Jean-Philippe Rykiel : le musicien voyageur

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Il ne voit pas, mais sa cécité ne l’empêche pas de saisir la beauté du monde. Pianiste et claviériste, le compositeur Jean-Philippe Rykiel, fils de la célèbre créatrice de mode Sonia, voyage à travers le globe par les notes et les rencontres. À 58 ans, il est loin d’en avoir terminé. Amoureux de l’Afrique et des chants tibétains de Lama Gyourmé, il diffuse sa joie de vivre au quotidien, par sa musique et sa simplicité.

Ses cheveux ébouriffés, son visage illuminé par un grand sourire, Jean-Philippe Rykiel fait danser ses doigts sur les touches de son piano. L’instrument, majestueux, occupe une place de choix dans le studio aménagé au rez-de-chaussée du duplex parisien, au milieu de plusieurs synthétiseurs. Une sonnerie résonne. Philippe, qui accorde le piano du musicien depuis quinze ans, vient d’arriver. Le laissant à son ouvrage, Jean-Philippe emprunte l’escalier qui mène vers l’appartement, au premier étage. Le logement, spacieux, est aménagé de manière à faciliter ses déplacements. Il est aveugle depuis qu’à sa naissance, en 1961, il fut placé dans une couveuse aux paramètres mal réglés. « On ne savait pas alors bien doser l’oxygène. Un mois après, on s’est aperçu que mes nerfs optiques avaient été brûlés. »

De grandes baies vitrées laissent entrer la lumière dans le salon. Agnès, son assistante, trie des papiers et nous salue. Vêtu d’un pull rouge, Jean-Philippe s’assoit dans le canapé et prépare sa cigarette à l’aide d’une machine à rouler. « Très tôt, j’ai été attiré par la musique », se confie-t-il. Ses parents, la créatrice de mode Sonia Rykiel – décédée en 2016 – et son père, Sam – disparu en 1976 – avaient l’oreille musicale. « Mon père écoutait beaucoup de jazz. Le pianiste Thelonious Monk m’a vraiment scotché quand j’étais gamin ! » Il tire sur sa cigarette et se plonge dans ses souvenirs. « Mon grand-père avait offert un piano à ma grande sœur, Nathalie, mais je me le suis approprié au point que je ne la laissais plus s’en approcher. »

L’électronique comme baguette magique

Ses parents souhaitant l’intégrer parmi les enfants valides, Jean-Philippe a partagé sa scolarité entre l’Institut des jeunes aveugles et des établissements classiques comme les lycées Buffon et Victor-Duruy, à Paris. « J’étais un cancre à l’école. La musique était ce qui m’intéressait le plus. » Adolescent, il s’essaye à la batterie et continue le piano, jusqu’à ce que ses parents lui fassent cadeau de son premier synthétiseur, à l’âge de quatorze ans. « L’électronique permet d’aller dans des univers différents », dit-il, songeur. Apprendre à jouer de tous ces instruments l’amuse : « C’était comme avoir une baguette magique. Je pouvais désormais me transformer en percussionniste, en saxophoniste, en violoniste… » Jean-Philippe s’intéresse alors au rock progressif anglais, au jazz rock et à la pop, à des artistes comme Emerson Lake and Palmer, Genesis ou Stevie Wonder. Et fait, très vite, ses premiers enregistrements et des rencontres déterminantes. « La première, c’est Véronique Sanson que j’ai connue grâce à une prof de ski ». Jean-Philippe travaille ensuite avec Brigitte Fontaine sur son album Vous et Nous, en 1977, ainsi qu’avec le saxophoniste, flûtiste et poète Didier Malherbe. Puis, après avoir rencontré le groupe de rock progressif Gong en 1973, en Tunisie, le compositeur produit, avec l’un de ses membres, le claviériste Tim Blake, le disque Blake’s New Jerusalem, en 1978.

Lama Gyourmé, la voix et la bonne humeur

Quelques années plus tard, une proche du groupe Gong, une Allemande bouddhiste prénommée Doris, propose à Jean-Philippe de rencontrer Lama Gyourmé, un Bhoutanais dit-elle « à la voix fabuleuse ». « Elle ne s’était pas trompée. Lors de sa première visite chez moi, autour d’une tasse de thé, je lui ai demandé s’il pouvait chanter pour que je joue avec lui. J’ai enregistré ce bœuf musical et l’ai fait écouter à celui qui allait devenir mon agent, Jean-Michel Reusser. Il a trouvé ça tellement beau qu’il a mis sur pied notre premier album ». Sorti en 1994, Souhaits pour l’Éveil devient disque d’or en Espagne et s’est vendu à 200 000 exemplaires dans le monde.

« Lors de sa première visite chez moi, autour d’une tasse de thé, j’ai demandé à Lama Gyourmé s’il pouvait chanter pour que je joue avec lui. J’ai enregistré ce bœuf musical et l’ai fait écouter à celui qui allait devenir mon agent, Jean-Michel Reusser. Il a trouvé ça tellement beau qu’il a mis sur pied notre premier album. »

Jean-Philippe sourit en se remémorant une anecdote lors d’une tournée en Italie. « Lama Gyourmé avait commandé un plat de spaghetti al dente, mais surpris par ce mode de cuisson, il pensait qu’elles n’étaient pas cuites. » Le lama avait toutefois gardé son sourire. Le compositeur ne l’a jamais vu de mauvaise humeur. Aussi, chaque prestation avec lui est une joie : « C’est toujours aussi merveilleux de nous retrouver sur scène, chaque année, au Festival pour la paix à la pagode de Vincennes », raconte-t-il d’une voix chantante et rêveuse. Depuis ce premier CD, leur collaboration, fructueuse, a abouti à deux autres albums : Pluie de bénédictions en 2000 et Chants pour la Paix, en 2011.

Aventures africaines

Les voix de l’Himalaya ne sont pas son seul amour. Ayant rencontré un musicien ghanéen lors d’une fête parisienne, il part à la découverte de son pays en 1982. Ce fut « le point de départ de mes aventures africaines », précise-t-il. Avec le Sénégalais Prosper Niang et son groupe Xalam, il compose deux albums. Jean-Philippe se produit aussi avec les vedettes Youssou N’Dour et Salif Keita.

Dernière collaboration en date : l’album Kangaba-Paris, sorti en octobre 2018, avec le joueur de balafon malien Lansine Kouyate. Jean-Philippe désigne l’instrument en question dans un coin de la pièce, sous l’escalier qui mène à la terrasse : « C’est comme un grand xylophone. » À côté se trouvent une kora traditionnelle d’Afrique de l’Ouest et un ardîn de Mauritanie. S’il ne sait pas en jouer, ces instruments représentent, pour lui, un fort caractère symbolique : « Ils sont le voyage, la découverte d’autres manières de vivre ». Le compositeur aime s’embarquer pour ces aventures musicales et humaines. Prochain voyage, il l’espère, « le Bhoutan en compagnie de Lama Gyourmé ».

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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