Jigmé Thrinlé Gyatso : Vendéen des sommets

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Les ermitages himalayens sont sa seconde demeure. Depuis sa rencontre avec le Ve Sengdrak Rinpoché (1) en 1994, à la frontière népalo-tibétaine, le Vendéen Jigmé Thrinlé Gyatso garde un lien indéfectible avec ces sommets, où il a appris à vivre en retraite, dans la quiétude d’une vie austère. Après avoir passé plusieurs années au centre Drukpa de Plouray (Morbihan), le lama désire aujourd’hui partager ses enseignements sur ses terres d’origine, au sein des associations Mypam et Drukpa Vendée.

Assis dans un fauteuil en bois, sous une peinture représentant Milarépa, Lama Jigmé Thrinlé Gyatso, le crâne rasé, porte une chemise ocre et une robe rouge, à la manière des moines tibétains.  La baie vitrée du salon donne sur le jardin ensoleillé. Son domicile, à quelques kilomètres du littoral vendéen, lui permet de faire des retraites en solitaire.

Dans un buffet sur notre droite, un Bouddha noir japonais attire notre attention. À sa gauche se trouve une statue dorée de Shakya Shri (2), grand yogi du XIXe siècle, représenté avec des dreadlocks et une longue barbe noire. Autour, de mystérieux stupas en plexiglas conservent plusieurs reliques. « Certaines sont issues des disciples Rahula et Ananda, contemporains du Bouddha. D’autres sont liées à mon maître, le 5e Sengdrak Rinpoché », précise Lama Thrinlé, fidèle à la lignée Drukpa Kagyü, dans la tradition Kagyüpa.

Dharma et « géopoétique »

Ces objets sacrés lui rappellent le chemin parcouru. Enfant, Yves Boudéro – de son nom civil – s’imagine déjà moine. Mais c’est sa professeure de piano, ancienne carmélite, qui l’ouvre vraiment à la spiritualité, à 17 ans, par l’intermédiaire de Saint-Jean de la Croix. Dans la bibliothèque du lama, les écrits du mystique espagnol côtoient des livres de poésie. Un art que Thrinlé affectionne particulièrement, autant dans la lecture que dans l’écriture. Les ouvrages de Kenneth White, poète écossais résidant en Bretagne, sont nombreux dans sa collection. « Ce nomade intellectuel, à l’origine de la « géopoétique », m’a en quelque sorte orienté vers le Dharma », reconnaît-il.

C’est aussi par le texte que le Vendéen découvre les Quatre nobles vérités du Bouddha. « Ça m’a réellement convaincu. Je me méfiais un peu au début, par peur de me retrouver dans une secte. » Mais ses craintes sont dissipées lorsque, en 1986, il écoute le Dalaï-Lama lors d’une conférence, à Paris. « Enfin quelqu’un qui vit ce qu’il dit, me suis-je dit ». À ce souvenir, un sourire illumine ce visage.

En 1986, il écoute le Dalaï-Lama lors d’une conférence, à Paris. « Enfin quelqu’un qui vit ce qu’il dit, me suis-je dit ».

Jigmé Thrinlé Gyatso tourne la tête vers un portrait en noir et blanc : celui de Kenchen Yéshé Tcheudar Rinpoché (3). C’est auprès de ce docteur en philosophie bouddhiste qu’il prend refuge le 1er janvier 1987, au centre Drukpa de Plouray, avant de faire la navette chaque semaine entre le Morbihan et Paris, où il poursuit ses cursus de philosophie puis de tibétain, à l’Inalco.

Lama Thrinlé marque une pause pour boire une gorgée de jus de pomme. « Alors que je me trouvais à Darjeeling, en 1989, j’ai demandé à Sa Sainteté Gyalwang Drukpa s’il pouvait envoyer un lama en France. La même année, Drubpön Ngawang Tenzin est arrivé à Plouray. J’ai alors traduit le lama bhoutanais pendant dix ans. »

Des poules, des chèvres et des sangsues

Thrinlé ayant ensuite exprimé son souhait de pratiquer plus intensivement en retraite et de quitter ses responsabilités administratives au centre morbihannais, Gyalwang Drukpa l’envoie auprès du grand yogi Sengdrak Rinpoché. De l’autre côté de la pièce, se trouve l’un de ses portraits. En 1994, il se rend donc à l’ermitage du maître, à la frontière népalo-tibétaine. Le Vendéen se souviendra toujours de ce premier périple. Quatre heures de route depuis Katmandou, suivies d’une journée de marche dans la montagne. « C’était la mousson. Il pleuvait énormément et il y avait des sangsues partout. » Il contracte la dysenterie. À son arrivée, pour couronner le tout, il apprend que Sengdrak Rinpoché se trouve en retraite, pour un an. Pas question de se laisser décourager pour autant. « Je suis resté dormir, manger et pratiquer dans la salle d’assemblée. Dans ce lieu de vie communautaire, tout ressemblait à un joyeux fouillis : le sel séchait par terre, les poules et les chèvres rentraient, les gens passaient. Au bout d’un mois, j’appris une merveilleuse nouvelle : Sengdrak Rinpoché, qui attendait la visite de son maître du Tibet, Adeu Rinpoche (4), sortirait plus tôt que prévu. J’allais enfin rencontrer un ermite qui vivait comme Milarépa ».

Sengdrak Rinpoché, « plus qu’un père et une mère »

Dès le premier contact, le lien est très fort. « Il a été plus qu’un père et une mère pour moi. Il me logeait, me faisait du thé et à manger, me prêtait le tambour damaru de sa précédente incarnation pour la pratique de tcheu (5). » Le Français se sent d’autant plus privilégié qu’il est autorisé à suivre les enseignements d’Adeu Rinpoché en présence de nombreux grands maîtres, dans un petit monastère de Katmandou.

Lama Thrinlé fait un tour en cuisine pour réchauffer le couscous végétarien sur le poêle, en vue du déjeuner. « Je suis rentré en France pour mettre en application, ce que j’avais appris ». Il se rend toujours régulièrement au Népal, malgré le décès de Sengdrak Rinpoché, en 2005.

« Le Dalaï-Lama citait souvent mon maître comme exemple. Je souhaitais mettre sa vie en lumière ». Ce qu’il fait en 2010, grâce au photographe Yann Rollo van de Vyver qu’il rencontre dans un temple de Katmandou. Leur livre, Ermitages en Pays sherpa, donne à voir la bienveillance chez les religieux et villageois qui mènent une existence austère, mais paisible dans l’Himalaya. Les séismes de 2015 leur ont porté un coup sévère, mais les temples ont été reconstruits. Et la vie reprend son cours.

Quant à Lama Thrinlé, il poursuit son chemin dans le Dharma. En février 2020, il a reçu le certificat d’agrément de l’Union Bouddhiste de France pour devenir aumônier bouddhiste dans le milieu hospitalier. Une nouvelle aventure qui le réjouit : « Je vais sans doute proposer d’ouvrir une aumônerie à l’hôpital de La Roche-sur-Yon et une autre à l’hôpital des Sables-d’Olonne ». Le lama vendéen, très à l’écoute au quotidien, pourra alors apporter sa bienveillance aux patients comme au personnel soignant.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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