Marc de Smedt : « La méditation est un patrimoine culturel mondial. »

- par Henry Oudin

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Éditeur et écrivain, Marc de Smedt est un grand connaisseur des techniques de méditation à travers le monde et l’histoire. Son tout dernier ouvrage, Les racines de la méditation et des pratiques d’éveil (Albin Michel, préface de Christophe André), est une plongée passionnante dans les différentes traditions spirituelles et religieuses des civilisations humaines, dont l’auteur souligne in fine ce point commun : toutes, sans exception, ont développé des formes de méditation. Pourquoi, comment et à quelle fin ? Entretien.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux « racines » des traditions méditatives ?

J’ai voulu montrer leur universalité.  Les mystiques du monde entier se sont toujours intéressés aux mystères de nos vies : d’où venons-nous, que faisons-nous ici, qu’est-ce qui se cache derrière notre existence et dans notre esprit ? Toutes ces questions constituent le fondement de la quête du sacré. Mon idée était de montrer qu’il y a une démarche commune dans toutes les spiritualités : cette volonté de retrouver quelque chose en soi de plus profond, qui serait « en dehors » ou « derrière » notre fonctionnement habituel – ce « pas de côté » cher aux Chinois. Dès les années 70, en fréquentant l’Orient où j’ai beaucoup voyagé, je me suis rendu compte que ses philosophies se trouvaient basées sur des techniques : le yoga, le tai chi, le qi gong, le zazen, etc. J’ai donc voulu aussi savoir quelles étaient les pratiques occidentales.

En filigrane, il y a cette idée que la méditation serait plus identifiée et visible dans les traditions orientales que dans les monothéismes occidentaux ?

Tout à fait. Pourtant, il y a des choses similaires – bien que très différentes – dans cette recherche d’un au-delà de Soi. Cela prend des formes très concrètes, avec les danses extatiques des derviches ou les chants soufis de la mystique musulmane ; avec la libération des « nœuds du corps » qu’évoque tout un courant du judaïsme ; à travers l’exemple des ermites du désert d’Égypte au IVe siècle qui luttaient contre les passions de l’âme ou ceux de la mystique rhénane ainsi que celui des béguines, ces femmes laïques qui se retiraient dans le silence et la solitude pour retrouver la quiétude en elles-mêmes dans le christianisme… Mon objectif était de montrer qu’il s’agit au fond d’une quête universelle. Je me suis donc intéressé à cette importante partie du patrimoine culturel mondial. J’ai mené ce travail dans une approche œcuménique : les esprits de chapelle et les dogmatismes m’ont toujours horrifié. Ce qui m’intéresse, ce sont les trésors spirituels, et il y en a partout. Mieux, ils s’enrichissent et se nourrissent mutuellement !

Y a-t-il des points communs qui unissent tous ces courants dans leur pratique de la méditation ?

Le silence. Le dénominateur commun, c’est la quête du silence. Absolument tous les mystiques de toutes les traditions parlent de ce silence à retrouver en Soi, qui permet en quelque sorte – même s’il est fugace – d’ouvrir une porte vers un autre univers, à l’intérieur de nous. Face aux préoccupations qui nous encombrent, nos angoisses, nos émotions, les voies mystiques cherchent, de différentes façons, à nous apprendre à retrouver le silence qui est en nous.

Dans une autre mesure, il y a aussi le jeûne, qui est une vraie forme de méditation de par la rupture qu’il opère avec notre fonctionnement habituel. Le fait de se priver de nourriture permet une épuration importante du corps et de l’esprit : toutes les pulsions de faim s’apaisent pour nous mener ensuite vers une sorte de grand calme intérieur. Toutes les traditions préconisent des formes de jeûne : il y a le carême ou le ramadan que l’on connaît bien, mais on retrouve aussi ces pratiques dans les retraites zen ou dans les austérités de l’hindouisme.

La méditation, sous toutes ses formes, amène à épurer notre regard et à voir les choses autrement. C’est ainsi qu’au VIe siècle, Huineng, le sixième patriarche chinois, définissait la méditation : comme une création à la fois de « calme intérieur » et d’une « vision pénétrante ».

De quand datent les premières formes de méditation reconnues dans l’histoire ?

