de celui qui déboulonna nombre de statues dans ses chansons. Lors d’une interview au magazine Rolling Stone, MCA admit qu’avant sa rencontre avec sa future épouse, il hésitait entre « devenir moine bouddhiste et fonder une famille ». Sa découverte du bouddhisme ? « Au début des années 90, je lisais beaucoup de livres sur les « Natives », les Amérindiens, mais aussi sur diverses religions. Puis je suis allé au Népal, à Katmandou, où j’ai rencontré des enseignants tibétains. Je me promenais avec eux, nous visitions des monastères, discutions avec les gens ; peu à peu, je me suis passionné pour la culture tibétaine. À mon retour aux États-Unis, j’ai assisté aux enseignements du Dalaï-Lama en Arizona, en septembre 1993 (portant notamment sur le Guide du mode de vie du Bodhisattva de Shantideva, ndlr). Le Dalaï-Lama est un homme incroyable, un être irradiant de compassion, comme le peuple tibétain, lui aussi résolument tourné vers les choses du cœur. Le bouddhisme était donc une sorte de réflexion après coup, mais qui était présente en moi, évidente », a-t-il expliqué dans une interview accordée en 1995 au Shambhala Sun magazine (qui deviendra le Lion’s Roar un an plus tard). Et d’ajouter : « Être un bodhisattva, c’est apprendre à se renforcer, faire de soi une place forte pour pouvoir aider son prochain ».

4 mai 2012, triste fête : MCA meurt après un long combat contre un cancer des glandes salivaires, à l’âge de 47 ans, mettant fin à l’aventure de ces Garçons pas si Bestiaux que ça, avec neuf albums au compteur et quarante millions d’exemplaires vendus dans le monde ! À sa mort, le porte-parole du Dalaï-Lama lui rendra un vibrant hommage : « Adam nous avait aidés à faire prendre conscience de la détresse du peuple tibétain en organisant divers concerts pour la liberté au Tibet et il restera dans les mémoires de Sa Sainteté et du peuple tibétain ».

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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