Maître Banane De la BD satirique au bouddhisme zen

- par Henry Oudin

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Éditeur, graphiste, illustrateur, dessinateur de BD, Christian « Kokon » Gaudin, alias Maître Banane, a découvert le Zen sur le tard. Après une vie dédiée à la culture psychédélique et à la BD humoristique, cet artiste résolument hors cases a pris des vœux de bodhisattva, avec pour credo : blagues et bouddhisme font bon ménage.

À quel moment avez-vous découvert le bouddhisme ?

À l’âge de quarante ans, au moment où je me suis remis au dessin. À cette époque, j’étais très épris d’une amie bouddhiste qui suivait la tradition Zen Soto ; quand elle revenait du dojo, où Roland Rech (1) animait des séances de méditation, son visage était transformé ! Cela m’a interpellé, d’autant que ce mode de vie était à l’opposé du mien : je travaillais dans l’édition de bandes dessinées transgressives. Ce qu’elle me disait des enseignements zen rejoignait certaines de mes interrogations sur le sens de la vie et la nature de la réalité.

Ce qui m’a bluffé dès le début, c’est qu’outre la compassion, il y avait de l’humour dans la manière de dispenser cet enseignement. Rien à voir avec les mauvais souvenirs que je gardais de mon éducation chez les pères, dont les actes n’étaient pas toujours conformes à leurs sermons. À mes yeux, l’humour est l’arme suprême contre les vicissitudes de la vie et de l’ego. À ce moment-là, j’ai eu l’idée de raconter cet univers du Zen en dessin, à travers des petits chats fort sympathiques. J’ai commencé à pratiquer et au bout d’un an, j’ai pris les vœux de bodhisattva ; j’ai reçu mon rakusu (2) et mon nom bouddhique, « Kokon », qui signifie « Racine de l’Éveil », donné par Roland Rech pour m’inciter à m’enraciner dans le réel au lieu de fumer du cannabis. À l’époque, mon ego couinait de ne pas être un « Dragon de la Voie » ou une « Montagne de Sagesse », mais maintenant j’adore la sonorité « clown » de mon nom ! (rire)

Qu’est-ce qui vous a parlé dans cette école du Zen Soto ?

J’ai côtoyé beaucoup de pratiquants d’autres traditions, mais j’ai retrouvé dans cette école un état d’esprit en résonance avec mon côté un peu anarchiste. – Dans le Zen, nous sommes habitués à la représentation du Bodhidharma avec ses sourcils broussailleux, mais il y a une autre figure extrêmement célèbre, surtout en Asie, c’est Hotei, le moine rieur avec son gros ventre à l’air, dont les statues décorent nombre de restaurants. Il est devenu le Bouddha du bonheur en quelque sorte. C’est cet aspect-là que je mets en lumière dans mes livres et mes conférences. J’y évoque souvent cet épisode fondateur du bouddhisme où des disciples rassemblés au Pic des Vautours demandent au Bouddha de leur résumer son message. Celui-ci prend alors une fleur d’un bouquet qu’on lui a offert et la fait tourner en silence. Personne ne comprend rien, sauf son plus proche disciple, Mahakashyapa, qui sourit. Bouddha dit alors : « J’ai transmis à Mahakashyapa mon trésor le plus précieux ». C’est le début du Mahayana. Une école qui débute sur un sourire, voilà qui me plaît énormément !

Qu’est-ce qui, d’emblée, vous a séduit dans cette spiritualité ?

Ce qui m’a la plus étonné et attiré au début, c’est cette possibilité que donne la méditation de se rencontrer soi-même. À partir du moment où tu réussis à rester concentré sur ce que produit ton esprit, tu découvres énormément de choses et quelques surprises ! Comme lorsque tu es traversé, perturbé, par une même obsession qui revient sans cesse, et que tu acceptes enfin de l’accueillir et que cela t’en libère. La méditation me donne une perception plus fine, plus poussée, de ce qu’est l’existence, de la manière dont les informations sont traitées, codées par le cerveau. C’est bien plus complet et moins fatigant que les diverses expériences que j’ai vécues plus jeune en testant certaines drogues psychédéliques.

En tant qu’éditeur et dessinateur, vous avez créé une œuvre corrosive, autour des thématiques du sexe et du cannabis notamment, à mille lieues de la sagesse bouddhiste. Pourquoi ce virage spirituel ?

Ce que je trouve intéressant dans le Zen, c’est la liberté malgré une forme souvent sévère et rigide. J’ai trouvé dans le Zen une réponse à mes illusions, mes addictions, et beaucoup de compassion… Ce qui m’intéresse dans cette pratique qui éclaire mes zones d’ombre, c’est de faire en sorte de me transformer, de mieux m’accompagner et de me réaliser au-delà de mes peurs. Je n’ai pas fait une croix sur mon ancienne vie, j’ai encore un côté gros bébé qui tète (rire), mais je chemine et je n’oublie pas que dans les préceptes que tu intègres quand tu deviens bodhisattva, il y a celui de ne pas s’intoxiquer.

