Mila Khyentsé Rinpoche : « Il est urgent d’éduquer adultes et enfants pour sauver la planète. »

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Enseignant du bouddhisme et du Dzogchen en Europe, en Asie et aux États-Unis, Mila Khyentsé Rinpoche livre sa vision de l’engagement écologique.

Quelle est la place de l’éducation pour agir dans la défense de l’environnement ?

C’est un facteur clé. Je pense à une éducation qui ne serait pas forcément dirigée en premier lieu vers les jeunes générations, souvent les plus sensibilisées par rapport à la question de l’évolution climatique, mais plutôt vers les générations antérieures. Les 40-70 ans n’ont jamais eu à penser à « tous ces problèmes » et ont peu de réflexes « naturels » en ce qui concerne les gestes importants à faire ou les réflexions essentielles à mener. Pourtant, ces générations sont à la barre du navire-monde à l’heure actuelle et doivent justement prendre les décisions cruciales qui vont décider de notre avenir à tous.

Un dernier facteur clé, corrélé au précédent, est la question de la surproduction et de la surconsommation. Nous avons créé des sociétés consuméristes qui ne peuvent tenir dans la durée. Cette surexploitation des ressources fragilise tous les écosystèmes et cela ne peut continuer ainsi sans créer un effondrement général. On parle de plus en plus de la raréfaction de toutes les ressources. Une fois taries, elles ne seront plus disponibles. Il faut donc changer nos modes de production et de consommation. C’est urgent.

Comment s’adapter dès à présent aux effets de ces changements ? Par quoi commencer, jusqu’où anticiper ?

Réaliser que la transformation de nos modes et conditions de vie est déjà en route est la première chose à faire. Cela nous permettra d’être plus souples dans notre pensée et de nous préparer à diminuer nos besoins. Nous pourrons envisager de renoncer à un certain nombre de choses et anticiper les pertes que nous vivrons immanquablement. Le bouddhisme nous enseigne à réfléchir ou méditer sur la mort, et donc à envisager le chemin qui y mène : la dégénérescence, la perte et la douleur. Lorsqu’on se pique avec une aiguille, il y a la douleur et puis, si on s’afflige, il y a la douleur de la douleur qui est une souffrance qui se surajoute à la douleur déjà présente. On souffre deux fois au lieu d’une !

« À une époque où l’entraide est une perspective salutaire, l’autre ne peut demeurer l’étranger…»

La méditation analytique proposée par le Bouddha nous apprend par exemple à observer réellement les faits et les situations, sans mêler nos réactions émotionnelles incontrôlées habituelles (catastrophisme, angoisse, peur, autodestruction…). Cela permet d’avoir des réponses appropriées, qui sont ainsi adaptées à chacun. Des organismes non gouvernementaux (pour la plupart) ont déjà des réponses sur le quoi et comment faire à un niveau individuel. Mais il ne faut pas négliger l’importance de changer nos mentalités pour pouvoir accompagner correctement l’évolution de nos conditions de vie.

L’entraide est présentée par des collapsologues comme l’une des solutions pour survivre à l’effondrement. Qu’en pensez-vous ?

Il est évident que dans un monde de plus en plus peuplé, la réflexion et l’action communes sont indispensables. Pour le Bouddha, le premier des efforts à faire est intérieur. « Avant de changer le monde, change-toi toi-même » a-t-il enseigné. Puis, réaliser que tous les êtres autour de soi souffrent exactement comme soi, est un premier pas vers une réelle ouverture à l’autre, à ses souffrances et à ses besoins. Sans cette ouverture, il est bien difficile de parler d’entraide…

De plus, il ne peut y avoir de véritables solutions pérennes sans une réelle compréhension de l’autre. Combien de fois parlons-nous à quelqu’un sans vraiment le comprendre et sans qu’il nous comprenne ? Or, l’entente respectueuse à une large échelle va être décisive pour nous aider à surmonter la crise majeure dans laquelle le monde est désormais entré. Il va nous falloir apprendre à faire des compromis, à donner sans idée de retour, à partager.

Dans une société encore très fortement teintée de réussite et de bonheur individuels, ce chemin commence par la découverte de la compassion. Grâce à elle, nous réalisons que partager les souffrances de l’autre ne nous fait pas souffrir plus, mais permet au contraire d’accepter beaucoup mieux nos propres souffrances. Et nous pouvons transformer ces souffrances en une énergie qui nous permettra de dépasser nos limites, nos peurs.

À une époque où l’entraide est une perspective salutaire, l’autre ne peut demeurer l’étranger… Dans le monde bouddhiste, c’est justement le principe d’un Sangha, d’une communauté de personnes rassemblées pour un même but : l’Éveil, la fin de toute souffrance. Je pense que c’est de cela dont le monde a besoin aujourd’hui : de constituer un réel Sangha, mû par la volonté de soulager les souffrances de cette terre et de tous les êtres qui la peuplent. Certains parlent déjà de « Green Buddhism » (bouddhisme vert). À ce propos, je conseille l’ouvrage de Stéphanie Kaza, Green Buddhism, Practice and Compassionate Action in Uncertain Times. Pourquoi ne pas parler de Green Sangha et surtout de commencer à le constituer réellement ?

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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