Lama Gyourmé : le lama qui chante la paix

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C’est en 1974 que lama Gyourmé découvre la France. Il accompagne l’un des très grands maîtres tibétains de l’époque, Kalou Rinpoché, venu enseigner le bouddhisme en Europe. À la demande de ses maîtres, ce natif du Bhoutan demeure dans notre pays et crée, à Paris, un centre d’étude et de pratique dédié au bouddhisme, Kagyu Dzong. En parallèle, quelques années plus tard, il fonde Vajradhara Ling dans la campagne ornaise, où un projet de temple pour la paix est aujourd’hui en cours de réalisation. Depuis son monastère normand, il revient sur son expérience de lama en France, le succès de ses chants tibétains en Occident et les enjeux environnementaux actuels.

Dès votre plus jeune âge, vous avez étudié le bouddhisme dans des monastères de différents pays de l’Himalaya : le Bhoutan, où vous êtes né en 1948 et avez grandi, et l’Inde, notamment au Sikkim, avant d’arriver en France en 1974, dans les pas de Kalou Rinpoché. Comment cela s’est-il passé ?

Kalou Rinpoché a été l’un des premiers à transmettre le bouddhisme Vajrayana en Occident, en 1970. Ses disciples locaux ayant émis le souhait d’avoir des lamas pour apprendre le tibétain, la méditation et les enseignements du Bouddha, il est revenu en juin 1974. Je comptais parmi les six lamas qui l’accompagnaient. Un lama est resté en Suède, un autre au Danemark, un en Écosse, un au Canada et un à Dijon. Kalou Rinpoché a donné trois semaines d’enseignement dans des salles parisiennes. À la fin, il a annoncé à ses disciples : « Voici Lama Gyourmé, qui sera votre enseignant », puis leur a présenté une statue de Bouddha et leur a dit : « Voilà votre support de pratique ». Il ne m’avait pas prévenu de ce qu’il allait faire. J’étais aussi étonné qu’eux ! De plus, je ne parlais pas français. Pendant deux mois, j’ai suivi des cours à l’Institut catholique. Mais très vite, j’ai dû préparer la venue de Sa Sainteté le Karmapa. Tout s’est enchaîné…

Après avoir ouvert le centre de Paris, vous avez fondé Vajradhara Ling. Pourquoi avez-vous décidé d’établir un deuxième centre en Normandie ? 

Il n’existait pas encore de congrégation bouddhiste dans cette région. Nous avons trouvé le corps de ferme en septembre 1981, à moitié en ruine, nous avons commencé à le rénover et nous l’avons inauguré le dimanche de Pentecôte 1982. Trente-sept ans plus tard, nous n’avons pas encore fini les travaux… Deux lamas y résident en permanence et de nombreux disciples ont acheté des maisons aux alentours.

« Il est important d’enseigner aux Occidentaux le calme mental. Nous sommes trop sollicités, et avons tous, partout, des sources de distraction. »

Nous avons deux salles de yoga et deux temples. Le week-end ou durant les stages, nous pouvons accueillir entre 15 et 150 personnes. Mais notre capacité d’accueil reste limitée, surtout pour la venue de grands maîtres. Lorsque Mingyour Rinpotché dirige par exemple des stages de méditation, il attire près de 400 personnes ! Comme nous ne sommes jamais sûrs de la météo, nous devons louer un chapiteau. Et lorsque le Dalaï-lama est venu, seules 70 personnes ont pu entrer dans le temple actuel, car nous étions limités par les normes de sécurité relatives à son statut de chef d’État. C’est pourquoi notre souhait est de construire un grand temple de 750 m² pour recevoir 1000 personnes.

Lors des stages que vous dirigez, quels sont les principes bouddhistes que vous enseignez aux Occidentaux ?

