Marion Chaygneaud-Dupuy : l’alpiniste altruiste qui nettoie les sommets de l’Himalaya

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Française installée à Lhassa depuis dix-huit ans, Marion Chaygneaud-Dupuy est lauréate du Prix Terre de Femmes 2019 pour son action de nettoyage de l’Everest. En trois ans, elle a permis l’évacuation de 8,5 tonnes de déchets, soit trois quarts de la quantité accumulée en haute altitude. Après des études de bouddhisme dans la région de Darjeeling auprès de Bokar Rinpoché, un maître tibétain originaire d’une région de nomades, Marion est devenue alpiniste écoresponsable. L’enseignement de Bokar Rinpoche prônant l’intégration de la méditation dans la vie quotidienne, Marion a décidé d’entreprendre avec sa fondation Highland Initiatives le nettoyage des hauts sommets (opération Clean Everest) pour préserver des dangers de pollution les populations himalayennes.

Vous portez deux projets qui se rejoignent : une sensibilisation de la vision tibétaine de la montagne et l’évacuation des déchets de l’Everest afin d’enrayer la pollution himalayenne. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je suis guide de trekking sur les sentiers du Tibet depuis vingt ans, alpiniste sur les plus hauts sommets himalayens et je gravis aujourd’hui des sommets de plus de 6000 mètres jusqu’à l’Everest. Après avoir reçu un enseignement bouddhiste axé sur l’altruisme au quotidien, à l’Université de Lhassa, l’idée m’est venue, en grimpant, de nettoyer les sommets.

À quelle altitude avez-vous remarqué l’accumulation de déchets ? Et à partir de quelle altitude l’escalade devient-elle difficile ?

De 6000 mètres jusqu’aux glaciers, à la frontière entre les roches et la neige éternelle, l’escalade devient ardue, mais on trouve des déchets jusqu’au sommet. Plus on monte, moins il y a de déchets, car les passages se raréfient, et on ne reste au sommet de l’Everest qu’une heure au maximum à cause du manque d’oxygène. À partir de 7000 mètres, certains alpinistes commencent à prendre de l’oxygène. À Lhassa, à 3650 mètres d’altitude, l’adaptation est déjà difficile pour les étrangers ; à 5000, cela devient un vrai défi. La réelle difficulté d’acclimatation survient à partir de 7000 mètres : on marche au ralenti, chaque effort compte, l’organisme s’autorégule progressivement. Le Tibet, par sa multitude de glaciers, est le terrain de jeu des alpinistes ; nous traitons donc des zones jusqu’à 8000 mètres, les yaks redescendant les déchets au camp de base.

Les Tibétains et les Népalais ont-ils une meilleure résistance à l’altitude ? La montagne représente-t-elle un territoire sacré pour eux, la dépollution des sites une action positive pour le karma ?

Étant nés dans ces régions de haute altitude, ils ont une faculté d’adaptation inscrite dans leurs gènes et une meilleure capacité à l’autorégulation. La montagne représente une terre sacrée pour les Tibétains comme pour les Népalais, le lieu de résidence des déesses protectrices de la terre et des êtres vivants. Le sommet du monde symbolise une présence bienveillante aussi bien dans la vie spirituelle que dans la vie matérielle, notamment grâce à l’impact économique de l’industrie de la montagne. C’est pourquoi, recevant sa protection, nous nous devons de la garder propre. 

Mais les grimpeurs continuent de laisser des déchets. Quelle est votre action pour enrayer ce processus ?

Nous faisons de la prévention et de la médiation culturelle lors des expéditions, en transmettant la perception tibétaine de la montagne aux étrangers. Les locaux deviennent ainsi les ambassadeurs de leur vision et se réapproprient leur responsabilité par la mise en place d’un système d’évacuation des déchets et de zones de dépôt adaptées. Auparavant, il n’y avait aucun dispositif pour redescendre les déchets, comme les yaks, coûteux et exigeant un budget spécifique. C’est une action que j’ai initiée, avec l’implication du gouvernement local.

Comment les Tibétains réagissent-ils à la pollution himalayenne et sur son impact sur la montagne ?

En mettant en place la gestion de dispositifs des déchets et l’information au grand public, pour que la pollution de l’Everest ne reste pas un cas isolé et que ce modèle soit applicable à tous les sommets de l’Himalaya, notamment ceux où se trouvent les sites sacrés fréquentés par les pèlerins circulant autour des montagnes, et où l’on trouve des cannettes, des bouteilles en verre, des sachets en plastique… La pollution des glaciers contamine l’eau de tous les bassins fluviaux, de l’Inde à la Chine. Les grimpeurs, des États-Unis, de Russie, de la Suisse, la Chine, du Japon, représentent 300 personnes par an sur la face nord de l’Everest.

Avez-vous l’intention d’étendre votre action à tout l’Himalaya ?

Oui, en multipliant les actions de sensibilisation et de médiatisation, à festonation de la Chine et de l’international. Il existe aussi un projet artistique de recyclage des déchets provenant de 7000 mètres d’altitude, ramenés à Lhassa au Musée de la Montagne, pour être transformés en installations d’art contemporain. Ainsi qu’une ligne de vêtements tibétains fabriqués en déchets et créée par les étudiants afin de mobiliser l’attention des jeunes. Une initiative menée en collaboration avec le département de la mode de l’Université du Tibet.

Cette entreprise de nettoyage pourvoit donc des emplois aux communautés locales ?

Oui et cela est très lucratif : une expédition sur l’Everest coûte 60 000 dollars et entraîne une mobilisation locale.

Êtes-vous installée à Lhassa ?

Oui, car je souhaite y créer, selon le souhait de mon maître, un  Institut des Nomades qui valorise leurs connaissances traditionnelles et leur relation à la nature. Leurs savoirs dans le domaine de l’écologie seront validés par des scientifiques afin de perpétuer leurs activités économiques et qu’ils continuent d’habiter leurs territoires plus confortablement. C’est un projet qui combine sagesse, économie et écologie. L’institut est en cours de construction dans le nord du Tibet, sur le plateau où ils vivent, à 4500 mètres d’altitude.

« La montagne représente une terre sacrée pour les Tibétains comme pour les Népalais, le lieu de résidence des déesses protectrices de la terre et des êtres vivants. »

Nous y démarrons un recueil de leurs savoirs ancestraux, que nous faisons valider par les scientifiques chinois et étrangers. Le projet, cautionné par Pékin, permettra de préserver l’écosystème tibétain, en attribuant aux nomades leur statut de gardiens de l’environnement, ce qui aura un impact déterminant sur la préservation de leurs modes de vie. Car les plus grands fleuves d’Asie prennent leur source dans cette région, dont trois milliards d’habitants dépendent en approvisionnement d’eau. Les cultures tibétaines portent en elles cette éco-conscience, le mode de vie nomade étant respectueux des liens entre l’homme et la nature.

L’éco-conscience des nomades est-elle liée à une approche globale ?

En effet, car ils savent qu’agissant ainsi, la nature prendra soin d’eux. Le Musée de la Montagne à Lhassa représente un zoom sur une géographie sacrée propre au Tibet et la vision bouddhiste de la montagne comme demeure des divinités protectrices de la Terre.

Que représente l’alpinisme pour vous ?

Le dépassement de soi. La détermination permet d’aborder tous les défis de la vie avec responsabilité, une capacité à aller au-delà avec un esprit entreprenant, qui permet de cultiver sa force et de transformer les difficultés. C’est l’enseignement que j’ai reçu.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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