Dans le bouddhisme, la notion de karma est fondamentale, mais elle est aussi fort complexe. En résumé, la moindre de nos activités, sur les plans physique, oral et mental, laisse des traces, ou encore des potentialités en notre esprit. Certaines d’entre elles sont appelées karmas. Véhiculées par notre esprit, les potentialités peuvent passer d’une vie à une autre, jusqu’à ce qu’elles rencontrent les conditions favorables pour donner des résultats, par exemple sous forme de naissances, de tendances ou autres. En voici une illustration avec l’histoire du Pandit Sthiramati.
Vers le milieu du IVe siècle, quelque part en Inde du Sud, un père de famille dénommé Coudra est ébahi quand il entend son fils nouveau-né lui lancer : « Où est mon Maître ? »
– Qui est ton Maître ? demande en retour Coudra, qui, s’il est stupéfait de la précocité de sa progéniture, admet la réincarnation comme bon nombre d’Indiens.
– Vasubandhu, répond le jeune Sthiramati.
Suite à cet événement inhabituel même en Inde, en père attentionné désireux de satisfaire son fils, Coudra interroge inlassablement tous les marchands itinérants qui parcourent le pays et passent par son village. À défaut de journaux et d’annuaires, ils constituent les meilleures sources de renseignements accessibles à l’époque. Un jour, un marchand lui répond qu’il a entendu parler d’un certain Vasubandhu dans le centre de l’Inde, un grand philosophe, d’autant plus vénérable qu’il est assez âgé. Coudra sait que son fils possède des capacités exceptionnelles et désire plus que tout retrouver son maître bien-aimé. Pour lui, c’est normal et légitime. Il est même très fier de sa progéniture.
Quand l’élève se révèle
Sans hâte excessive, mais sans perdre de temps, Coudra prépare minutieusement l’expédition. Enfin vient le moment tant attendu. Le garçonnet étant assez grand pour entreprendre le voyage, le père et le fils se mettent en route. Le trajet est long et périlleux, les indications du marchand des plus vagues, mais leur persévérance est récompensée quand ils se retrouvent en présence du fameux Vasubandhu. Le maître leur réserve un accueil chaleureux et leur expose les débuts de leur histoire commune.
À nouveau, Coudra n’en croit pas ses oreilles. Il s’entend dire que, dans sa vie précédente, son fils Sthiramati était… un pigeon ! Et ce pigeon avait élu domicile dans la frondaison d’un arbre. Quoi de plus normal pour un oiseau, direz-vous ? Oui, sauf que c’était l’arbre sous lequel Vasubandhu avait coutume de s’installer quand il récitait les innombrables textes qu’il avait mémorisés. Et le maître de leur raconter qu’il s’immergeait alors dans un baquet empli d’huile tiède, remède très efficace pour éviter les tensions nerveuses. Perché sur une branche au-dessus de lui, le pigeon somnolait en général paisiblement.
Sthiramati le pigeon avait élu domicile dans l’arbre sous lequel Vasubandhu avait coutume de s’installer pour psalmodier des ouvrages de l’Abhidharma.
C’est ainsi que plusieurs jours de suite, sans y prêter attention, il avait entendu le moine psalmodier des ouvrages de l’Abdhidharma, qui traitent de sujets très divers comme la cosmogonie ou la métaphysique. Peu de temps après, le pigeon mourut. Comme le veut le cycle des existences, il reprit naissance sous une forme nettement plus favorable, en tant qu’humain. Et c’est ainsi qu’il devint le fils de Coudra. On comprend mieux pourquoi à peine né, son premier réflexe fut de réclamer Vasubandhu.
Le Maître ayant donné son accord pour assurer l’éducation et l’instruction du jeune Sthiramati, après s’être reposé, Coudra s’en retourne chez lui pleinement rassuré : il sait qu’il laisse son fils entre de bonnes mains. Formé avec rigueur et bonté par le vieux pandit, Sthiramati devient à son tour un philosophe érudit, célèbre pour avoir surpassé les connaissances de son maître en… Abhidharma !
Voilà qui devrait redonner courage à ceux de nos contemporains qui rêvent d’apprendre une langue étrangère en dormant. Et nous inciter à filtrer un peu mieux les informations sonores qui inondent, jour et nuit, nos enfants et nous-mêmes. Cela n’est peut-être pas aussi anodin que nous l’imaginons