Il est important de leur enseigner le calme mental. Nous sommes trop sollicités, et avons tous, partout, des sources de distraction. Revenir au calme prend un peu de temps. Certains Occidentaux optent pour la méditation de pleine conscience, en suivant les méthodes du bouddhisme Theravada. D’autres s’efforcent de développer les Six perfections ou Paramitas, selon le Mahayana. La tradition Vajrayana attire surtout ceux qui souhaitent suivre la voie du Bouddha de la compassion. Ils travaillent alors directement sur les émotions à travers les symboles véhiculés par de multiples divinités, paisibles, semi-courroucées ou courroucées. Quelle que soit la méthode choisie, il s’agit de prendre conscience de tout ce qui distrait, pour ensuite revenir à nous-mêmes par la méditation et retourner à notre vraie nature.

Vous avez connu un succès international grâce vos chants tibétains, composés par le pianiste Jean-Philippe Rykiel, et avez répandu une forme de paix sur votre public.

J’ai d’abord entendu ces chants au monastère, lorsque j’étais petit. Dès qu’ils résonnaient, je courais jusqu’à la fenêtre de la classe pour les écouter. Puis, je les ai appris et j’ai guidé les chants dans les rituels à partir de l’âge de 18 ans. Lorsque j’ai été envoyé en France, j’ai continué à chanter naturellement. Quand j’ai rencontré Jean-Philippe Rykiel, nous avons décidé de collaborer et fait rapidement des tournées en Italie, en Espagne et aux États-Unis. Beaucoup de personnes, malades ou dépressives, se disaient apaisées par nos musiques. Des journalistes m’ont demandé une explication. Je leur ai répondu que ça ne venait ni de moi ni de Jean-Philippe, mais des mantras, notamment celui du cœur de Padmasambhava ou le « Om mani padme hum », mantra de la grande compassion. Ce sont des prières composées par la Sangha, du temps du Bouddha. Ce sont des paroles puissantes qui font du bien.

« Je dis souvent que la pensée Mahayana est comme le football : il faut toujours jouer pour les autres. Quand on met un but, on fait gagner l’équipe et on y gagne soi-même. Il faut penser aux autres et au monde avec bonté. »

Le mantra est donc le médicament, mais parfois, on peut avoir du mal à l’avaler. Il existait déjà des vinyles de chants tibétains, mais presque personne ne les écoutait. Finalement, le chant passe plus facilement lorsqu’il est accompagné par la musique au synthétiseur. Jean-Philippe compose à partir de la ligne mélodique traditionnelle. Les différentes chansons sont des louanges, des prières, des chants de réalisation, qui expliquent comment progresser sur la voie, ou encore des chants de méditation.

L’église d’Aubry-le-Panthou n’est pas loin. Quelles relations entretenez-vous avec les fidèles et les religieux chrétiens ?

Nous avons déjà beaucoup en commun sur la forme : des monastères, des prières, des rituels, des moines et des nonnes, des retraites à vie… Ensuite, notre manière de penser l’amour, la compassion ou la charité est proche. Nous avons de fréquents échanges. L’abbé Étienne, aujourd’hui décédé, venait souvent ici avec certains de ses fidèles, et nous, nous allions à la messe. Récemment, Mgr Jean-Claude Boulanger, l’évêque de Bayeux et Lisieux, nous a invités à la cathédrale Notre-Dame de Sées. Je m’y étais également rendu lors d’une messe, en 2005, en hommage au pape Jean-Paul II, qui venait de décéder.

Le bouddhisme peut-il apporter des outils pour faire face aux problèmes environnementaux et sociétaux de notre époque ? Le modèle bhoutanais peut-il inspirer d’autres pays ?

Le pratiquant peut se transformer s’il souhaite devenir un Bouddha pour le bien des êtres. Je dis souvent que la pensée Mahayana est comme le football : il faut toujours jouer pour les autres. Quand on met un but, on fait gagner l’équipe et on y gagne soi-même. Il faut penser aux autres et au monde avec bonté.

Le Bhoutan est un pays isolé, couvert à 70% de forêt, dont le modèle sert d’exemples à de nombreux gouvernements ou ONG dans le monde. Les êtres humains ont toujours prélevé sur la nature pour vivre, mais avec la surproduction et la commercialisation à outrance, nous perdons le lien fondamental qui nous unit à elle. La Terre est malade à de nombreux endroits. On y enfouit aveuglément nos déchets, alors qu’elle est notre plus grand trésor.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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