Maître Taïkan Jyoji Partie 2 : « Le kyudo ne se réduit pas à du tir à l’arc, c’est une méditation, un long cheminement conduisant à une élévation de la conscience. »

- par Henry Oudin

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À travers le kyudo, la « voie de l’arc », le moine zen enseigne aux pratiquants à viser autre chose qu’une simple cible. Ou comment trouver sa nature profonde sans suivre la flèche.

Qu’est-ce que le kyudo, cet art martial japonais qui permettrait de développer le lâcher-prise ?

Cette formule de lâcher-prise ne convient pas, car si vous vous vous efforcez d’arriver à ce fameux lâcher-prise, c’est que vous êtes de facto dans un attachement. En somme, vous faites l’extrême inverse de votre objectif qui est de lâcher-prise.

Le kyudo a un côté pratique, car il requiert tout un enchaînement – élever l’arc, pivoter en direction de la cible, ouvrir l’arc, etc. Or, à un moment donné, il faut libérer l’arc. On libère quelque chose, et malgré ce que l’on pense, ce n’est pas nous, mais l’arc qui décoche la flèche. L’idée étant qu’en libérant quelque chose, on se libère soi-même. Là, on peut parler de lâcher-prise, une expression qui s’écrit en japonais par un idéogramme signifiant « la libération intervient ». La voie du kyudo demande une technique traditionnelle ancestrale, un art du décocher, ce n’est pas du simple tir à l’arc. Le kyudo ne se réduit pas au maniement de l’arc et de la flèche, c’est une méditation, un long cheminement conduisant à un mûrissement de l’individu, à une élévation de la conscience.

Quelle est la part du souffle dans cette discipline ? À ce sujet, vous détournez la citation de Descartes en disant : « Je respire, donc je suis ». Pouvez-vous détailler ?

La respiration, c’est la vie. Or, nous ne savons pas faire cette chose primordiale. Le fait que cela soit automatique fait que nous ne sommes pas conscients de nos respirations. Nous mangeons, nous buvons volontairement ; respirer, non. Or, aucune école ne nous l’enseigne ! Prenez la Grèce, la patrie de la philosophie : aucun des philosophes de l’Antiquité n’a évoqué l’importance de la respiration. Par contre, dans les spiritualités asiatiques comme le confucianisme, le bouddhisme, le taoïsme ou l’hindouisme, les exercices respiratoires ont toujours existé.

« Le zen est libérateur, mais c’est une tradition qui n’a rien de facile. Cette voie exige de faire les efforts nécessaires pour arriver à défoncer son ego. »

Le kyudo implique aussi une attention à la respiration, car – contrairement au kendo et au judo qui demandent de la fulgurance – il requiert un enchaînement gestuel très lent qui nécessite justement de travailler la respiration. C’est un art martial qui permet véritablement de synchroniser l’exécution gestuelle et la respiration.

Comme dans le hitsuzendo (calligraphie ou « Voie du pinceau zen ») que vous pratiquez également, vise-t-on là le geste juste, le zanshin ?

Les Occidentaux se gargarisent de cette notion sans savoir ce que c’est vraiment. Rappelons qu’il s’agit là d’une exécution gestuelle plus que d’une connaissance intellectuelle. Savoir avec sa tête ce qu’est zanshin ne permet pas d’arriver à zanshin. Il intervient suite à une série d’exécution de gestes en harmonie avec ses respirations.

En quoi la notion d’« effort juste » que vous enseignez rentre-t-elle en compte dans la pratique du kyudo ?

À travers l’enchaînement de gestes extrêmement précis, le kyudo développe une forme d’enracinement dans l’instant présent. Le seul moment qui existe vraiment, que l’on peut vivre globalement de tout son être, c’est maintenant ! Après, on passe à autre chose, et avant, on était dans autre chose. Si vous pensez à ce que vous ferez après, vous vivez autre chose, dans vos pensées, dans une parenthèse qui n’existe pas encore. Finalement, on peut dire qu’être dans l’effort juste, c’est être dans l’instant présent, même s’il change tout le temps. Cela exige une certaine pratique et une discipline, à l’image du kyudo, du hitsuzendo ou de zazen, car l’effort n’a pas de sens si on le sépare de son but, de l’objectif qu’on veut atteindre. C’est un choix personnel, un dépassement de soi-même, qui implique inévitablement des moments difficiles et des souffrances.

En 1975, votre maître Yamada Mumon Roshi vous demande d’enseigner à votre tour, en vous disant : « Maintenant que le sabre est aiguisé, il va falloir continuer à l’affûter ». Vous sentiez-vous prêt ?

J’ai trouvé un peu bizarre qu’il estime que mon expérience était suffisamment profonde pour que je puisse enseigner aux autres ce qu’il m’avait appris, parce que j’avais l’impression d’avoir encore beaucoup de travail. C’est là qu’il a rajouté : « Il va falloir continuer à l’affûter ». Effectivement, on aiguise d’abord un sabre puis on l’affûte de manière à ce qu’il coupe comme un rasoir. En l’occurrence, affûter, c’est affiner son expérience au fil des ans.

Cela fait plus de trente ans que vous enseignez le zen à la Falaise Verte. Avec le recul, quel est le message fondamental du bouddhisme à vos yeux ?

Bodhidharma, le fondateur du zen, est arrivé au Ve siècle en Chine, mille ans après le Bouddha. Il a exprimé en quatre lignes les fondements du zen et a précisé, dès la première, que la seule raison pour laquelle on pratique le zen, c’est pour réaliser sa nature profonde. Encore faut-il le vouloir ! Et, le point fondamental à mes yeux, cela que cela se fait par zazen, c’est-à-dire assis les jambes croisées et en se concentrant sur ses respirations. Il n’y a pas de zen sans zazen.

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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