La plus ancienne représentation de yogi daterait de 2500 ans avant J.-C., sur des sceaux gravés à Mohenjo-daro, un site historique de la vallée de l’Indus au Pakistan – on y verrait des méditants en lotus. Toutes les peintures rupestres, partout dans le monde, les pierres dressées comme les monuments en cercle qu’on a pu trouver dans l’archéologie des civilisations font état de ce genre de quête. Je crois que l’esprit de la méditation est antérieur à la prière : avant de chanter, invoquer, prier, il faut pouvoir s’arrêter, ce qui est le fondement même de l’acte de méditer. Il y a cette phrase magnifique de Maître Eckhart au XVe siècle : le fond de Dieu et le fond de l’âme ont le même fond ! Et pour l’atteindre, il faut se mettre en état de silence. Maître Deshimaru disait que la méditation est un « vacuum cleaner », un « nettoyage par le vide ». Et, en effet, à partir du moment où l’on arrive à se concentrer grâce à la respiration et l’immobilité, cet acte nous permet de nous éveiller à une tout autre réalité, plus vaste, en nous et en dehors de nous.

Le bouddhisme est d’ailleurs né d’une méditation, d’une certaine manière.

L’histoire de Bouddha est très belle : quand il a quitté sa vie de prince, il a essayé plein de techniques différentes, puis il s’est simplement assis sur un coussin d’herbes, en lotus sous l’arbre de la Bodhi, jusqu’à ce qu’il trouve l’Éveil. En effet, on peut considérer que le bouddhisme naît d’une longue méditation.

« Face aux préoccupations qui nous encombrent, nos angoisses, nos émotions, les voies mystiques cherchent, de différentes façons, à nous apprendre à retrouver le silence qui est en nous. »

Ce que j’aime dans le bouddhisme, c’est ce côté « Voie du milieu », cette façon de toujours continuer à chercher la vérité tout en s’accommodant des contraires et en avançant sur le chemin, avec une volonté sans faille… C’est une bonne incarnation de ce célèbre kôan zen qui dit : « La Voie est sous nos pieds ».

Diriez-vous, comme Christophe André dans la préface de votre ouvrage, que la méditation doit aujourd’hui devenir une sorte de « mouvement social » ?

Elle est déjà en train de le devenir, comme le yoga s’est imposé lui-même un vrai phénomène de société. Beaucoup de choses ont changé avec les recherches scientifiques sur la méditation, l’essor de la pleine conscience, etc. Le fait que tout ça se laïcise me paraît important, en tout cas, je l’ai vécu avec bonheur. Qu’on puisse faire de la méditation ou du yoga en jogging, non obligatoirement avec un kimono, que cela cesse d’être quelque chose d’ésotérique ou d’exotique, c’est super ! Parce que cela rend la chose plus accessible, les gens peuvent venir comme ils veulent… Mais je respecte aussi les rituels religieux, ainsi que ceux qui en ont l’envie et le besoin.

Mais cette ouverture au plus grand monde n’a-t-elle pas dilué certaines notions importantes de la méditation, comme l’effort ou l’intention altruiste par exemple ?

Oui et non. Comme le dit la dernière phrase du Sutra de la grande sagesse, la méditation consiste à aller « au-delà du par-delà ». Si on y entre de manière sérieuse – et non parce que c’est une tendance à la mode -, on ira forcément plus loin et, en découvrant ses effets, on essaiera d’approfondir. Cette pratique est une écosophie, une façon de gérer la sagesse en soi. Bien sûr, il peut y avoir des dérives, cela peut aujourd’hui représenter un certain marché, certains viennent y chercher une volonté de « surhumanité » qui est dangereuse en soi… Mais je crois trop aux vertus de la méditation pour qui la pratique correctement. Huineng a encore dit : « Dans le calme existe la sagesse. Dans la sagesse existe le calme ».

Vous appréciez particulièrement la méditation assise et celle marchée, le « kinhin » : pourquoi ?

J’ai essayé beaucoup de techniques, mais le jour où je suis entré dans le dojo zen de Maître Deshimaru, il s’est passé quelque chose qui m’a tout de suite parlé. C’est une histoire de goût, c’est propre à chacun. Ce qui me plaît, c’est ce formidable travail sur la respiration centrée sur l’expiration profonde. Il faut faire descendre le souffle dans nos intestins, sous le nombril, dans ce que les Japonais appellent le « hara », qu’on définit aujourd’hui comme le troisième cerveau. Cela crée un travail de nettoyage tout à fait étonnant. On va au fond, jusqu’au bout du souffle, on inspire naturellement et on continue ainsi, centré sur une respiration consciente. Et tout d’un coup, il se passe un processus qui nous permet de devenir spectateurs plutôt qu’acteurs. Et c’est le grand ego, le meilleur de moi-même, le Moi vaste, qui regarde alors le petit ego, tout mesquin, assoiffé, menteur, préoccupé, futile, obsédé… C’est très fort, car le petit Moi est mis à distance, il n’occupe plus toute la place. Maître Deshimaru résume cela d’une jolie formule : « Il faut guérir l’esprit, mais cette guérison passe par le corps ».

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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