Au début de son apprentissage, le jeune Tosui reçut l’enseignement d’un maître illustre, Igan, qui invitait ses élèves à se débarrasser des cinq désirs : le désir charnel, l’appétit de nourriture, l’envie de dormir, la soif de la renommée et la recherche de la richesse. Il insistait tout particulièrement sur ces deux derniers qui étaient fréquents pour les prélats devenus respectables et qui, souvent, pouvaient céder à la tentation de la renommée et de l’argent. Pour commencer, le vieil Igan s’empressa d’envoyer le jeune novice Tosui pérégriner comme « nuage et eaux vives ». Tel était le nom des jeunes moines qui de temple en temple, de vallée en vallée, de maître en maître, partaient armés de seules lettres de recommandation et le plus souvent les mains vides. C’était là une façon exemplaire de se détacher de ces cinq désirs, car la nourriture mendiée faisait souvent défaut, sa qualité laissait à désirer, le sommeil n’était pas possible dans des abris de fortune. Quant à la célébrité, elle était bien impossible, car le prêtre voyageur n’était plus personne, il n’avait plus de nom, déraciné dans le vent et le vagabondage. De richesse, il n’en avait guère, car les longues et vastes manches de la robe étaient vides et le sac du moine ne comportait que le strict nécessaire, conformément à la règle monastique. Ainsi comme nuage flottant, sans attaches, ni passé ni lendemain, avec pour seul trésor l’insouciance et la bienheureuse incertitude, l’apprenti entreprenait un voyage dont il était la destination, parcourant le chemin de son propre corps et de son propre esprit, explorant à travers le miroir d’une nature capricieuse et changeante, les propres méandres de son cœur. Ainsi Tosui passa plus de dix années à errer, s’installant dans un temple pour y pratiquer et étudier, le quittant pour se mettre en chemin à la recherche de l’instruction d’un maître. Frugalité et austérité étaient son quotidien ; souvent l’eau goûteuse des rivières lui tenait lieu de pitance et les feuilles des frondaisons de manteau dans les tempêtes et les canicules. Il fréquenta les moines les plus illustres de son temps, pratiqua avec des maîtres de toutes les écoles pour enfin rejoindre Igan et le servir.
Se libérer de toute attache, au quotidien : pratique de la simplicité
Nous n’avons pas aujourd’hui à chausser des sandales de paille et porter le large chapeau tressé d’osier et encore moins à emprunter le chemin des pèlerinages anciens (l’expérience pourrait toutefois se révéler très fructueuse et surprenante), mais nous pouvons certainement explorer le paysage de notre vie quotidienne différemment et cultiver un peu de cette curiosité et de cette insouciance. Tout d’abord, en cessant d’aborder notre journée de façon routinière et sans y prêter l’attention qu’elle requiert, du réveil et du café le matin en passant par notre toilette journalière, notre périple pour nous rendre au travail, chaque étape de notre journée peut être vécue comme si c’était la première fois, avec fraîcheur et disponibilité. En bannissant les gestes mécaniques, l’esprit distrait et en prenant conscience de la merveille d’être vivant et présent à chaque instant. Ensuite, et c’est essentiel, en plongeant avec détermination et en nous donnant totalement à ce que nous faisons. Plutôt que de faire d’une pierre deux coups, nous contenter de ce que nous faisons et nous y consacrer pleinement. Alors que, généralement, nous ne perdons jamais de vue notre agenda, nos projets, et que nous accomplissons fréquemment des choses dans l’esprit d’en rejoindre d’autres, quelle que soit notre activité, nous pouvons joyeusement nous oublier en elle, effacer les traces de notre venue et abandonner tout autre projet : se contenter de faire ce qui nous est donné de faire. Prendre le temps de nous y défaire et délier. Qu’ensuite, il nous est possible d’aller de lieu en lieu, de passer d’une activité à une autre, d’étude en étude, en évitant l’esprit de chapelle et la stase : en diversifiant notre pratique et nos activités, en ouvrant notre vie, nous pouvons nous détacher de l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes et des autres. Les métamorphoses que nous traversons et sommes, car nous ne sommes finalement que perpétuel changement, sont des opportunités miraculeuses de nous émerveiller et de nous ressourcer sans céder à cet esprit repu et sûr de lui, blasé et fatigué, de celle où celui à qui on ne la fait plus et qui a tout compris et rencontré. La pratique de la méditation peut aussi être une autre façon de vivre le chemin des nuages, nous laissant traversés par les pensées et les laissant passer comme des nuages dans le vaste ciel.
Nous n’avons pas aujourd’hui à chausser des sandales de paille et porter le large chapeau tressé d’osier et encore moins à emprunter le chemin des pèlerinages anciens, mais nous pouvons certainement explorer le paysage de notre vie quotidienne différemment et cultiver un peu de cette curiosité et de cette insouciance.
Un petit livre merveilleux vaut vraiment le détour, sa lecture sans nul doute enchantera votre vie. Écrit par un maître zen, jardinier de son état, il comporte de véritables pépites qui ne sont autres que ces moments épars de nos vies auxquels on n’accorde généralement que peu d’attention. Il s’agit de Zen, l’Art d’une vie simple de Shunmyo Masumo. Ce livre vous donnera la clé, cent clés pour être plus précis, pour un voyage chaque jour réinventé dans lequel l’émerveillement et la présence sont là à chaque pas. Ainsi nous sommes invités à vivre notre quotidien en faisant ces petits changements qui font toute la différence entre une vie automatisée et une existence sachant vivre un épanouissement de chaque instant. Comme l’écrit si simplement l’auteur dans sa préface : « Si le monde ne va pas comme vous souhaiteriez qu’il aille, il est peut-être mieux que vous changiez vous-même. Ainsi, quelque situation que vous rencontriez, vous y éprouverez aise et facilité (…) Efforcez-vous de ne pas être remué par les valeurs d’autrui, de ne pas être troublé par des soucis sans réelle nécessité, mais vivez une vie d’une simplicité infinie, débarrassée de tout gaspillage ». Ainsi va celui qui avance sur le chemin des nuages.