Il est parfois utile de s’éloigner des destinations touristiques habituelles pour se faire une idée plus précise des traditions spirituelles d’un pays. Lorsque l’on a la chance de se rendre au Japon, Tokyo et Kyoto sont bien évidemment au programme des visites, tant ces deux villes offrent un condensé de quasiment tout ce que propose l’archipel. Pourtant, il existe des espaces qui nous permettent une plongée dans des univers sacrés, emplis de mystères et de grâce, des lieux presque hors du temps. L’un de ces sites est le mont Koya, Koyasan en japonais. On ne se rend pas au Koyasan par hasard. Pour moi, la découverte de ce site, c’est l’histoire d’une rencontre avec un moine, le révérend Fujita (Foujita à la française), qui m’a invité à séjourner dans son temple, le Daien-in, qui propose également l’hébergement aux pèlerins et touristes de passage.
Le révérend Fujita est un homme absolument remarquable, toujours souriant malgré des journées très chargées, car, outre le temple qu’il a à gérer, il est également un universitaire de haut niveau. Spécialiste du bouddhisme tibétain, il l’enseigne à l’université du Koyasan, située à un jet de pierre du temple, et y occupe les fonctions de directeur scientifique. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il fut chargé de recevoir le Dalaï-Lama lorsque celui-ci visita le site en 2014.
Les trésors de la montagne sacrée
Quand son agenda le lui permet, le révérend Fujita n’aime rien moins que de partager avec ses visiteurs les trésors de cette montagne sacrée. Deux de ces trésors expliquent pourquoi des milliers de personnes se rendent chaque année dans ce haut lieu du bouddhisme ésotérique japonais : le premier est ce qui fonde l’enseignement de l’école Shingon (qui est l’équivalent japonais de « mantra », autrement dit la « parole vraie »), qui enseigne que tous les êtres peuvent obtenir l’Éveil complet d’un bouddha dans cette vie-ci. Cette doctrine, révolutionnaire pour l’époque, lorsque le moine Kukai, le fondateur du complexe monastique du Koyasan, l’introduisit au Japon au début du IXe siècle, l’est probablement encore aujourd’hui…
Se rendre au Koyasan à la nuit tombée revient à pénétrer dans un univers sacré inattendu.
Le second est Oku-no-in, la partie du plateau occupée par la nécropole. Certains visiteurs en parlent comme d’« un endroit poétique, qui respire les siècles » ! Le chemin qui la traverse est long de près de 2,5 km, bordé de chaque côté par des monuments funéraires en grand nombre : au moins 300 000 ! Parmi eux se dresse, telle une chrysalide blanche, le monument dédié à ceux qui furent enrôlés dans les forces aéronavales pendant la Seconde Guerre mondiale et devant lequel le révérend Fujita accomplit chaque année en septembre des rituels pour la paix dans le monde. L’apparition de ces monuments remonte au XIe siècle, quand Kukai, le fondateur, est entré dans un état de très profonde méditation dans l’attente de la venue de Maitreya, le Bouddha du futur. Dès lors, mus par la foi, des dizaines de milliers de Japonais, puissants et humbles confondus, y ont élevé un monument funéraire, convaincus que ce faisant, lorsque Maitreya viendrait en ce monde, Kukai étant dans son entourage, ils se retrouveraient de facto dans celui de Maitreya également. Cette foi, toujours vivace de nos jours, s’est étendue aux entreprises : il est ainsi possible de voir dans la partie moderne de la nécropole des mausolées édifiés par de grands groupes comme Sony ou Toyota à l’attention de leurs fondateurs et de leurs employés ! S’y rendre à la nuit tombée revient à pénétrer dans un univers mystérieux. Le chemin est délimité par des petites lanternes. La lumière qui en émane ne permet pas de voir au-delà, créant de ce fait une atmosphère très particulière, voire même fantastique… Le Konjaku monogatari (ou Recueil d’histoires qui sont maintenant du passé, composé vers la fin du IXe siècle) rapporte l’expérience de pèlerins, témoins d’apparitions fantomatiques… De nos jours, il est parfois possible d’y rencontrer des pratiquants qui s’y adonnent à leurs pratiques