Florent Massot : un éditeur qui change le monde

- par Henry Oudin

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Éditeur du Dalaï-Lama, il a orienté sa vie et sa maison d’édition vers un plus grand engagement écologique, spirituel et politique.

Dans quelles circonstances avez-vous rencontré le Dalaï-Lama ?

J’ai fait la connaissance de Sofia Stril-Rever qui avait écrit avec le Dalaï-Lama sa biographie spirituelle. Nous avons décidé au cours d’une conversation de nous adresser au Dalaï-Lama pour lui proposer de s’exprimer sur le bouddhisme et l’écologie. Nous avons donc écrit à son secrétaire qui nous a répondu qu’il ne serait pas libre avant six ans. Sofia a soutenu que la porte n’était pas fermée et qu’on pourrait avoir d’autres opportunités. Puis il est venu en Europe pour une tournée, et là, surprise, on reçoit une lettre disant que le Dalaï-Lama est prêt à nous recevoir quinze jours plus tard en Angleterre. Nous étions en septembre 2015. Nous l’avons donc rencontré dans un salon de l’université d’Oxford. Nous avons filmé cette entrevue. Nous savions que nous allions vivre un moment fondateur. J’étais vraiment impressionné ! Il se dégageait de lui une énergie vibratoire puissante. Son rayonnement me touchait si profondément qu’il semblait aller dans chacune de mes cellules. Sofia m’avait prévenu qu’avec le Dalaï-Lama, il y avait toujours beaucoup d’inattendus. C’est en cela qu’il est un grand personnage visionnaire, car il peut dire des choses qu’on ne va pas comprendre tout de suite, mais dont on saisit la portée avec le temps. Ce jour-là, il a commencé l’entretien en soutenant immédiatement que l’homme était en train d’œuvrer à sa propre destruction : « Nous sommes dans une nouvelle réalité. On arrive dans une ère où l’humanité peut disparaître. Ou pas… » J’ai été saisi par ses premiers mots, car ils révélaient que plus jamais rien ne serait comme avant.

Quels sont les enseignements du Dalaï-Lama qui vous touchent particulièrement ?

La dimension à la fois spirituelle et politique de ses enseignements. Il affirme que si nous ne faisons pas de travail intérieur, si nous ne sommes pas centrés, nos actions ne servent à rien. Sans cet alignement, même avec la meilleure volonté du monde, les actions s’écroulent. Ces mots « être le changement qu’on veut voir dans le monde » ont tout de suite énormément résonné dans ma vie quotidienne. On ne peut pas être écologiste sans avoir sa propre écologie.

« À travers mes choix éditoriaux, j’ai toujours cherché à proposer des chemins de traverse et d’autres voies à la société. Quand j’ai pris conscience que ce monde ne pouvait pas continuer tel qu’il est, que la société était en crise, j’ai voulu que mes choix éditoriaux accompagnent ce changement. »

Ma rencontre avec le Dalaï-Lama est venue valider le chemin dans lequel je m’étais engagé. J’étais déjà végétarien depuis des années, je faisais du yoga et de la méditation, j’avais donc déjà fait tout un travail intérieur, mais j’avais besoin de le valider. Cette entrevue à Oxford m’a permis de comprendre que j’étais sur le bon chemin.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris lors de vos entretiens avec le Dalaï-Lama ?

Il sait immédiatement détendre l’atmosphère. Il a ce don de mettre tout de suite les gens à l’aise. Il a conscience que certains ont parfois fait des milliers de kilomètres pour venir le voir. Il leur touche le bras, leur adresse un mot attentionné ou fait une blague sur leur coiffure. Quand il est venu à Paris pour la conférence de presse en septembre 2016 au moment où nous avions lancé le livre Nouvelle réalité, il trouvait que l’ambiance était trop cérémonieuse. Alors il a pris un mouchoir, se l’est mis sur la tête et a continué à parler. Il a immédiatement allégé l’ambiance en descendant de son piédestal…

Quels sont les principes de l’enseignement bouddhiste transmis par le Dalaï-Lama qui sont, selon vous, les plus importants pour notre époque ?

L’interdépendance. Mettre en lumière le fait que nous sommes tous interdépendants et reliés. La physique quantique va dans le même sens que le bouddhisme. Les scientifiques révèlent que dans le monde subatomique, c’est-à-dire ce qui est plus petit que l’atome, toutes les particules qui se rencontrent restent reliées à distance. Les personnes que l’on croise tous les jours continuent donc à être reliées avec nous. Ce point-là du bouddhisme me porte vraiment dans mon métier d’éditeur pour les choix des livres que je lance dans le monde

Vous avez créé six maisons d’édition, mais la dernière, Massot Éditions, semble plus engagée sur le plan politique et spirituel que les précédentes. Pourquoi cette direction ?

À travers mes choix éditoriaux, j’ai toujours cherché à proposer des chemins de traverse et d’autres voies à la société. Quand j’ai pris conscience que ce monde ne pouvait pas continuer tel qu’il est, que la société était en crise, j’ai voulu que mes choix éditoriaux accompagnent ce changement. J’aspire à réunir tous les plans. Il n’y aura pas de féminisme sans écologie, pas d’écologie sans plus d’égalité. Il n’y aura pas plus d’égalité sans spiritualité. Pas de spiritualité sans féminisme. Dans le bouddhisme par exemple, si on veut aller vers plus d’égalité, il faudra se tourner davantage vers les femmes. Tout est lié.

Vous dirigez également la collection Aventures secrètes chez J’ai lu, quel est votre critère principal pour choisir des livres ?

Beaucoup de religions, de philosophies, de courants scientifiques disent la même chose, mais avec des vocabulaires différents. J’essaye d’être un passeur entre les différents univers en montrant qu’on va tous dans le même sens : il y a un champ de conscience et la vie ne se limite pas à notre monde matériel. Il existe également un monde invisible.

Vous venez de publier un livre du Karmapa. Il a trente-quatre ans ; son message et sa manière de transmettre sont-ils plus percutants auprès des jeunes que le Dalaï-Lama ?

De manière très schématique : le Karmapa est le garant de la méditation tandis que le Dalaï-Lama est celui des textes, des enseignements. Ils appartiennent à des lignées différentes et ont chacun une vocation spécifique.

Le Karmapa est également le garant de l’esprit du Bouddha. Dans une époque où les gens méditent de plus en plus, son rôle est essentiel. Le livre que je publie s’appelle Interconnectés. Dès le titre, on comprend qu’il aborde des sujets au cœur de notre civilisation. De plus, il fait partie de la génération 2.0, donc il pratique internet. Sa connaissance de la technologie apporte quelque chose de plus au bouddhisme.

Le Dalaï-Lama est en contact avec les plus grands scientifiques du monde et n’hésite pas à se remettre en question si besoin. Il a dit par exemple que si la science démontrait que les textes bouddhistes se trompaient, il n’hésiterait pas à les rectifier. Mais il n’est pas dans la génération connectée, c’est pourquoi le Karmapa est plus proche de nos problématiques. Grâce à internet, la réalité s’est agrandie. C’est un jeu d’équilibriste. Les bouddhistes doivent donc aussi se réinventer, aux prises avec cette nouvelle réalité

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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