Le miracle de l’impermanence

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Si, pour la plupart d’entre nous, cette notion peut prendre un visage tragique, elle a l’avantage de nous ramener au moment présent et de nous faire apprécier pleinement ce qui est là.

Quatre grandes rencontres ont donné envie au prince Siddhartha de quitter le palais où son père, voulant le protéger de la réalité du monde, l’avait confiné depuis l’enfance. La première a eu lieu avec un vieillard ridé et édenté, aux cheveux blancs, courbé sur sa canne. « Tous les êtres vieillissent de la sorte, la jeunesse ne dure qu’un temps puis le corps s’use », lui explique alors son cocher. La seconde a eu lieu avec un homme affaibli et fiévreux, le corps couvert de pustules, jeté à la rue par sa famille. « C’est un malade et il existe bien d’autres maladies ! Personne n’est épargné, dit le cocher. Avoir un corps amène inévitablement à éprouver un jour ou l’autre la maladie. » La troisième a eu lieu avec un cortège funèbre. « Ces personnes, lui explique le cocher, pleurent parce qu’elles ne reverront jamais celui qui est parti. Tous les êtres qui peuplent l’univers connaîtront la mort. Tout corps finit par dépérir de cette façon. » Enfin, la dernière rencontre a eu lieu avec un moine errant, tenant son bol à aumône, absorbé, le visage serein, dans une profonde méditation. C’est ainsi que le futur bouddha réalise que sa riche condition ne le protégera jamais de la vieillesse, de la maladie et de la mort, mais qu’il doit partir en quête de la vérité qui, seule, pourra le libérer. Il décide alors de prendre les routes, celles qui le mèneront vers l’Éveil.

Derrière la vieillesse, la maladie et la mort, transparaît bien évidemment la notion d’impermanence, l’un des piliers de l’enseignement bouddhiste avec celle d’interdépendance. Elle affirme que toutes choses, du plus petit atome aux galaxies, de l’être humain à la montagne, du corps à la pensée, sont constamment en train de changer alors même qu’elles interagissent. Tout, absolument tout, passe par le même cycle de l’existence : la naissance, la croissance, le déclin et la mort. « Il est particulièrement important de se familiariser avec la mort dans une société où elle est occultée », explique Catherine Pagès, qui après le décès de son enfant, il y a quarante ans, a commencé à étudier auprès du maître zen américain Genpo Merzel, lui-même successeur de Maezumi Roshi avant de créer son propre centre à Montreuil en 1994. En plus de méditer sur la mort elle invite ses élèves à côtoyer des personnes en fin de vie, une expérience riche de sens : « Les contacts sont profonds, immédiats, vrais et sans artifice. Il n’y a plus de contexte social ou mondain. Dans cette présence à l’autre, on est dans l’essentiel. On n’a plus peur de la mort et on entre dans la vie même. C’est ainsi que surgit le merveilleux cadeau de l’impermanence : l’appréciation du moment présent. »

L’éternité du présent

En Occident tout particulièrement, beaucoup d’entre nous vivent dans la croyance erronée de la continuité et de la permanence. Nous nourrissons des peurs en nous accrochant au passé, nous créons des attentes en nous projetant dans le futur et nous en oublions l’essentiel, le présent. « Les expériences les plus fortes de notre vie sont celles où nous sommes complètement présents : à la personne qui se trouve en face de nous, au coucher de soleil qui décline, à la musique que l’on entend, aux odeurs que l’on sent, à ce qui est là… », note encore Catherine Pagès, qui insiste sur l’importance des sensations. Pour nous ramener à l’instant présent, rien de tel que de s’entraîner à méditer. « Grâce à la méditation, on peut observer qu’on est sans cesse traversé d’émotions, autant de tempêtes mentales qu’il s’agit de laisser passer pour que rien ne se fixe : quand la colère se rigidifie, elle devient de la haine ; lorsque la tristesse s’installe, elle se transforme en affliction. Le bouddhisme nous apprend que la souffrance naît de cette friction entre l’impermanence du monde et notre volonté de fixité qui lutte contre l’éphémère et la fluidité de la vie », explique le philosophe Alexandre Jollien qui souligne dans son dernier livre, À nous la liberté, que la méditation n’empêche pas l’action. Bien au contraire, elle permettrait de poser l’action juste et de sortir des motivations superficielles.

La notion d’impermanence affirme que toutes choses, du plus petit atome aux galaxies, de l’être humain à la montagne, du corps à la pensée, sont constamment en train de changer alors même qu’elles interagissent.

L’acceptation de l’impermanence des choses nous mène tout naturellement au détachement. Autrement dit, je ne suis pas attaché à ce qui est là, j’accepte pleinement ce qui est là, sachant pertinemment que ce qui est là change. Mais, prévient Catherine Pagès, le non-attachement n’est pas de l’indifférence : c’est aimer complètement ce qui est présent. Par ailleurs, il ne garantit pas non plus l’absence de douleur. « Le sentiment de perte est complètement humain et implique un temps de deuil. Il y a des moments où la souffrance est très intense, d’autres moins. Car elle aussi est impermanente… » Bien souvent, la souffrance devient moins intense lorsqu’elle est partagée. Ainsi, l’histoire bouddhiste de Kisagotami nous montre que dans chaque maison, il y a eu des morts. En tant qu’être humain, nous partageons la même souffrance, ce qui a un côté soulageant. Alexandre Jollien aime cette idée de solidarité, en nous rappelant cette phrase du guru indien Swami Prajnanpad : « L’amour consiste à aider l’autre à relâcher ses tensions. » Nous pouvons tous aider l’autre en étant présent, en l’écoutant et en essayant de trouver un moyen pour que chacun se décentre de sa souffrance, qu’il habite mieux le présent : « Qu’est-ce qui m’accroche à la permanence ? Qu’est-ce qui me donne la capacité à lâcher prise ? Qu’est-ce qui me met en joie ? ». Car c’est bien de cette joie que naît la force de se détacher

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François Leclercq

François Leclercq est le fondateur de Bouddha News, site internet qui a pour but de diffuser des informations et des conseils pratiques sur le bouddhisme et la spiritualité. François Leclercq est né et a grandi à Paris. Il a étudié le bouddhisme à l'Université de Paris-Sorbonne, où il est diplômé en sciences sociales et en psychologie. Après avoir obtenu son diplôme, il s'est consacré à sa passion pour le bouddhisme et a voyagé dans le monde entier pour étudier et découvrir des pratiques différentes. Il a notamment visité le Tibet, le Népal, la Thaïlande, le Japon et la Chine.

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