Méditer sur l’interdépendance

- par Henry Oudin

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Prendre conscience que les êtres et l’environnement sont dépendants les uns des autres nous invite à développer gratitude et compassion.

Manger en pleine conscience est un exercice pratiqué quotidiennement au Village des Pruniers, fondé en 1982 par le moine vietnamien Thich Nhat Hanh. Chaque année, plus d’un millier de visiteurs viennent du monde entier pour faire une retraite, seuls ou en famille, dans l’un de ses trois centres en France, en Dordogne, en Gironde ou dans le Lot-et-Garonne. Pendant les repas, pris en silence, on vous invite à prendre conscience que la nourriture que vous ingérez est un cadeau de l’univers, de la terre, du ciel, de la pluie et du soleil. C’est aussi le moment de remercier tous ceux qui ont participé à son élaboration, comme les fermiers, les marchands et les cuisiniers. Beaucoup d’énergie a été dépensée pour réaliser un plat ou même cuire un grain de riz comme le rappelle Martine Batchelor, qui a étudié et pratiqué le bouddhisme zen en Corée, à Taïwan et au Japon. « Alors que j’étais nonne en Corée, il existait une tradition monastique pendant les repas : celle de réciter un chant visant à devenir conscient de tous les efforts entrepris pour que ce grain de riz arrive jusqu’à notre assiette et nous aide par ses apports énergétiques à soutenir notre pratique. En considérant toutes les personnes qui ont œuvré pour donner corps à ce grain de riz, nous ne pouvons éprouver que de la gratitude, mais aussi nous sentir dotés d’une responsabilité. Nous devons veiller à faire bon usage de ce grain de riz et à ne pas le laisser pourrir ». Auteure de plusieurs ouvrages, elle enseigne aujourd’hui en France et ailleurs dans le monde. Elle encourage à pratiquer ce type de méditation pendant les repas.

Cet exercice, très simple, permet de voir que tout est inter-relié, « interconnecté » comme on dirait aujourd’hui. Les êtres humains sont interdépendants entre eux, tout comme les animaux, les végétaux, les minéraux, les champignons et les bactéries le sont par ce qu’on appelle la chaîne alimentaire. Non seulement, les humains sont dépendants des animaux, mais aussi les animaux des humains, les humains de l’environnement dans lequel ils évoluent, et celui-ci des humains. Et ainsi de suite. Pour décrire cette chaîne sans fin, Thich Nhat Hanh a défini le concept d’« inter-être » : « Si vous êtes poète, vous verrez clairement un nuage flotter dans cette feuille de papier. Sans nuage, il n’y aurait pas de pluie ; sans pluie, les arbres ne pousseraient pas ; et sans arbre, nous ne pourrions pas faire de papier (…) En regardant encore plus en profondeur dans cette feuille de papier, nous y voyons aussi le soleil. Sans soleil, la forêt ne pourrait pousser. En fait, rien ne pourrait pousser, nous ne pourrions pas nous développer (…) En continuant d’observer, nous découvrons également le bûcheron qui a coupé l’arbre et l’a amené à la fabrique de papier. Et nous voyons aussi le blé : nous savons que cet homme n’aurait pu vivre sans son pain quotidien. C’est pourquoi le blé qui a servi à la confection du pain, dont s’est nourri le bûcheron, est présent dans cette feuille de papier. Et le père et la mère du bûcheron y sont également. Si nous observons de cette manière, nous remarquons que, sans tous ces éléments, cette feuille de papier ne pourrait exister. En examinant encore plus profondément, nous y découvrons aussi notre présence. Ce n’est pas difficile à voir : lorsque nous regardons cette feuille, celle-ci fait partie de notre perception. Votre esprit s’y trouve et le mien aussi (…) Tout coexiste avec cette feuille de papier. »

De la vacuité à la compassion

Les quatorze entraînements à la Pleine conscience proposés aux moines, moniales et pratiquants laïcs du Village des Pruniers permettent de toucher la nature de « l’inter-être » dans tout ce qui est, et de voir que notre bonheur est étroitement lié à celui des autres. « L’inter-être » n’est pas une théorie ; c’est une réalité que chacun d’entre nous peut expérimenter directement, à tout moment de sa vie ou bien au cours d’une méditation. « En tant qu’être humain, on existe toujours en dépendance des choses qui nous permettent de survivre, qu’il s’agisse de l’air, de l’eau, de la nourriture, de médicaments ou bien même de vêtements, mais aussi en fonction du regard de l’autre. Et comme rien n’existe de manière indépendante, rien n’existe en soi. Tout commence par la vacuité », ajoute Martine Batchelor. Mais ne nous y trompons pas, le terme de vacuité est souvent mal interprété par les Occidentaux. Ainsi, Ringou Tulkou Rimpotché souligne : « Sûnyatâ ne signifie pas « vide ». C’est un mot très difficile à comprendre et à définir. C’est avec réserve que je le traduis par « vacuité ». La meilleure définition est, à mon avis, « interdépendance », ce qui signifie que toute chose dépend des autres pour exister (…) »

« Si vous êtes poète, vous verrez clairement un nuage flotter dans cette feuille de papier. Sans nuage, il n’y aurait pas de pluie ; sans pluie, les arbres ne pousseraient pas ; et sans arbre, nous ne pourrions pas faire de papier. » Thich Nhat Hanh

Dans le bouddhisme, les pratiquants dotés des plus grandes facultés commencent par établir la vue de la vacuité, puis, sachant la libération possible, ils cultivent le renoncement et l’appliquant aux autres ils éprouvent alors une grande compassion, explique pour sa part le Dalaï-Lama. Comment développer une compassion véritable et durable envers autrui ? Méditer sur l’interdépendance est sans nul doute nécessaire. « Quand on parle de compassion, elle doit être avisée, éclairée et empreinte de sagesse, explique Martine Batchelor. Tout d’abord, il n’y a pas de compassion possible si on n’est pas ouvert à l’autre et incapable de développer une relation avec lui. Il est important de se sentir en lien ou en connexion avec lui. Pour être conscient de l’autre tel qu’il est, il faut sortir de notre tendance naturelle à être autocentré. C’est seulement sous cette condition que l’on peut être capable d’accueillir la souffrance de l’autre. Mais encore faut-il ne pas se laisser submerger par elle et rester à l’écoute. Il va falloir la soulager de la façon la plus éclairée possible, par beaucoup d’amour bienveillant ».

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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