Vous animez régulièrement des conférences sur le Zen, notamment sur le thème « Rire et Méditation, Humour et Spiritualité ». Peut-on rire de tout dans le bouddhisme ?

Je le crois profondément et pas uniquement dans le bouddhisme, dans tout ! Il existe beaucoup d’exemples de grands maîtres qui utilisent l’humour dans leurs enseignements, le plus proche de nous étant Maître Deshimaru, réputé comme étant très fort et très drôle. Par exemple, dans mon dernier livre, Tweets Zen (3), je rends hommage de manière un peu irrévérencieuse à la grande sagesse zen et aussi à Sengai, un grand moine japonais célèbre pour ses haïkus et dessins humoristiques, en mettant en scène Shakyamini Booba, un maître zen de banlieue qui traduit le Dharma en argot des cités. Tout en précisant que je ne fais pas de dessins pour choquer, mais pour amuser les lecteurs et transmettre ma vision du bouddhisme par le biais de l’humour. Avec mes guides pour chats zen, je suis sur un registre plus mignon, c’est gentiment décalé, alors qu’avec Shakyamini Booba, je me permets plus de digressions et de transgressions. L’humour, même vulgaire et argotique, permet de prendre de la distance, ce qui rejoint le message du bouddhisme.

Qu’est-ce que le bouddhisme a changé dans votre vie ?

Le bouddhisme m’a permis de comprendre certaines de mes obsessions et addictions. Je vis de manière plus sereine tous les pépins qui me tombent dessus et je prends la vie comme elle vient. J’ai une sensation beaucoup plus fluide, harmonieuse, de la vie, du temps qui passe, de ce temps qui est si petit et ces montagnes si grandes, bref je suis plus en lien avec ma sensibilité et le réel, ce qui m’aide précieusement dans mon travail et ma vie. Le Zen m’a appris à goûter l’impermanence, je ne me refuse plus le droit de réussir et d’échouer, car le bouddhisme m’a aidé à m’accepter et j’ai pu ressortir mes feutres et mes pinceaux.

« Une école qui débute sur un sourire, voilà qui me plaît énormément ! »

Plus prosaïquement, le karma généré par ma pratique fun, en particulier avec la Butsu Zen Zone, m’a permis de rencontrer des hommes et des femmes remarquables, de devenir ami avec les maîtres zen de notre temps, de prendre goût à faire des conférences sur le Zen et même de gagner un séjour au Japon pour faire le pèlerinage bouddhiste Henro de Shikoku en mode VIP lors d’un concours de blogueurs à la Japan Expo ! On pourrait dire que la pratique du Zen contribue à me garder du bon côté de la gouttière. (rire)

Aujourd’hui, vous appliquez une méthode d’enseignement du dessin dite du « cerveau droit », qui vous permet, dites-vous, de faire abstraction de vos a priori sur vos représentations du réel. En quoi consiste-t-elle ?

C’est une technique que j’ai découverte dans le livre Drawing with the rigth side of the brain de Betty Edwards, qui a été indispensable à ma renaissance graphique. L’un des chapitres s’intitule « Le Zen du dessin ». L’idée : chaque être humain a la faculté de dessiner de manière très réaliste et puissante, mais à partir de la fin de l’enfance, il se bricole une sorte d’alphabet stylistique qui fait écran à ses capacités originelles. Cet alphabet est créé par notre cerveau gauche, celui de la logique, de la parole, etc. Cette méthode vise à faire lâcher cet hémisphère dominant en faisant des exercices qu’il ne va pas supporter. Par exemple : dessiner le contour de sa main, c’est-à-dire le vide qui l’entoure, sans regarder sa feuille et en crayonnant chaque millimètre selon le parcours de l’œil sur la main. Le cerveau gauche déteste ça car il s’ennuie rapidement ! Dès qu’il lâche, l’hémisphère droit, qui est plus holistique, plus créatif, prend le relais et développe sa puissance. C’est véritablement un éveil immédiat au dessin et j’anime depuis 25 ans des week-end ou des stages d’apprentissage immédiat au dessin réaliste avec cette méthode. À mes yeux, cet état mental associé au cerveau droit n’est pas sans rapport avec l’état de conscience profonde de zazen, que l’on appelle « Hishiryo ». Le zazen comme le dessin sont des pratiques qui révèlent énormément de choses sur notre esprit et nous permettent de le transformer

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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